L’illusion disparue, un silence étrange se fit dans la salle.

Au bout d’un moment, Sophia soupira et dit :

– « Il n’est pas étonnant que votre sœur soit tombée en état de choc. C’est assez… terrifiant!

– « La possibilité de créer une illusion collective est très rare, mais pas nouvelle… » dit lentement Ayesha. « À l’époque de l’Union, je connaissais au moins deux sorcières possédant des pouvoirs similaires, dont une Sorcière Senior de la Cité des Météores. »

– « Combien de fois par jour pouvez-vous utiliser cette capacité ? » demanda Wendy. « Pouvez-vous contrôler  la période spécifique que vous voulez montrer au moyen de l’illusion ? »

Son Altesse avait l’habitude de pratiquer un examen complet de la capacité afin de chercher à comprendre ses caractéristiques, son efficacité et son utilisation.

– « Environ… deux ou trois fois par jour », murmura Assia.  « Par contre, qu’entendez-vous par période spécifique ? Voulez-vous savoir si je suis en mesure de vous montrer des choses récentes ou plus anciennes ? » Voyant Wendy acquiescer, Assia, embarrassée se frotta la tête : « Je n’ai jamais essayé mais je pense que ces choses-là exigent davantage d’efforts… »

Wendy ne put s’empêcher de rire :

– « Cela ne fait pas appel aux efforts mais au pouvoir magique à l’intérieur de votre corps. »

– « Le pouvoir magique ? »

– « Vous devez le sentir couler en vous comme de l’eau ou flotter comme un brouillard. Le fait d’utiliser votre capacité requiert de la puissance magique », explique Sophia. « Vous avez encore beaucoup à apprendre sur ce pouvoir. Je vous expliquerai tout par la suite. »

– « D’accord », acquiesça doucement Assia.  

Sur ce, Wendy demanda à la jeune fille de créer une nouvelle illusion en utilisant tout son pouvoir. Cette fois, elle réussit à montrer une scène vieille d’un jour et demi : les lumières brillaient dans la salle et les sœurs de l’Association étaient en train de dîner, assises devant la longue table.  Suite à cela, Assia, qui avait complètement épuisé son pouvoir magique, laissa retomber ses bras, haletante, le front en sueur.  

Wendy consigna les résultats des deux tests sur un carnet. Pour le moment, elle ne voyait pas d’utilité particulière à la capacité de Assia : « Ses illusions ne montrent que le passé mais ne peuvent pas prédire l’avenir. Nous allons donc devoir attendre que Son Altesse revienne et en juge. »

À cette pensée, elle put s’empêcher de se sentir un peu frustrée. Son Altesse lui avait dit un jour qu’il entendait faire de l’Association une organisation autonome et la nommer comme directrice. Cependant, elle n’était pas aussi bien informée que le Prince et ne pouvait pas entrevoir toutes les utilisations possibles des capacités de ses sœurs.

Remises de ses émotions, Wendy était sur le point de dire quelques mots d’encouragement à Assia lorsque Sophia lui fit signe.

Les deux sorcières se mirent à l’écart et Wendy demanda :

– « Qu’est-ce qui ne va pas ? »

– « Aviez-vous l’intention de proposer à Assia de rester ici si elle ne voulait pas rentrer chez elle ? » Demanda Sophia. « Avez-vous oublié que les sorcières doivent être contrôlées avant d’intégrer l’Association ? »

Wendy savait pertinemment qu’avant d’être acceptées, les sorcières étaient tenues de répondre à dix questions portant sur leur identité et leurs antécédents sous la supervision de Rossignol.

– « Ceci dit, je ne pense pas qu’Assia ait menti… Soraya a procédé à son identification et ses antécédents correspondent. De plus, elle vient tout juste de s’éveiller et ce n’est pas une sorcière de combat. L’Eglise elle-même ne pourrait prédire ça. »

– « Le pouvoir magique n’est pas la seule chose capable de nuire à quelqu’un. Un poignard ou même du poison peuvent avoir le même effet, voire même s’avérer plus efficaces. »

– « Comment pourrait-elle… »

– « Vous ne pouvez pas exclure cette possibilité », coupa Sophia. « L’Hôtel de Ville, qui est chargé de contrôler les résidents, ne va pas inspecter tous les foyers. Un Éveil soudain est donc le meilleur moyen de s’introduire au château… » Elle marqua une pause : « Je sais très bien que cette possibilité est infime, cependant, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre Son Altesse. N’oubliez pas qu’actuellement, Dame Tilly vit elle aussi dans le bâtiment réservé aux sorcières :  si quelque chose devait lui arriver, les relations entre Border Town et l’île Dormante seraient définitivement rompues et son Altesse aurait fait tous ces efforts pour rien. C’est beaucoup trop risqué. »

Wendy demeura silencieuse. Les inquiétudes de Sophia étaient sensées et ne visaient pas Assia en particulier, cependant, elle avait du mal de les accepter. En tant que première sorcière à s’éveiller depuis que Roland était devenu le Seigneur de Border Town, la jeune fille était considérée comme un espion ennemi potentiel. Cela lui brisait le cœur. Au bout d’un long moment, elle répondit :  

– « Je comprends. Je vais la ramener chez elle. »

– « Je vous accompagne », répondit Sophia en soupirant.

