Cela faisait une semaine qu’elles campaient sur la montagne lorsque Foudre repéra la troupe aux abords de la porte nord.
Comme Rossignol l’avait prévu, la délégation des émissaires de l’Eglise était composée de 25 soldats en armure de l’Armée des Juges montés sur des étalons. Derrière eux suivaient une centaine de mercenaires et de croyants.
Au milieu du cortège se trouvaient deux carrosses. La Sainte était sans doute dans l’un d’eux.
Les cinq sorcières suivirent discrètement le peloton qui se dirigeait vers la ville de Redwater.
Elles avaient prévu d’attendre que celui-ci soit hors de vue de la tour de la Crête du Dragon Déchu pour attaquer. Ainsi, ils pourraient difficilement appeler du renfort.
De son brouillard, Rossignol regardait l’un des carrosses : elle aperçut vaguement la lumière argentée du pouvoir magique à travers la silhouette déformée du véhicule.
Si la jeune femme avait agi seule, elle aurait sans doute réussi à tuer la Sainte mais il n’était pas garanti qu’elle parvienne à se débarrasser de tous les ennemis. À présent, avec l’aide des sorcières de l’Île Dormante, elle avait davantage de chances de faire en sorte que l’information ne sorte pas du Territoire du Sud.
Ce peloton éliminé, Hermès n’apprendrait rien, au moins jusqu’au printemps. Il leur serait alors très difficile d’enquêter sur ce qui était arrivé à la délégation.
Rossignol détestait tuer, mais cette fois, c’était une décision intentionnelle.
Cela allégerait le fardeau de Son Altesse et contribuerait à protéger la Montagne Sacrée des sorcières.
Elle n’aurait aucun remords à le faire.
Alors que les émissaires entraient dans la forêt, Rossignol vit une ombre sombre se rapprocher.
C’était Maggie. Elle resserra ses ailes et fondit vers eux en rugissant. Effrayés, les chevaux se mirent à hennir et s’enfuirent dans tous les sens. Choqués, abasourdis, les gens regardaient, les yeux écarquillés.
Mais contrairement à ce à quoi ils s’attendaient, au lieu de se précipiter sur eux pour les mordre et les piétiner, la bête géante déploya ses ailes juste au-dessus de leurs têtes et alla se poser un peu plus loin, laissant derrière elle une tempête. En raison des fortes rafales de vent, ceux-ci avaient du mal de garder les yeux ouverts. Soudain, quelqu’un sauta du dos de la bête.
– « Attaque ennemie! » Crièrent les Juges à la délégation.
En entendant cela, les croyants prirent leurs armes et se mirent à frapper l’inconnue au beau milieu de la troupe.
Le champ de vision de Rossignol était rempli de lignes noires et blanches recouvertes de trous noirs capables de les protéger des sorcières ordinaires, mais pas de Cendres, l’Extraordinaire.
Elle coupa en deux tous les croyants qui se trouvaient à sa portée comme si elle fauchait du blé. Autour d’elles, les gens tombaient les uns après les autres. Afin que Maggie puisse emporter une seconde sorcière, elle n’avait pas emmené sa lourde épée légendaire mais une épée de fer ordinaire. Très vite, celle-ci se fissura et se brisa au cours du combat. Elle ramassait les armes que les ennemis avaient lâchées : une hallebarde, un bâton, parfois un marteau de fer ou un coutelas. Tout ce qui se trouvait dans sa main devenait une arme mortelle.
Le sang éclaboussait et les corps furent mis en pièces. Seule au milieu des troupes, Cendres les massacrait.
Les mercenaires à l’arrière, eux-mêmes en difficulté, pouvaient difficilement venir en aide à la section intermédiaire.
Telle une fée, Andrea sautait dans la forêt. Elle se cachait derrière des branches et des troncs d’arbres et à chaque fois qu’elle changeait de position, la sorcière décrochait des flèches. Elle visait les ennemis entre les sourcils et chacun de ses tirs était mortel.
En moins de dix minutes, tout le peloton devint une véritable pagaille.
Des cris, des pleurs et le bruit des armes résonnaient.
