Enfin, Otto allait rencontrer le légendaire Prince Roland du Royaume de Graycastle!
Lorsque Carter avait eu la confirmation qu’il était bien un noble du Royaume de l’Aube, il l’avait emmené au château et fouillé tandis que des serviteurs lui apportaient de quoi se laver, des vêtements et un repas chaud.
C’était certainement l’accueil le plus offensant qu’on lui ait jamais fait.
Le Prince se trouvait dans une pièce exposée plein nord, au troisième étage du château. En entrant, le regard d’Otto fut immédiatement attiré par les portes fenêtres qui occupaient la moitié du mur. Le paysage enneigé éclairait la pièce, particulièrement chaude bien qu’aucun feu ne brûlât dans la cheminée.
Assis à une table d’acajou, le Prince lisait un livret à la couverture noire. Otto s’aperçut qu’il s’agissait de son carnet personnel. À côté du Prince, posés sur la table, se trouvaient ses documents diplomatiques et son sceau familial. De toute évidence, l’auberge dans laquelle il séjournait avait été fouillée de fond en comble.
Le Prince avait les mêmes cheveux gris que Timothy et leurs traits révélaient un air de famille, cependant l’impression qu’ils donnaient était complètement différente. Assis de cette façon, il semblait très décontracté, ce qui venait confirmer la rumeur selon laquelle le Prince Roland aimait persister dans ses vieilles habitudes.
En apercevant Otto, il ferma le carnet, sourit et dit :
– « Est-ce vous, le messager du Royaume de l’Aube ? Asseyez-vous, je vous prie. »
Otto s’inclina conformément à l’étiquette aristocratique. Quelle que soit la manière dont le Prince se comportait et même s’il ne se souciait guère qu’on se moquât de lui, Le jeune homme devait le faire car il représentait tout de même la maison royale du Royaume de l’Aube.
– « J’ai lu quelques-unes de vos notes », dit le prince en riant. « Certaines sont très détaillées. Il n’est donc pas surprenant qu’ils vous aient pris pour un espion. Mes gens ignoraient d’où vous veniez et s’ils se sont empressés de faire un signalement, c’est à cause de mes ordres. Je voudrais vous présenter des excuses. »
« Les gens… m’ont dénoncé ? » Otto fronça les sourcils. Cependant, aucune explication ne pouvait excuser une offense aussi grossière envers un noble, surtout si de surcroît, le coupable n’avait aucun titre de noblesse. S’il n’était pas chargé de mission, il aurait certainement demandé au prince de traduire en justice l’homme qui l’avait agressé. Otto retint ses émotions négatives au fond de lui et dit :
– « En aucun cas, Votre Altesse, vous le faites pour la tranquillité du peuple. Simplement… cela pourrait blesser des étrangers innocents et je crains que la plupart des gens ne soient pas en mesure de prouver leur identité comme je l’ai fait. »
– « Ne vous inquiétez pas à ce sujet. La collecte de preuves par le Ministère de la Justice n’a aucun rapport avec les documents d’identification. Nous avons toutes sortes de mesures pour protéger les personnes innocentes », expliqua le Prince. « Que dit le dicton ? On ne fait pas de tort à un homme bon mais on ne laisse pas partir un seul mauvais. » Il sourit et ajouta : « J’ai entendu parler de votre arrestation : si vous aviez obtempéré, vous n’auriez pas été blessé. Le procédé était peut-être un peu brutal, mais mes hommes ont agi avec réticence. Vous savez, certains parmi les plus mauvais pourraient à tout moment sortir une arme et rétorquer. Depuis le début de l’hiver, deux policiers ont été blessés lors d’arrestations. »
« Des policiers ? …Fait-il référence à ces patrouilleurs ? Et qu’est-ce qu’un Ministère de la Justice ? L’administration qui supervise ces hommes ? »
– « Ce genre d’incident se produit-il souvent ? »
– « Une ou deux fois par mois », répondit le Prince, « Avec cet hiver qui n’en finit pas, il faut croire que Timothy s’ennuie énormément. »
Le Prince montrait ouvertement son hostilité envers le nouveau Roi. Otto réalisa que les différends entre les deux parties étaient inconciliables. Il hésita un moment et dit :
– « Lorsque je me trouvais à la Cité du Roi, j’ai entendu une rumeur… Votre Altesse, avez-vous réellement l’intention de renverser l’autorité de Timothy ? »
– « La rumeur dit-elle également que le trône du nouveau roi est suspendu à un fil ? » Le Prince répondit sans ambages : « Timothy ne devrait pas être Roi. Pour usurper le trône, il a assassiné son père, fait porter son crime à son frère aîné et expulsé Garcia du royaume de Graycastle. Toute la Région du Sud a été détruite au cours de la guerre, laissant le peuple sans ressources ni foyer. Voilà les crimes qu’il a commis. Le seul moyen de restaurer la prospérité passée du Royaume de Graycastle est de renverser cet usurpateur. »
