Même les plus jeunes étudiants des académies de Mages avaient ressenti ces curieux tremblements élémentaires. Des Divinités aux initiés des académies, beaucoup s’étonnèrent de l’ampleur du phénomène que même une centaine de Sorts Interdits lancés simultanément n’auraient pas réussi à provoquer.

– « Que se passe-t-il, Grand-père Beyrouth », demanda Bébé, intrigué.

– « Ceci est dû au Roi Feu Bleu, de la Prison Planaire. Je suppose que vous le connaissez! Il se prépare à reconstruire sa terre natale. »

– « Pardon ?! » S’écrièrent Linley et Bébé, stupéfaits. « Recréer un continent ? »

– « Ce Feu Bleu est complètement fou », soupira Beyrut. « C’est peut-être un Dieu Supérieur mais pour ce faire, il va devoir fournir une énorme quantité de pouvoir divin et d’énergie spirituelle. Il ne s’agit pas d’une simple petite île! »

– « Parce qu’il est possible de générer un continent ? » Demanda Bébé qui n’osait pas y croire.

Beyrouth hocha la tête.

– « Feu Bleu possède deux clones de niveau Dieu Supérieur et a atteint un niveau de pratique effrayant pour ce qui est des mystères des Lois. Il est donc suffisamment puissant pour créer un continent sur un plan matériel. Ceci dit, je continue à penser qu’il est un peu fou. »

« Fou ? » Se dit Linley en regardant vers le Sud.

La création d’un continent était un spectacle étonnant et un exploit que, sans doute, seuls les experts du niveau de Feu Bleu étaient en mesure d’accomplir.

Pendant ce temps, dans les Mers du Sud, région la plus éloignée de tout le continent Yulan, on aurait dit que les eaux s’étaient mises à bouillir tandis qu’un air brûlant s’échappait des fonds marins dont on pouvait voir s’élever du magma en fusion.

Dans les airs, au-dessus de cette fontaine de lave sous-marine, dans l’espace déformé par une furieuse concentration d’Essences Élémentaires du Feu, semblable à une Divinité Céleste, se tenait Leylin alias Feu Bleu, vêtu d’une longue tunique rouge sombre.

Ses deux frères, qui étaient restés à des dizaines de kilomètres de là, se regardèrent :

– « Notre frère est vraiment fou », soupira l’homme à la robe blanche. « Il fait jaillir une énorme quantité de lave en provenance des fonds sous-marins de ce volcan. »

– « Heureusement que notre frère est plus qu’expert en ce qui concerne les Lois Élémentaires du Feu. »

Leylin, en effet, était célèbre pour sa maîtrise en ce domaine, d’où son surnom. Pour tout dire, son clone d’affinité Feu était bien plus fort que son autre de style Terre, ce qui était peu dire.

Un énorme flux de magma montait des profondeurs et, de temps à autre, un millionième de cette quantité phénoménale venait crever la surface des eaux tandis que la grande majorité se solidifiait dans la mer pour former des roches.

Cette lave s’étendait sur des centaines de milliers de kilomètres mais usant de sa capacité de contrôle, Leylin fit en sorte qu’elle se concentre dans un secteur restreint à dix mille kilomètres. De cette façon, à mesure qu’elle se solidifiait en refroidissant au contact de l’eau, celle-ci diminuait également dans ce secteur.

À certains endroits, on pouvait déjà voir des rochers émerger de la surface et la mer n’y avait plus que quelques centaines de mètres de profondeur. Cet exploit, apparemment inconcevable dans la Mer du Sud, Feu Bleu l’avait accompli.

– « La suite va être difficile », dit Burgess, les yeux fixés sur la silhouette de Leylin. « Notre frère va devoir contrôler une immense quantité de particules élémentaires de la Terre pour former un continent. Or il maîtrise beaucoup moins bien les Lois Élémentaires de la Terre que celles du Feu. »

L’homme à la robe blanche acquiesça, les yeux toujours rivés sur Feu Bleu.

Leylin poussa un long soupir, étendit ses deux mains et prit le contrôle de l’immense quantité d’Essence Élémentaire de la Terre. Aussitôt, roches et terre se déplacèrent vers les dix mille kilomètres de lave solidifiée, créant ainsi un manque dans la région environnante sur des centaines de milliers de kilomètres. L’espace se déforma et une onde élémentaire se créa sous l’effet du déplacement de cette quantité phénoménale de particules.