Aussitôt, Rossignol rejoint le combat. Elle se précipita dans sa brume et suivit de près sa seule et unique cible : la Sainte, la chasseuse de sorcières. Les chevaux effrayés traînèrent les carrosses sur un bon bout de chemin avant de se calmer. Mais au lieu de revenir vers les troupes, ils quittèrent la route principale et s’enfoncèrent dans la forêt, chacun de leur côté.
Visiblement, la Sainte s’était aperçue que parmi ses ennemis, il y avait une adversaire de taille : une Extraordinaire. Aux yeux de la plupart des sorcières, une Extraordinaire portant une Pierre du Châtiment Divin était invincible.
Malheureusement, elle ne pouvait pas échapper au contrôle de Rossignol.
Celle-ci avait depuis longtemps repéré sa position.
Dans l’autre carrosse se trouvaient probablement des Prêtres et Prêtresses de haut rang.
Maggie et Foudre s’en chargeraient.
Bien que la voiture de la Sainte filât en cahotant sur le chemin forestier, le cocher continuait à fouetter les chevaux comme si quelqu’un le pressait d’accélérer.
Rossignol se rapprochait. Afin d’être certaine de porter un coup fatal à chacun de ses tirs, elle n’appuyait sur la gâchette que lorsqu’elle se trouvait à moins de dix mètres de la cible et en parfait alignement avec elle. La sorcière visa les quatre soldats qui suivaient le carrosse pour les tuer un par un. Au bruit que fit le révolver, les Juges se dispersèrent aussitôt mais Rossignol, dans sa brume, n’était plus qu’à quelques pas. Leurs armures étaient plus un handicap qu’une protection face à des balles de gros calibre. En effet, traversant ces armures qu’elles déformaient et fissuraient, celles-ci faisaient davantage de dégâts sur un corps humain.
Débarrassée des quatre Juges, la sorcière pointa son arme sur les chevaux.
Ceux-ci s’écroulèrent et le fragile carrosse de bois, emporté par son élan, heurta un tronc d’arbre et vola en éclats.
Une personne enveloppée de lumière argentée émergea des décombres. Sans hésiter, Rossignol visa et tira mais on aurait dit que cette lumière magique était intelligente : elle bloquait les balles une par une.
Elle s’éloigna pour recharger son arme.
– « Traitresse! » cria la Sainte, furieuse, en marchant droit vers Rossignol, pourtant dissimulée.
Cette fois, la situation était différente.
La lutte n’avait pas lieu dans une petite pièce. À chaque pas que Rossignol faisait, il en fallait au moins dix à la Sainte pour la rattraper et la portée effective d’un revolver, d’environ 50 mètres, dépassait la zone d’influence de la capacité d’une sorcière. Le fouet d’argent pourrait difficilement atteindre Rossignol alors qu’à tout moment, une balle était susceptible de toucher la Sainte et de mettre fin à ses jours.
À cette distance, seuls un ou deux tirs sur cinq pouvaient atteindre la cible, mais heureusement Rossignol avait le temps de recharger et de continuer à tirer.
Au bout de cinq cartouches, la lumière argentée s’estompa. Une balle avait frappé la Sainte à l’épaule gauche et une seconde lui traversait l’estomac. Elle fit quelques pas chancelants et s’effondra sur le sol.
Rossignol ne se précipita pas. Elle retourna à l’endroit où la voiture s’était effondrée pour ramasser une Pierre du Châtiment Divin puis, seulement, se dirigea vers la Sainte. Comme durant le combat, celle-ci ne se déplaçait qu’autour du carrosse, il était donc plus facile de fouiller le site après coup.
Lorsque la sorcière couverte de sang aperçut Rossignol, elle étendit soudain la main droite, seule partie de son corps qu’elle pouvait encore bouger, et constata que sa lumière argentée ne la transperçait pas ainsi qu’elle l’aurait souhaité.
– « Maudit démon, Dieu vous jugera! » Dit-elle en serrant les dents.
Du sang jaillit de sa bouche.
Rossignol pointa froidement son révolver sur sa poitrine et répondit :
– « Vraiment ? J’attendrai ce jour avec impatience. »
Puis elle appuya sur la gâchette.