Otto retint son souffle : « Roland Wimbledon est plus actif que Timothy, du moins la détermination de Timothy au combat n’est pas si forte. On dirait que le statut et l’élan sont tous deux inversés. »
Il s’éclaircit la gorge et dit :
– « En tant que voisin amical, le royaume de l’Aube espère que le Royaume de Graycastle retrouvera bientôt la paix. Je suis venu vous apporter le pacte d’alliance de Sa Majesté Deegan Moya, le Roi de L’Aube. »
– « Ah bon ? » dit le prince, intéressé : « Où est-il ? »
– « Afin d’éviter que le message ne soit divulgué, je n’ai pas apporté le document avec moi, cependant, Sa Majesté m’a conféré le pouvoir de signer le pacte », expliqua Otto qui lui en rappela les termes. « Si nos deux pays parviennent à s’entraider, nous pourrons effectivement contenir l’Eglise et éviter de suivre le même chemin que les Royaumes de l’Éternel Hiver et de Wolfheart. »
– « Vraiment ? »
La réaction du Prince laissa Otto perplexe. « Qu’est-ce que cela signifie ? Je pense avoir été clair » pensa-t-il. Il était sur le point de tout reprendre lorsque le Prince secoua la tête :
– « Ce projet ne marchera peut-être pas : la détermination de l’Eglise à annexer les Quatre Royaumes est beaucoup plus forte que vous ne le pensez. De plus, ils ont leur Armée du Châtiment Divin et leurs sorcières. Vos troupes en faction le long de la frontière pourraient bien être encerclées et détruites par l’ennemi sans avoir eu seulement le temps de partir. »
– « l’Armée du Châtiment Divin et… les sorcières ? », demanda Otto, surpris.
– « Visiblement, vous ne savez rien de l’ambition de l’Eglise », répondit le Prince Roland. Il prit une gorgée de thé et poursuivit : « Je vais vous faire part de ce que nous en savons. J’espère que vous pourrez rapporter tout ceci au Royaume de l’Aube afin que votre Roi puisse réexaminer ce pacte d’alliance. Si nous voulons vaincre l’Eglise, la dissuasion ne suffira pas. Il nous faut préparer une grande offensive. »
L’entretien se poursuivit jusqu’au soir. Lorsqu’enfin le Prince reposa sa tasse, les terres sauvages et les bois derrière lui étaient plongés dans le noir. Une étrange lumière éclairait la pièce, plus claire et plus pure que la flamme d’une bougie, mais Otto n’était pas dans des dispositions suffisantes pour le remarquer. Ses vêtements étaient trempés d’une sueur froide au niveau du dos et sans s’en rendre compte, il serrait les poings. Il avait les mains moites et les paroles du Prince résonnaient dans sa tête.
« Des sorcières utilisées pour créer des guerriers extraordinaires… des sorcières de combat qu’ils forment en secret… des Purifiées… En éliminant les Quatre Royaumes, l’Eglise s’apprête à lancer la prochaine bataille de l’Apocalypse!! » »
Cependant, de nombreux détails coïncidaient avec les informations qu’il avait recueillies, à savoir la Pilule qui rend fou que l’Église utilisait pour affaiblir la résistance du royaume, ces véhicules qui transportaient des orphelines vers la Cité Sainte et leur attitude envers les nobles vaincus : Si le but de l’Eglise était d’éradiquer totalement l’influence de la noblesse pour créer leur propre royaume, ces informations prenaient tout leur sens.
– « Je… je ne peux pas me permettre de prendre une décision », bégaya Otto. « Tout ceci est bien trop grave, je dois d’abord en référer à Sa Majesté. »
– « Bien sûr. Pour nos deux pays, c’est une question de vie ou de mort », répondit calmement le prince. « Vous ne sauriez être trop prudent, mais n’oubliez pas, le temps nous est compté. »
Otto se dirigeait vers la porte, prêt à partir, lorsqu’il se retourna et dit après une courte hésitation :
– « Votre Altesse, j’ai entendu dire que vous aviez recruté des sorcières à Border Town… Je me demandais si le nom d’Andrea vous disait quelque chose… »
– « En effet, c’était une noble dame originaire du Royaume de l’Aube, mais malheureusement, elle s’est retrouvée sans abris. Par la suite, elle est venue vivre au Royaume de Graycastle. » Le prince leva les sourcils et demanda : « Pourquoi ? Vous la connaissez ? »
– « Oui! », répondit Otto, le cœur battant. « M’autoriseriez-vous à la voir ? »
Le prince hocha la tête :
– « Je peux tenter de vous arranger une entrevue, cependant c’est à elle de décider si elle veut ou non vous rencontrer. »
– « Andrea n’est pas votre… »
Roland secoua la tête, sourit et répondit :
– « Les sorcières qui vivent ici sont des citoyennes et non des servantes. Je n’ai pas le droit de les manipuler. »