Nail sentit son cœur bondir dans sa gorge.

En cet instant, on aurait dit que le temps avait ralenti. Il fixait la bête démoniaque géante sans cligner des yeux, priant en secret pour que les nouveaux canons atteignent la cible. Mais la bête, toujours intacte, continuait sa course.  

Trente secondes plus tard, une colonne de neige vola loin du monstre.

« Ça ne présage rien de bon. »

Le cœur de Nail s’effondra. Comme le monstre ne se dirigeait pas vers la sixième section du mur de la ville, il laissait un angle de pointe entre les canons. L’unité d’artillerie devait constamment ajuster l’angle de leur couleuvrine tout en estimant la vitesse à laquelle la bête se déplaçait pour anticiper le tir. À défaut, l’obus atterrirait quelque part derrière la cible. C’était exactement ce qui était en train de se produire.  

Etant donné la vitesse de tir de l’artillerie de campagne, il ne leur restait qu’une dernière chance avant que le monstre n’atteigne le mur!

Nail apercevait déjà la fourrure épaisse qui recouvrait le corps de l’ennemi ainsi que sa grande bouche cramoisie sous les défenses. Les sorcières venaient dans cette direction, probablement dans le but d’arrêter ce monstre. Pourtant, toutes les quatre étaient bien plus minces que les pattes de la bête. Allaient-elles réussir, aidées de leur seule magie ?

Il était si anxieux et inquiet qu’il aurait voulu courir vers la sixième section du mur et rappeler à l’équipe de canons de viser en avant. Cependant, comme il y avait des surveillants des deux côtés de chaque section, il réprima cette impulsion car on l’aurait probablement accusé d’être un lâche s’il venait à quitter son poste sans permission. Lord Hache-de-Fer avait déclaré à plusieurs reprises que tout comportement susceptible de briser la ligne de défense étaient formellement interdits. Celui qui se faisait prendre risquait d’être abattu sur le champ par l’équipe de surveillants.  

La bête démoniaque était déjà entrée dans le champ de tir des fusils. Une série de rafale retentit sur les remparts. 

Nail n’eut pas d’autre choix que de continuer sa mission, plaçant un à un les chargeurs déjà préparés à côté des tireurs.

C’est alors qu’un second rugissement fit trembler le sol, moins de trente secondes après le premier tir des canons.

– « Ç’est… rapide!? »

Surpris, Nail regarda en direction de la sixième section du mur. La fumée au-dessus du museau ne disparaissait pas et il s’en échappait continuellement, à tel point que le canon ressemblait à une pipe en argent. Mais le plus stupéfiant restait à venir. Il n’eut même pas le temps de remarquer si l’ennemi avait été abattu ou non qu’à nouveau, des flammes éblouissantes jaillissent.

Le troisième tir!

« Bon dieu, ils ne rechargent donc pas les ogives ? »

Nail distinguait bien quatre ou cinq personnes occupées à travailler à l’arrière du canon, mais aucune n’approchait du museau. Apparemment, ce nouveau canon était tout à fait différent de l’artillerie de campagne courte et épaisse : il pouvait tirer coup sur coup, un peu comme un révolver!

Cette fois, le tir s’avéra efficace.

Nail ne vit pas l’ogive pénétrer dans le corps du monstre mais pour la première fois, une brume de sang jaillit d’un côté de la bête géante. Il vit projeter des bouts de fourrure déchiquetée ainsi que de gros morceaux de chair. Soudain, la bête démoniaque se mit à trembler. Son corps entier semblait avoir un peu dégonflé et des stries ridées comme des ondulations à la surface de l’eau apparaissaient sur sa peau épaisse. Nail ne fut pas certain qu’il ne s’agissait pas d’une illusion car dans la minute qui suivit, le corps reprit son aspect normal, à l’exception des globes oculaires du monstre qui avait été poussés vers l’avant lorsque le corps s’était aplati. Des cavités jaillirent quelque chose d’épais et de mou de couleur noire et blanche.

Avec un bruit sourd, la bête géante s’affala de toute sa longueur sur le sol, couchée sur le côté sans même un grognement d’agonie. C’est alors que Nail aperçut l’endroit où l’obus avait frappé. Près du cou de la bête, il y avait un grand trou. Cependant, comparé à ce corps robuste, celui-ci était si insignifiant qu’il était difficile de faire le lien entre ce trou et le tir  fatal qui venait de se produire. Des volutes de fumée sortaient du trou et les morceaux de fourrure à proximité étaient noircies.