L’intensité des vibrations sur ces centaines de milliers de kilomètres causa une calamité phénoménale pour les créatures marines dont bon nombre avaient déjà péri suite au jaillissement de lave.

Mais à la vitesse où les choses allaient, il faudrait sans doute dix à quinze jours à Leylin pour achever la création du continent.

Il fronça si fort ses sourcils écarlates qu’on aurait dit que ceux-ci se touchaient :

« C’est beaucoup trop lent! » Pensa-t-il. « De toute évidence, ce n’est pas aussi simple que je ne l’aurais cru. »

Soudain, il se divisa en deux et l’un de ses clones divins, celui qui portait une tunique dorée, disparut, comme désintégré. Aussitôt, sur des centaines de milliers de kilomètres, les roches et la terre affluèrent de plus en plus vite.

– « Le pouvoir divin de mon clone d’affinité Terre sera certainement épuisé après cela », murmura son clone de Feu vêtu d’une tunique rouge sombre.

En revenant sur le continent Yulan, Leylin avait eu l’amère surprise de s’apercevoir que sa terre natale avait été totalement détruite et le continent entier englouti. De ce fait, il avait eu l’idée d’invoquer une rivière de lave, pensant que, la mer n’étant pas très profonde, ce ne serait pas si difficile.

Mais entre créer un manoir élémentaire et un continent entier, il y avait deux.

Dans son palais impérial de l’Empire O’Brien, Adkins, le front plissé, regardait vers le Sud tandis que Barnas, à côté de lui, attendait respectueusement.

– « Le Seigneur Feu Bleu est vraiment audacieux », fit remarquer Adkins.

– « Il faut une quantité phénoménale d’énergie spirituelle et de pouvoir divin pour créer un continent », commenta calmement Barnas.

– « Certes », répondit Adkins avec un petit rire. « Mais il fait davantage appel à son clone d’affinité Terre, ce qui signifie que son double de type Feu n’en sera guère affaibli. »

« Feu Bleu est vraiment puissant », pensa-t-il en baissant la tête.

Il demeura un long moment silencieux.

Barnas, de son côté soupira : « Mon jeune maître est bien trop têtu et compétitif. Il n’aime pas l’idée que quelqu’un lui soit supérieur, mais il ne faut pas oublier qu’à Gebados, il était bien inférieur aux cinq Rois. S’il décidait de se rendre dans les Plans Supérieurs où les experts sont encore plus nombreux, il ne serait certainement pas l’un des meilleurs. Les trésors de la Nécropole des Dieux… sont son seul espoir. »

Barnas savait pertinemment qu’Adkins n’était pas près de renoncer.

– « Je ne peux plus attendre », dit soudain ce dernier en se retournant.

– « Seigneur, vous… » 

– « Feu Bleu étant tout à la création de son continent, il n’a pas l’énergie de se soucier de nous. C’est l’occasion rêvée. Appelle immédiatement Ojwin et les deux autres. »

Barnas prit une profonde inspiration et étendit son sens divin en direction des susnommés.

« Le jour dont dépend toute une destinée… » pensait Adkins qui, quoiqu’il affichât un visage calme, était particulièrement excité.

Très vite arrivèrent Ojwin, Hanbritt et Gatenby qui, respectueusement, fléchirent le genou : 

– « Seigneur Adkins. »

– « Je veux que vous m’accompagniez jusqu’à la Forêt des Ténèbres. »

Ojwin et les deux autres, perplexes, se regardèrent. Tous avaient ressenti les incroyables vibrations et voilà qu’ils recevaient l’ordre de se rendre dans la forêt sans aucune explication. Ils réprimèrent donc leur curiosité et le suivirent.

Linley était toujours au château métallique en compagnie de Beyrut.

– « Ainsi, vous voulez faire en sorte que Bébé comprenne mieux les Profonds Mystères des Lois ? » Demanda-t-il, étonné en apprenant la raison pour laquelle Beyrut voulait que ce dernier demeure chez lui. Étant entendu qu’une fois qu’il en maîtriserait une, Bébé pourrait quitter le château.