Elles n’avaient pas sitôt quitté le château qu’Assia s’anima. Elle prit la main de Wendy et se mit à poser des questions au sujet des sorcières et du Seigneur.

– « Qu’est-ce qui ne va pas ? » S’enquit Wendy après avoir répondu à toutes ses questions. « Pourquoi êtes-vous si heureuse de ne pas avoir à vivre au château ? »

– « Eh bien… » Embarrassée, Assia déglutit et baissa la tête : « J’ai entendu dire que le Seigneur, ou plutôt Son Altesse, était un homme terrifiant qui faisait de terribles ravages sur les femmes qui l’entourent. »

Wendy faillit s’étrangler de surprise :

– « D’où tenez-vous cela ? »

– « N’est-il pas le Prince Roland du Royaume de Graycastle ? J’en ai souvent entendu parler à La Cité des Aigles et il y a même des chansons folkloriques qui disent que le Second Prince est complaisant, que le Prince Roland est lubrique et que seule la Princesse Garcia, du Port des Eaux Claires est un bon dirigeant », murmura Assia.

– « Je vois… » Dit Sophia, intéressée. « C’est probablement une façon pour Garcia de faire sa propre publicité. C’est assez particulier. »

– « Le Prince n’est pas ce genre de personne ? » Demanda Assia.

– « Bien sûr que non », répondit Wendy en rougissant. « Vous découvrirez bientôt qu’il est le Seigneur le plus digne de la confiance des sorcières! »

En arrivant dans le quartier résidentiel où vivait la famille d’Assia, elles se dirigèrent vers une maison de deux étages et frappèrent à la porte.

La mère leur ouvrit.

– « Maman, je suis de retour! » S’écria la jeune fille, toute joyeuse.

– « Comment as-tu… » Elle marqua une pause et, paniqué, regarda les deux femmes : « A-t-elle fait quelque chose de mal ? Pourquoi ne la gardez-vous pas ? »

– « Le Prince n’est pas encore de retour, aussi… »

– « Elle peut très bien rester au château et attendre le retour de Son Altesse », répondit la mère avec impatience. « Assia est très obéissante. Elle est peut-être un peu lente, mais elle fera tout ce que vous lui demanderez de faire. »

– « Madame, L’Association de Coopération des Sorcières est loin d’être ce que vous imaginez… »

Wendy sentait la colère l’envahir mais Sophia l’interrompit avant qu’elle puisse terminer sa phrase.

Elle tira de sa bourse un Royal d’or et l’agita devant la femme :

– « Votre fille est bien une sorcière, aussi, nous signerons le contrat dès que Son Altesse rentrera. Voici votre salaire pour le premier mois. »

– « D’accord! », répondit la femme en regardant la pièce brillante. « Merci, Madame! »

– « N’oubliez pas de prendre bien soin d’elle au nom de Son Altesse, comprenez-vous ? »

– « Oui, Madame, je m’occuperai bien d’Assia. »

Une fois dehors, Wendy laissa éclater sa colère :

– « Comment avez-vous pu payer une aussi horrible femme ? Si vous vouliez payer d’avance, vous auriez dû remettre l’argent à Assia. »

– « Assia aurait-elle pu garder ce Royal d’or ? », répondit Sophia, choquée. « Si elle en est incapable, l’argent finira par tomber entre les mains de sa famille et si elle y parvient, elle sera rejetée, c’est pourquoi j’ai décidé de remettre l’argent à sa mère. Elle a tout le temps devant elle et si, grâce à ce Royal d’or, nous avons pu faire en sorte qu’elle ait une vie meilleure, alors nous avons fait une bonne affaire. »

Wendy réfléchit un moment et dit :

– « Vous avez raison, j’étais trop naïve. »

Devant ces revers consécutifs, Wendy, découragée, commençait à penser qu’elle ne ferait pas une bonne dirigeante pour l’Association.

– « Cependant, personne ne se soucie autant des sorcières que vous », dit Sophia avec un sourire, comme si elle avait lu dans ses pensées. « Après avoir fait partie de l’Association à l’époque où elle était dirigée par Cara, je me rends bien compte… qu’un chef digne de confiance se soucie sincèrement de ses sorcières et fait passer leurs intérêts avant toute chose, indépendamment de leurs capacités. C’est bien pourquoi vous êtes irremplaçable. »