– « Nous allons attraper tous les criminels et les empêcher d’agir au sein de la Cité Sans Hiver! », dit Rossignol d’une voix forte en prenant Assia par l’épaule.

« Euh, oui… Dame Rossignol », dit Assia en s’écartant. « Mais à présent, il est l’heure d’aller dormir. »

– « Il est encore tôt, nous avons le temps de discuter des contre-mesures pour demain. » Ses yeux étincelaient : « Personne ne nous échappera, pas même le plus rusé des Rat! Mais je vous en prie, appelez-moi plutôt Sœur car c’est ainsi que les sorcières se nomment entre elles. »

– « Entendu… Sœur Rossignol. »

« Oh, mon Dieu », pensa Assia qui ne comprenait pas pourquoi elle, une citadine ordinaire, devait attraper des criminels. « N’est-ce pas là le travail de la patrouille ? De plus, Dame Rossignol… euh, je veux dire, Sœur Rossignol est incroyablement excitée depuis qu’elle est revenue du bureau du Prince. Elle ne cesse de parler d’attraper des criminels. 

« De toute évidence, c’est une sorcière qui déteste les méchants comme s’il s’agissait de ses ennemis personnels », pensa Assia. « Mais suis-je en mesure de l’aider ? »

À cette pensée, elle demanda prudemment.

– « Comment allons-nous procéder ? Je n’ai jamais attrapé un criminel. »

– « Ça, c’est mon travail », répondit fièrement Rossignol. « Tout ce que vous aurez à faire, c’est de reconstituer la scène du crime pour que nous sachions qui est le meurtrier! »

– « Vous voulez que je remonte jusqu’au moment exact où le meurtre s’est produit ? » Demanda Assia, « Mais, comment pourrais-je savoir précisément quand le tueur a opéré ? »

Rossignol eut un temps de silence :

– « C’est vrai.  À quelle fréquence pouvez-vous utiliser vos capacités ? »

– « J’ai pratiqué avec Sœur Wendy durant une semaine et quatre fois est la limite que je peux atteindre à ce jour, je pense que c’est le mieux que je puisse faire », répondit Assia, un peu frustrée.  « Mon pouvoir magique étant très limité, pour peu que l’illusion se prolonge davantage, je ne pourrai plus l’utiliser aussi souvent. De plus, je ne peux pas reconstituer une scène vieille de plus de deux jours, car ma magie s’épuiserait très vite. »

– « Combien de temps pouvez-vous faire durer l’illusion ? »

– « Une demi-heure, trois quarts d’heure… »

– « Hmm… c’est plutôt court » Dit Rossignol en faisant les cent pas au chevet du lit. « Cela risque de poser problème si ce retour en arrière ne nous fait pas voir le criminel. » Elle réfléchit quelques minutes et demanda : « Si vous réduisez la durée de chaque illusion, pensez-vous pouvoir en créer davantage ? »

– « C’est possible, mais je n’en suis pas certaine », murmura Assia. « Sœur Wendy m’a dit que si je parvenais à contrôler avec précision mon pouvoir magique, je serais en mesure de maîtriser la durée de chaque manifestation. Cependant, à chaque fois que j’invoque mon pouvoir, je sens toujours la magie décroître rapidement. »

– « C’est vraiment dommage que la comtesse Sephora ne soit pas là », dit Rossignol dont le regard exprimait le regret. « Quoi qu’il en soit, procédons par déduction en ce qui concerne le moment et tentons notre chance. »  

– « Tenter notre chance ? »

« Oui ! » Répondit Rossignol en riant. « J’ai toujours été plutôt chanceuse. Si ce n’était pas le cas, jamais je n’aurais rencontré le Prince. » Soudain, sa voix se fit triste : « …si seulement cela avait pu se produire quelques jours plus tôt. »

« C’est ça qu’elle appelle de la chance ? » Pensa Assia.

– « De toute façon, nous ne pouvons nous fier à la chance. Quelques heures plus tard et ma capacité ne fonctionne plus, alors que dire de quelques jours. Pensez-vous vraiment que nous pourrons attraper des criminels demain ? »

– « Allons, il est temps d’aller dormir. »  

Rossignol souffla les bougies et la pièce se retrouva plongée dans l’obscurité.