Le monstre des Enfers était mort!

Nail ne put retenir son enthousiasme et évacua toute l’anxiété de son cœur dans un grand cri :

– « Vive Son Altesse! »

Même un ennemi aussi farouche et terrifiant n’avait pu résister à la puissante arme inventée par Son Altesse! En dehors de ce nouveau canon, rien n’aurait pu venir à bout de cette énorme bête hybride. Quand bien même une  sorcière y serait parvenue, cela n’aurait pas été aussi propre. Quelque part, Son Altesse leur avait fait don d’un pouvoir supérieur, comparable à celui des sorcières!

Les soldats firent écho à son cri qui généra un tumulte. Au départ, seules les nouvelles recrues répondirent avec une grande clameur, bientôt suivies des vétérans qui ne purent s’empêcher de serrer les poings.

Du sommet des remparts éclatèrent de bruyantes acclamations :  

– « Vive Son Altesse! »

Ce n’est qu’après la bataille que Roland fut informé qu’une énorme bête avait été tuée à l’aide du nouveau canon.

Il enfila un manteau de laine et se précipita vers le Mur de l’Ouest. Le corps gigantesque de la bête démoniaque était toujours là, couché, son sang faisant fondre la neige autour d’elle en une marre d’eau noire.

Apparemment, malgré toute l’horreur qu’inspiraient ces montres, ce n’était que des organismes à base de carbone. Confrontés à la poudre à canon et à l’acier, ils étaient aussi faibles qu’une feuille de papier.

L’ogive, déstabilisée en pénétrant dans le corps de la bête, s’était mise à tourner sur elle-même, transmettant ainsi son énergie cinétique dans tout le torse et traversant le monstre en tourbillonnant. Comme on pouvait le voir,  l’autre côté du corps de la bête était complètement déchiré, ses organes internes dispersés et ses os brisés. Sa tête elle-même, qui était la partie la plus dure, avait été brisée sous l’effet du choc énergétique et s’était effondrée.  

Cependant, il n’était pas complètement rassuré.

« La résistance osseuse des créatures est limitée. Apparemment, cette bête fait plusieurs fois la taille d’un éléphant : comment se fait-il qu’elle ne soit pas écrasée par son propre poids ? C’est la raison pour laquelle les animaux terricoles ont des corps beaucoup plus petits que les créatures marines : ils ne peuvent pas surmonter l’attraction liée à la gravité. »

Cela aurait-il quelque chose à voir avec un pouvoir magique ? Rossignol avait dit un jour qu’elle voyait des pouvoirs magiques dans le corps de certains hybrides.

– « Comment est-ce possible ? » Demanda Ayesha qui venait d’arriver, en écarquillant les yeux. « N’est-ce pas là un Monstre Terrifiant des Enfers ? »

– « De quoi parlez-vous ? Est-ce ainsi que vous appelez cette bête ? » Demanda Roland, curieux. « En aviez-vous déjà vu dans les plaines fertiles ? »

– « Oui et lorsqu’elles se sont présentaient en groupe, elles étaient aussi dangereuses pour les sorcières que pour les Diables. Des villes et des villages entiers  ont été dévastés par les Monstres Terrifiants des Enfers », expliqua Ayesha d’une voix sèche : « Mais on ne les voyait qu’à l’approche de la Lune Sanglante. »

– « À l’approche de la Lune Sanglante ? »

Roland se rappela soudain ce qu’il avait lu dans le livre antique : « Lorsque vous verrez la Lune Sanglante dans le ciel, les Portes de l’Enfer s’ouvriraient à nouveau. » Il fronça les sourcils et demanda :

– « Qu’est-ce que cela signifie ? »

– « Cette information s’est transmise depuis la première Guerre de la Volonté Divine, au moment où lorsque le pouvoir magique était le plus fort. L’apparition de sorcières apportait la puissance magique, mais les Diables et les bêtes démoniaques devenaient eux aussi extrêmement puissants », dit nerveusement Ayesha. « J’ai parcouru le livre d’histoire que vous m’avez donné : j’en ai déduit que la Lune Sanglante n’apparaitrait pas avant 20 ou 50 ans. L’émergence de tels monstres est impossible. »

– « Pourtant, en voici un », répondit Roland d’une voix grave. « Qu’est-ce que cela signifie ? »

– « Cela signifie que nous n’avons plus beaucoup de temps. »

Note: Attention, après concertation, nous avons choisi de changer certains prénoms:

-Nana devient Naela

-Scroll devient Sophia

-Leaves devient Chloris