– « Grand-père », intervint celui-ci, visiblement peu ravi. « Ne nous pressons pas en ce qui concerne les Lois. Pourquoi tenez-vous tant à ce que je reste ici et qui sait combien de temps il me faudra ? »

– « Sois tranquille », répondit Beyrut. « J’attends seulement de toi que tu maîtrises le plus simple des Profonds Mystères de l’Essence des Ténèbres. De plus, ton grand-père a payé à prix d’or un trésor destiné à te venir en aide. »

Linley parut surpris. Un trésor susceptible d’aider quelqu’un à se former aux Lois Élémentaires ?

– « Un trésor ? » S’exclama Bébé, les yeux brillants. « Est-il particulièrement précieux ? »

– « Ne pose donc pas tant de questions », répondit Beyrut. « Reste ici et ne déçois pas ton grand-père. »

Linley insistant et le réconfortant, Bébé, qui était intrigué par le trésor en question, finit par accepter. Son grand-père, il le savait, était extrêmement riche et s’il disait qu’il avait payé très cher ce trésor, ce ne devait pas être quelque chose de banal.

Soudain, Beyrut fronça les sourcils et appela :

– « Harry! »

Un personnage d’apparence humaine fit aussitôt irruption dans le salon.

– « Occupe-toi de Bébé. Ne le laisse pas faire n’importe quoi », dit Beyrut. « Je dois m’absenter un moment. »

– « Comptez sur moi, père », répondit respectueusement Harry.

– « Vous Linley, vous venez avec moi », ajouta Beyrut avec un sourire.

Après avoir fait leurs adieux à Bébé, tous deux quittèrent le château. Tandis qu’il volait aux côtés de Beyrut, Linley, un peu intrigué, se demandait : « Pourquoi partir si brusquement ? Hé mais… Ne sont-ce pas… ? »

Il venait d’apercevoir au loin plusieurs silhouettes précédées d’Akins, dont Ojwin qu’il haïssait particulièrement pour avoir assassiné le fils de Cena et ses épouses. 

« À la première occasion, je le tue », pensa-t-il, n’ayant encore jamais eu l’opportunité de venger cet acte haineux.

– « M. Beyrut! » S’exclama Adkins, un large sourire sur le visage. « Vous êtes là aussi Linley ?! »

– « Rentrez pour le moment, Linley », dit Beyrut.

Linley s’inclina, salua Adkins et prit seul la direction du Sud. Mais il ne put s’empêcher de regarder en arrière : « À mon avis, le Seigneur Beyrut savait qu’Adkins et ses acolytes arrivaient. Que se passe-t-il donc ? »

Surplombant la Forêt des Ténèbres, on pouvait voir, face à face, le jeune Adkins à la tunique dorée et le vieux Beyrut en tunique noire. C’était plutôt surprenant.

– « Allons chez vous pour bavarder, Monsieur Beyrut. »

– « Inutile, nous sommes très bien ici », répondit aimablement son aîné, très calme.

Adkins était tout sourire.

– « Très bien », répondit-il en étendant son Royaume Divin pour empêcher Olivier, entre autres, de les entendre. « Si je ne me trompe, la dernière fois que je vous ai vu, vous m’avez dit qu’il fallait attendre mille ans pour voir s’ouvrir la Nécropole des Dieux ? »

– « C’est exact », approuva Beyrut, le regard légèrement amusé.

– « Je sais qu’il vous est arrivé, dans un intervalle d’approximativement un mois, d’ouvrir la nécropole deux fois de suite, une fois pour les Saints, une autre pour les Divinités. J’imagine que la décision vous revient, Monsieur Beyrut ? »

– « Tout à fait, dans la mesure où le tout-puissant Souverain n’a pas encore défini de périodes précises. »

Le sourire radieux d’Adkins s’enflamma littéralement :

– « C’est merveilleux! » S’écria-t-il. « Monsieur Beyrut, pourriez-vous l’ouvrir un peu plus tôt pour nous ? »

– « Plus tôt ? » Fit Beyrut, étonné.

– « Oui! Demain, par exemple! Voulez-vous bien y réfléchir ? » Demanda Adkins, plein d’espoir. 

– « Eh bien… » Beyrut prit un moment pour réfléchir tandis qu’Adkins attendait, très excité. Finalement, il hocha légèrement la tête : « C’est envisageable ».