Pour son plan de construction, Roland mit en place un atelier avec tout l’équipement nécessaire pour construire un système efficace quant au projet des Trois Approvisionnements.
L’équipement complet comprenait une machine à vapeur, un moteur électrique, une unité d’alimentation électrique, une chaudière et deux réservoirs d’eau. Avec le château d’eau situé à l’extérieur de la salle, ils formaient les rouages du système.
La machine à vapeur pompait l’eau nécessaire au château d’eau et aux réservoirs. Le premier était destiné aux quartiers résidentiels pour les besoins domestiques, quant au second, il approvisionnait la chaudière et le système de chauffage. L’un des deux réservoirs était plus élevé. On y avait mis du calcaire et des pierres de lavage, utilisées pour adoucir l’eau en précipitant les ions de magnésium et de calcium. L’eau s’écoulerait alors dans le réservoir secondaire inférieur à travers un tamis fabriqué tout spécialement par Soraya et destiné à retenir les impuretés qui flottaient.
L’alimentation en eau de la chaudière était contrôlée par un moteur électrique. Lorsque le niveau d’eau de la chaudière était trop bas, le robinet à flotteur qui se trouvait à l’intérieur, démarrait le moteur électrique qui apportait de l’eau jusqu’à ce que le niveau redevienne normal. Ce procédé, bien plus stable que le contrôle manuel ou le système de moteur à vapeur, lui évitait d’avoir à mobiliser quelqu’un pour surveiller en permanence.
Les systèmes d’alimentation en eau et de chauffage ayant été testés avec succès, Roland était confiant : leur construction se déroulerait sans encombre. Pour le moment, il se concentrait sur l’alimentation électrique. C’était quelque chose de tout nouveau pour la ville. Ni Karl, ni les autres membres de la Guilde des Maçons ne connaissaient l’électricité. Etant donné que Roland ne s’y connaissait guère, ses notions concernant les circuits électriques remontant au secondaire, il décida de construire un modèle stable dans la cour. S’il réussissait, il en expliquerait le fonctionnement au Ministère de la Construction.
Le problème de la source d’alimentation étant résolu, l’étape suivante allait être la fabrication de cet emblème traditionnel de l’énergie électrique : une ampoule.
Dans cet esprit, Roland enfila un épais manteau et partit pour la cour du Versant Nord.
En principe, il fallait un quart d’heure de marche pour s’y rendre mais grâce au brouillard de Rossignol, ils ne mirent que quatre minutes.
Le Prince ouvrit la porte de bois et aussitôt, Anna et Lucia remarquèrent sa présence. Anna, qui était occupée, se contenta de lui adresser un signe de tête mais Lucia, toute joyeuse, se précipita vers lui.
– « Bonjour Votre Altesse! »
– « Bonjour », répondit Roland en souriant avant de se diriger vers Anna. « Que fabriquez-vous ? »
– « Les nouveaux canons de fusil et le mécanisme de verrouillage », répondit-elle gravement en désignant la table où se trouvaient plusieurs longs tubes d’acier. « Certains aspects de vos dessins n’avaient pas de sens. J’ai préféré les modifier. »
« Mon incroyable Anna », pensa Roland. Il ne put s’empêcher d’avancer la main pour lui caresser la tête mais elle se pencha en arrière pour y échapper. « J’ai déjà vu ça quelque part », se dit le prince. Il chassa ses pensées au sujet de la jeune femme, s’éclaircit la voix et répondit :
– « Très bien, faites comme bon vous semble. »
Roland ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’elle remette en question ses projets. Il savait pertinemment qu’il y aurait des erreurs et des lacunes en raison de son peu d’expérience en matière de conception. Il avait l’impression qu’Anna était non seulement plus talentueuse, mais aussi plus attentive aux détails et il était convaincu qu’un jour, elle serait plus compétente que lui.
Un moment plus tard, Anna, qui avait terminé son travail, posa ses outils. Elle s’approcha de Roland et inclina légèrement la tête.
« Est-ce pour compenser la caresse que vous m’avez refusée tout à l’heure ? », pensa Roland, surpris.
Il ébouriffa ses doux cheveux. Anna leva la tête, satisfaite :
– « Que faisons-nous à présent ? »
– « Ah, j’y pense! », dit le Prince en se tournant vers Lucia : « Comment s’est passé votre travail de séparation des minerais ? »
– « Presque fini! Voici les résultats », répondit Lucia. « Mais je crains qu’il ne faille beaucoup de temps pour tester les mélanges. Il y a beaucoup trop d’éléments. »
– « C’est déjà très bien », l’encouragea Roland.