– « D’accord », répondit Assia en grimpant sur le grand lit. Aussitôt, elle se sentit enveloppée par la douceur de la literie.

« Mon Dieu, alors c’est ça, les lits de la noblesse ? C’est vraiment confortable »

La jeune fille enfouit sa tête dans l’oreiller propre et sentit son corps s’enfoncer. Elle s’étira et très vite, se sentit somnolente.

« Est-ce que toutes les sorcières qui vivent au château ont une literie aussi confortable ? Si je dormais chaque jour sur un lit comme celui-ci, je n’aurais plus envie de me lever. »

À mi-chemin du sommeil, elle entendit Rossignol marmonner :

– « Je suis son bouclier… »

Puis Assia s’endormit.

Tôt le lendemain matin, elle fut réveillée par Rossignol.

– « Dépêchez-vous! Nous devons partir », dit la sorcière d’une voix pleine d’énergie.  

– « Entendu… »

Assia se fit violence pour sortir du lit, enfila son manteau et descendit avec Rossignol. Dans le hall, un grand homme aux cheveux bruns faisait les cent pas. En apercevant les sorcières, il s’avança et dit en s’inclinant :

– « Bonjour, je suis René Medde, Comte de la famille Elk. Je vous attendais, vous devez être Dame Rossignol, et voici… »

– « Assia, mon assistante », répondit Rossignol en relevant un peu la tête. « Elle est sorcière elle aussi. »

– « Vraiment ? » Il parut un peu surpris mais adressa immédiatement un signe de tête à l’adresse d’Assia.  « Formidable! Les criminels n’auront nulle part où se cacher si vous m’aidez. »

– « Où est votre personnel ? »

– « Tout le monde attend dehors. »

– « Très bien. Ayez l’amabilité de leur demander d’attendre encore un peu. Je n’ai pas encore pris mon petit déjeuner. »

– « Bien sûr! Je vous en prie, prenez votre temps. »

Assia avait les yeux rivés sur eux. Puis Rossignol entra dans la salle à manger. Elle lui emboîta le pas.  « Mon Dieu, est-ce là Sœur Rossignol ? Je ne l’ai jamais vue aussi digne et sérieuse… Non, ce n’est pas le mot qui convient. Elle est très hautaine. On dirait une aristocrate. »

« Une femme du peuple ne se comporterait jamais ainsi. 

D’ailleurs, cet homme est Comte. À Valencia, ce jeune Comte serait le parfait prétendant aux yeux des femmes. À la place de Sœur Rossignol, je serais trop nerveuse pour dire un mot. Mais elle ne semble pas s’en soucier et le fait attendre. »

– « Est-ce que tout va bien ? » Demanda Assia, inquiète.

– « Rassurez-vous. Son Altesse m’a expliqué que sur ses terres, l’aristocratie n’était qu’un titre. Le Comte ne vous mordra pas », répondit Rossignol en souriant. « De plus, sachez que le Bureau de la Sécurité est supérieur à l’Hôtel de Ville. En conséquence, je suis son patron. Pourquoi ne pourrais-je pas le faire attendre ? »

Assia eut soudain l’impression que cette femme devenait inaccessible.  

Le petit déjeuner terminé, ils quittèrent le château pour aller enquêter sur les lieux du crime. La nuit précédente, une nouvelle victime avait été retrouvée morte chez elle. Mais cette fois, c’était au coin de la Rue du Nord et de la Rue de l’Ouest.

– « C’est le quatrième », fit remarquer Rossignol en fronçant les sourcils. « Et le meurtrier se déplace vers l’ouest. »

– « Cela montre que le tueur s’est rendu compte qu’il n’est pas suffisant au niveau de l’impact de ne commettre des crimes que dans un quartier bien spécifique », acquiesça René. « Après tout, l’organisation des Rats n’existe plus. »

Non loin de là, dans une allée boueuse, le policier qui les précédait s’arrêta devant une cabane délabrée.

– « C’est ici, Monsieur. »

Assia suivit Rossignol dans la cabane et son cœur manqua un battement.

Un homme était allongé sur le sol, la gorge tranchée. Sur le mur face à la porte étaient peintes une couronne et une croix. L’odeur lourde et métallique du sang remplissait la pièce.

Elle porta la main à sa bouche pour ne pas vomir.