Chapitre 41, L’apparition des premières bêtes démoniaques
Ainsi que Brian l’avait annoncé, lorsque la neige commençait à tomber sur Border Town, c’était pour durer.
En une nuit, la ville fut couverte d’une couche de givre blanc. Tôt dans la matinée, la neige tombait déjà moins. On ne voyait que quelques flocons, mais le temps était gris. Roland ne parvenait pas à se faire à l’idée qu’il pourrait ne pas voir le Soleil durant plusieurs mois
C’était tout simplement illogique, pensait-il, même s’il trouvait déjà étrange que la magie soit une chose commune dans ce monde. Cependant, comment les bêtes démoniaques pouvaient-elles avoir un impact sur le ciel? Malheureusement, il n’existait pas de satellites météorologiques pour observer les formations nuageuses de ce monde.
Tandis qu’il marchait sur la route en direction du secteur ouest du mur de la ville, Carter ne put s’empêcher de s’exclamer : « La ville est déserte, beaucoup de gens ont suivis les nobles quand ils se sont retirés! »
– « C’est aussi bien, au moins, ils ne nous retarderont pas », répondit Roland dont la respiration était visible dans le froid. « J’ai organisé un recensement dont Barov se chargera durant l’hiver. »
– « Qu’est-ce qu’un recensement ? »
– « Il s’agit de statistiques obtenues en faisant du porte à porte à chaque maison pour compter le nombre de personnes qui vivent là, en leur demandant leur nom et le métier qu’elles exercent. Tout cela sera ensuite consigné », expliqua Roland. « En conséquence, durant la guerre, nous saurons combien de ressources humaines nous pouvons déployer, et après la guerre, le versement des pensions pourra être mis en œuvre rapidement et efficacement. »
– « Heu… quoi ? » Carter cligna des yeux, confus, et se mit à rire : « Votre Altesse, vous n’êtes vraiment pas le même qu’auparavant. »
– « Oh ? »
– « Dans le passé, vous disiez quelque chose, et je ne comprenais pas. Vous faisiez des choses insondables et mystérieuses. Et maintenant…» Carter s’interrompit, il semblait réfléchir à ce qu’il allait ajouter. « Que ce soient ces étranges règles de formation ou les nouveautés de l’atelier alchimique, les résultats furent étonnamment efficaces. C’est peut-être ce que voulait dire mon grand-père lorsqu’il avait coutume de dire : ‘les gens extraordinaires sont extraordinaires car ils ont la capacité de toujours voir des possibilités que les gens ordinaires ignorent’. J’ai l’impression que vous avez vraiment une chance de devenir Roi. »
– « … Ouais, » soudain, Roland eut chaud au cœur. Existait-il un sentiment plus agréable que celui de voir ses efforts reconnus par d’autres ? Pendant un court instant, il se sentit revigoré, et le ciel gris ne lui sembla plus aussi déprimant qu’auparavant.
Lorsque le prince arriva devant le mur, la milice, qui avait déjà enlevé toute la neige, s’inclina pour lui rendre hommage.
Roland se dit au passage qu’ils allaient également devoir apprendre à saluer. Il demanda
« Comment cela s’est-il passé cette nuit ? »
– « Aucune trace des bêtes démoniaques », répondit Hache-de-Fer, « Votre Altesse, si l’on se base sur l’expérience des années passées, nous devrions encore bénéficier d’un laps de temps relativement stable après la première chute de neige. Au cours de cette période, il y’ a beaucoup plus d’animaux normaux que de bêtes démoniaques, et les espèces que l’on pourrait être amenés à rencontrer resteront parmi les plus faibles. »
Roland hocha la tête :
– « Restez vigilant. »
Les murs arrière avaient été transformés en caserne. Ainsi, en l’absence de danger, la plupart des gens pouvaient rester au camp pour s’y reposer et reprendre des forces. Compte tenu des basses températures hivernales, Roland mit en place un système de rotation. Chaque équipe effectuerait deux heures de patrouille avant d’être remplacée.
Toutes ces mesures étaient définies par Roland. Il avait demandé à Brian ce qu’il en était à la Forteresse Longsong et avait appris qu’ils n’avaient aucun système de rotation. Les nouvelles recrues étaient assignées à l’observation des mouvements des bêtes démoniaques et devaient rester en garde toute la journée. Par conséquent ils s’affaiblissaient, au point que les soldats désertaient. Au cours de l’hiver, vingt à trente personnes furent pendues pour cause d’abandon du devoir ou de violation des ordres militaires.
