La noblesse rebelle était impuissante contre la Première Armée. À chaque confrontation, une salve de tirs suffisait pour décider du vainqueur. La Première Armée n’avait même pas à recharger que déjà, l’ennemi fuyait, la queue entre les jambes. D’une manière générale, l’adversaire ne prenait pas la peine de se battre. Les soldats n’avaient qu’à les poursuivre pour les capturer.
Hache-De-Fer, qui nettoyait un territoire par jour, ne tarda pas à conquérir les régions gouvernées par les familles Elk, Wolf et Eglantine. Cependant, lorsque les troupes atteignirent les terres de la famille Erable, elles commencèrent à ralentir.
Elles étaient confrontées à quelque chose d’inattendu.
– « Bon sang, cet endroit est comme la Forteresse », dit Brian, furieux en regardant le château du Comte. « Il est protégé par un fossé! »
– « Quelqu’un a-t-il été blessé lors de la dernière série d’attaques ? » Demanda froidement Hache-De-Fer.
– « Deux malchanceux, l’un au bras et l’autre dans le dos alors qu’il reculait, mais apparemment, c’est sans gravité », répondit Brian, fronçant les sourcils. « Les soldats étaient très désavantagés car étant en contrebas, ils devaient tirer vers le haut, aussi, même si l’ennemi ne disposait que d’arc et d’arbalètes, il était tout de même en mesure de se battre. »
Hache-de-Fer savait que Brian avait raison. Personne ne s’attendait à ce que le château du Comte de la famille Erable soit semblable à une tour soutenue par des montagnes et des falaises. Les cours d’eau de la Chaîne des Montagnes Infranchissables étaient redirigés vers un fossé de cinq mètres de large qui contournait la bâtisse. Comme l’eau coulait constamment, malgré les quelques blocs de glace et de neige qui flottaient à la surface, les douves n’étaient pas complètement gelées. Pour entrer dans la tour, il fallait impérativement passer par la grille et franchir le pont. Or c’était là que les forces ennemies étaient particulièrement concentrées.
Il n’y avait nulle part où se cacher dans les environs du château. Tout n’était que pleines enneigées. Être situés en hauteur compensait le fait que les ennemis soient contraints d’utiliser des arbalètes. Après deux séries d’attaques, la Première Armée n’avait abattu que trois ou quatre hommes et subi de nombreuses pertes.
– « Si seulement nous avions emporté des canons », dit amèrement Brian. « Nous n’aurions eu qu’à tirer quelques boulets devant leur porte pour qu’ils se rendent en un rien de temps. »
– « Malheureusement, les troupes ne peuvent pas les amener ici car c’est bien trop loin de la Forteresse et la neige est trop épaisse. » Hache-de-Fer leva les yeux au ciel : « Arrêtons là pour aujourd’hui. Demandez aux troupes d’installer le campement. »
Le territoire de la famille Erable était situé au nord-ouest de la Forteresse de Longsong, près de la Chaîne des Montagnes Infranchissables et à la frontière de la Région de l’Ouest. Il leur avait fallu près d’une journée pour s’y rendre et la neige qui encombrait les chemins ne permettait pas le transport d’un canon de campagne de 12 livres.
Selon les rapports, la famille Erable avait très peu contribué à la rébellion à laquelle le Comte, pour sa part, n’avait pas participé. Cela signifiait que leurs ressources et leurs forces, réunies dans cette tour bien gardée, étaient intactes. Mais sans armes de siège, c’était difficile à gérer.
À la nuit tombée, les soldats allumèrent des feux de camp.
– « Qu’allons-nous faire demain ? » Demanda Brian en jetant du bois dans le feu. « Ordonner aux soldats de courir à travers la pluie de flèches ? Si nous parvenons à franchir cette fichue porte en acier, ils sont cuits. »
« Mais la Première Armée y laisserait des dizaines de soldats », se dit Hache-de-Fer. Pour toute réponse, il secoua la tête. S’il était encore à Iron Sand City, il n’aurait pas hésité à sacrifier sans regret des centaines d’hommes pour accomplir sa mission. Mais depuis qu’il était arrivé dans la Région de l’Ouest, il se sentait quelque peu protecteur envers ces soldats qu’il avait vu progresser et à qui Son Altesse Roland avait consacré tant d’efforts.