Cela faisait partie de son plan d’amélioration des matériaux. Il avait déjà amélioré la qualité de l’acier laminé en réduisant la teneur en carbone et en éliminant les impuretés. À présent, on allait pouvoir utiliser tous les éléments de la mine du Versant Nord. Il faudrait les tester un par un. Il n’y avait pas de raccourci possible.
Roland jeta un coup d’œil sur les registres, en particulier sur les caractéristiques des éléments isolés des minerais récupérés dans les mines. Très vite, il identifia l’élément dont le point de fusion était le plus élevé. Posant le doigt sur l’échantillon qui portait le n°12, il demanda :
– « Où sont-ils? »
Aussitôt, Lucia lui apporta une pierre brute et un amas de particules élémentaires, tous deux scellés dans des sacs à l’enduit transparent.
Roland se dit qu’il avait déjà vu quelque part cette pierre noire et brute.
« Un instant : cette pierre n’est-elle la même que celle que l’on m’a un jour apportée dans mon bureau ? Je l’ai donnée aux alchimistes et depuis, je l’avais complètement oubliée.
Se pourrait-il que de toute la Montagne du Versant Nord, cette pierre soit le minerai dont le point de fusion est le plus élevé ? »
Anna n’ayant pas la possibilité de mesurer les températures exactes auxquelles les matériaux fondaient, elle les avait décrites en des termes comme ײnormalײ, ײélevéײ et ײrelativement élevéײ. Seul le point de fusion de l’échantillon de test n°12 portait la mention “extrêmement élevé”.
Les particules élémentaires contenues dans le sac étaient d’un blanc argenté, comme la plupart des éléments métalliques.
« Serait-ce du tungstène ? » Se demanda-t-il ? « Après tout, peu importe, à partir du moment où il ne fond pas facilement. »
Roland demanda à Anna de mettre ces particules sous la forme d’un fil très fin. Il le tordit en spirale et le fixa sur un support qu’il inséra ensuite dans une ampoule de verre. La partie principale d’une lampe électrique était terminée.
Pour obtenir une lumière stable, il y avait deux autres étapes, généralement considérées comme difficiles, dans la fabrication d’une ampoule électrique. La première consistait à faire le vide afin d’empêcher le filament de réagir avec l’oxygène et la seconde de la sceller afin de s’assurer que l’air n’y pénètre pas.
Seules les sorcières pourraient réaliser ces deux étapes.
Très vite, Roland pensa à Ayesha.
À haute température, le filament devenait extrêmement réactif. Il s’oxydait facilement, produisait de nouveaux oxydes et finissait par fondre, c’est pourquoi il était nécessaire de faire le vide à l’intérieur de l’ampoule. Cependant, il obtiendrait sans doute de meilleurs résultats s’il remplissait celle-ci avec un gaz inerte.
L’azote pur était tout indiqué.
Comme l’azote était plus léger que l’air, par une simple méthode d’échappement vers le bas, l’ampoule se remplirait facilement. Ce procédé était beaucoup plus simple que l’aspiration. Lorsqu’il n’y eut plus dans l’ampoule que de l’azote pur, Soraya la scella. Il venait de créer une ampoule à incandescence.
Roland regarda cette ampoule, pas plus grande que sa paume. Toutes sortes d’émotions le submergèrent. Cet objet, somme toute désuet, représentait pour l’heure le plus haut niveau d’avancée technologique.
Le soir suivant, il convoqua tous les membres de l’hôtel de Ville devant le château et ordonna à ses gardes d’éteindre toutes les torches de la cour.
Dans cette nuit noire et neigeuse, Roland ferma le circuit.
Soudain, au centre de la cour, une lumière orange se mit à briller. Contrairement à la lumière des bougies celle-ci ne s’éteignait pas et à la différence du feu, elle brillait de façon constante. Même si elle n’éclairait qu’un rayon de quelques mètres, jamais ces gens n’avait vu de lumière que le vent n’éteigne pas.
En cet instant, les faits parlaient d’eux-mêmes.
Le silence et les regards fixes étaient révélateurs.
Il venait de donner au monde l’électricité.