S’ils trouvaient des traces de bêtes démoniaques, c’était toute une histoire car personne n’était assigné à la défense de leurs propres secteurs. En considérant le niveau atteint par l’art de la guerre au cours de cette période, Roland l’avait déjà clairement compris. Ils accordaient une attention particulière à l’honneur et à la valeur personnelle, et insistaient même sur le pillage. Même les chevaliers étaient en première ligne lorsqu’ils attaquaient une ville, mais ils n’avaient pas trop besoin de piller.
Roland fit une nouvelle ronde le long du mur et estima que tout allait comme sur des roulettes, mais il avait ignoré un problème.
C’était les barrages routiers.
Ceux-ci étaient encore nettement visibles, prêts à diriger les bêtes démoniaques vers la partie droite du mur, mais si ce que Brian avait dit était vrai et que la neige vienne à tomber sans interruption sur une période de deux à trois mois, les bêtes démoniaques ne verraient pas ces barrages et attaqueraient la totalité de ce mur de six cent yards de long. Sa force milicienne était visiblement trop petite pour gérer un champ de bataille de cette taille.
Envoyer des soldats pour enlever la neige était une mauvaise idée, car certaines espèces comme les loups démoniaques étaient extrêmement agiles. Par conséquent, il perdrait certainement des soldats.
Peut-être devrait-il s’en remettre au pouvoir des sorcières.
Par exemple, il pourrait laisser Rossignol emmener Anna hors de la ville pour faire fondre la neige avec son feu puis revenir .De la même façon qu’elle avait amené Nana chez la famille Pine.
À cet instant, il entendit l’appel d’un observateur sur sa gauche.
– « Regardez devant! »
Roland et Carter regardèrent dans la direction indiquée. Là, un groupe de petites ombres rampait en sortant de la neige, évoluant lentement en la direction du mur.
Le chasseur qui contrôlait cette section de défense se tourna vers Roland et demanda :
« Votre Altesse, vous dites oui ou non… »
– « Gérez la situation comme à l’entraînement, puis jugez par vous-même de la situation pour déterminer si vous devez souffler la corne », dit Roland, « à ce stade, vous êtes plus expérimenté que moi. »
Le soldat hésita, mais il relâcha finalement la corde de son arbalète et se posta un peu plus loin près du mur pour observer.
Roland hocha la tête avec satisfaction. Pour le moment, tant qu’on ne connaissait pas le nombre de bêtes démoniaques susceptibles d’attaquer Border Town, il était très important de maintenir l’ordre sur le mur. Après tout, ils pourraient rapidement organiser leur défense selon les étapes suivies auparavant.
Peu à peu, les ombres se rapprochaient du mur. Lorsqu’elles ne furent plus qu’à 50 mètres, Roland put clairement les distinguer.
Probablement une variante de renards ?
Leur fourrure était grisâtre et leurs yeux rouges. Arrivés devant le mur, ils haletaient fortement.
– « On dirait que ça ne fait pas longtemps qu’ils se sont transformés en bêtes démoniaques. Ils ne représentent pas une menace », dit Hache-de-Fer en les visant avec son arc.
– « Vous voulez dire qu’ils ont été infectés par le Souffle de l’Enfer émis à l’ouest ? »
– « Cela n’arrive pas qu’à l’Ouest », dit Carter qui arrivait, « les portes de l’enfer peuvent s’ouvrir n’importe où dans les montagnes, il n’y a pas d’endroit sûr. Au Nord, un chemin particulièrement important est souvent aux prises avec les bêtes démoniaques. Là, il semble
qu’une partie de la chaîne interminable de montagnes ait été interrompue. Depuis plus d’une décennie, les attaques principales des bêtes démoniaques prennent cette direction. »
Les monstres fous ne s’attardèrent qu’un court instant à la base du mur avant de lever la tête et de lâcher des grognements sombres en direction des personnes présentes, tout en se préparant à sauter. Mais Hache-de-Fer relâcha la corde de son arc et sa flèche pointue pénétra avec précision le cou de l’une de ces bêtes, la clouant fermement au sol.
Roland remarqua que le sang qui sortait de la bête était noir.
Les bêtes démoniaques et les sorcières se dégradaient de la même façon, mais pourquoi les sorcières pouvaient-elles garder leur conscience et être sauvées après leurs éveils, quand les animaux se transformaient toujours en bêtes folles tandis que leurs corps mutaient ? Si j’en ai l’opportunité, il faudra que j’aille voir la Montagne du Désespoir, pensa Roland. Dans la mémoire du prince, c’était un endroit où aucun être humain ne pouvait mettre les pieds, là où les Portes de l’Enfer s’ouvraient. Cependant, parce que personne ne l’avait jamais visité, la plupart des connaissances provenaient de livres anciens, et il n’avait aucun moyen de vérifier les rumeurs. Aussi avait-il des doutes concernant les Portes de l’Enfer.