Après une longue pause, il soupira :
– « Faisons appel aux sorcières. »
– « Aux sorcières ? » Répéta Brian, stupéfait.
Hache-de-Fer non plus n’avait aucune envie de le faire. Le Prince lui avait dit un jour qu’une armée qualifiée devrait être en mesure de mener à bien sa mission de façon indépendante en tout temps. Cependant, ce n’était pas important pour le moment. Afin d’atteindre leur objectif qui était d’unifier la Région de l’Ouest en une semaine tout en minimisant les pertes, il était prêt à abandonner sa fierté.
En outre, Son Altesse avait également dit qu’un bon général se devait de répondre de la vie de ses soldats.
– « Envoyez un messager prévenir le Prince que nous sommes en difficulté et que nous avons besoin de l’aide de Melle Maggie », ordonna-t-il.
Le lendemain matin, Maggie et Foudre arrivèrent au campement.
– « Que s’est-il passé ? »
– « Goo Goo ? »
Hache-de-Fer s’éclaircit la gorge, toussa et expliqua son dilemme.
– « Les ennemis étant principalement concentrés au sommet de la tour, les fusils ne font que peu de dégâts. Il y a l’entrée qui est bloquée par une porte en fer et les soldats ne peuvent pas approcher suffisamment près pour placer des explosifs. Nous ne pouvons compter que sur vous pour ouvrir les portes. »
– « Nous avons compris », dit la jeune fille en se tapotant la poitrine.
Lancer des explosifs était une tâche familière pour elles qui s’étaient entraînées avec la Première armée. Hache-de-Fer hocha la tête et organisa immédiatement les soldats pour la dernière attaque : même si les explosifs n’avaient pas l’effet escompté, ils auraient au moins réussi à effrayer l’ennemi, se donnant ainsi suffisamment de temps pour détruire la porte d’acier.
– « Vous allez vous battre vous aussi ? » Demanda Brian, surpris, en voyant Hache-de-Fer charger un fusil sur son dos et fourrer quelques cartouches dans sa ceinture.
– « Il vaut mieux dire « battez-vous avec moi » que « battez-vous pour moi », répondit le commandant en souriant. « C’est ce que Son Altesse dit toujours. »
Alors que les deux hommes disposaient leurs soldats en position d’attaque, la silhouette de Maggie se dessina dans le ciel.
Elle avait pris l’apparence d’une bête géante et filait en direction de la tour tenant dans ses griffes un sac d’explosifs. Tout le monde fut témoin de ce spectacle étonnant et la Première Armée éclata en acclamations tandis qu’au sommet de la tour, c’était la panique. Les mercenaires et les gardes de la famille Erable tournèrent leurs arbalètes en direction de la bête et tirèrent, mais sans succès.
Pendant ce temps, Maggie rassembla ses forces, battit puissamment des ailes, s’éleva au-dessus du château et lâcha le sac. Tel un boulet de canon, le sac d’explosifs descendit sur la tour…
Puis le silence se fit et Hache-de-Fer vit une boule de feu monter du haut de la tour. Soudain, la terre se mit à trembler : on aurait dit que l’explosion avait secoué le monde entier tandis qu’à travers les flocons de neige, d’immenses colonnes de fumée s’élevaient. Une vague de chaleur le frappa au visage, l’obligeant à reculer de quelques pas. Ses oreilles sifflaient.
« C’est… la puissance de Dieu! »
Hache-de-Fer ne put s’empêcher de repenser à la première fois qu’il avait assisté aux essais de poudre à canon de Son Altesse, mais cette fois l’explosion était bien plus puissante. Il avait beau se trouver à une centaine de mètres, il pouvait sentir la chaleur cuisante de la boule de feu. Quant aux ennemis proches du Châtiment Divin, leurs destins étaient facilement imaginables.
Silencieusement, il adressa une prière aux Trois Dieux, leva son fusil et cria :
– « Pour Son Altesse le Prince : Première Armée, chargez! »
– « Pour Son Altesse! » Répondirent en écho les soldats qui se ruèrent vers le château du comte.
Cette fois-ci… personne n’osa les arrêter.
Lorsque Hache-de-Fer et ses hommes regagnèrent la Forteresse, la nuit du sixième jour tombait.
Toute la Région de l’Ouest était désormais sous le contrôle de Roland.