Linley eut un frisson en se souvenant des paroles de Muba :

« L’un des cinq Rois, le Seigneur Feu Bleu, de la Cité du Feu Bleu, est quelqu’un de très secret. Non seulement il est extrêmement puissant, mais il ne se montre presque jamais. On ne sait même pas s’il habite toujours la cité. Et là-bas, le Seigneur Adkins est celui qui se place juste après lui en matière de renommée et d’autorité. »

Linley jeta un coup d’œil à Leylin.

« Serait-ce… le fameux Feu Bleu, l’un des cinq Rois de Gebados ? »

Nul n’aurait pu dire quel âge avait cette prison où étaient regroupées d’innombrables Divinités. Cependant, cinq hommes se démarquaient, que l’on appelait respectueusement les Rois. Et pour être qualifiés ainsi dans une prison planaire, n’importe qui avec un peu de bon sens aurait compris combien ces hommes étaient puissants.

– « Relevez-vous, Adkins », dit-il en souriant calmement. « Et cessez de m’appeler Seigneur car étant donné que nous avons quitté Gebados, je ne suis plus le Seigneur de la Cité du Feu Bleu. »

– « Peut-être », répondit Adkins, « mais le respect que j’ai pour vous, Seigneur Feu Bleu, ne changera jamais. »

C’est dire combien sa renommée était impressionnante ! Les cinq Rois, en effet, étaient considérés comme invincibles. 

– « C’est…c’est donc vous, Feu Bleu ? » Demanda Bébé, étonné.

– « Pourquoi ? Je n’ai pas le physique de l’emploi ? » Répondit Leylin en riant.

– « Ce n’est pas ça. Seulement, j’ai entendu le patron dire que Feu Bleu était terriblement puissant, aussi j’ai pensé qu’il devait avoir pour supérieur des Dieux Supérieurs. Par ailleurs, je pensais que Feu Bleu était le véritable nom de ce Roi de Gebados. »

Leylin se mit à rire de bon cœur.

– « Pourquoi aurais-je nécessairement besoin de m’entourer de Dieux Supérieurs ? Pensez-vous que ce soit le seul moyen pour moi de faire valoir mon statut ? »

Adkins sourit à son tour :

– « Pourquoi le Seigneur Feu Bleu aurait-il besoin de subordonnés ? Les Dieux Supérieurs ne sont rien devant lui. Et je ne plaisante pas : c’est en prouvant leur puissance dans le massacre que les cinq Rois de Gebados ont prouvé leur titre. » 

De ces cinq Rois, Feu Bleu était celui qui s’était entraîné le moins longtemps et pourtant, c’était le plus impressionnant.

Cet homme, également connu sous le nom de Zacharias Leylin, avait soudain pris de l’importance au sein de la prison en remportant chacun des combats qu’il menait. Les Dieux Supérieurs eux-mêmes s’inclinaient devant lui et à ce jour, nul n’avait pu l’emporter contre lui.

– « Feu Bleu n’est rien de plus qu’un surnom », répondit Leylin en souriant.

– « Ceci dit », intervint Adkins, « C’est un nom que tous les experts de Gebados reconnaissent et auquel ils se soumettent. Qui, à la prison, n’a pas entendu parler de la Bataille de la Rivière Bleue ? »

Leylin eut un petit rire.

Aussi arrogant que puisse être Adkins, il se rabaissait devant cet homme. Jamais la pensée de lutter contre lui ne lui aurait traversé l’esprit, car il savait qu’il ne pourrait pas endurer un seul coup de Leylin, dont le surnom venait justement de cette fameuse Bataille de la Rivière Bleue.

Beaucoup étaient morts de peur devant lui, persuadés qu’il était le plus puissant des cinq Rois. Bien entendu, cela n’avait jamais été prouvé : la prison planaire était bien trop vaste et chacun des Rois vivait dans une région différente. Par ailleurs, ils évitaient de se faire l’ennemi l’un de l’autre, ce qui était d’autant plus facile qu’à Gebados, il n’y avait pas de trésors susceptibles de susciter des conflits.

« C’est vraiment un expert de très haut niveau! » Pensa Linley, qui n’en vénérait que davantage ce Leylin qui avait atteint le sommet hiérarchique de Gebados et inspirait à Adkins une crainte révérencielle.

– « Ne restez donc pas là, Adkins », dit-il en désignant un siège. « Venez-vous asseoir près de Linley. »

Adkins, qui bien sûr, n’aurait pas osé désobéir, s’inclina respectueusement :

– « Merci, Seigneur Feu Bleu », dit-il avant de prendre place aux côtés de Linley à qui il adressa même un sourire amical.

Linley n’eut pas d’autre choix que de le lui rendre.

Bébé, qui se trouvait près de lui, laissa échapper un petit ricanement qui n’échappa pas à Adkins. Ce dernier haussa les sourcils, le regarda et sourit :

– « Vous êtes certainement Bébé. »

Pour toute réponse, ce dernier se contenta de grogner.

– « Je comprends votre mécontentement », reprit Adkins. « Tout ce qui est arrivé autrefois était la faute de mes gens. »

Linley et Bébé le regardèrent, un peu surpris.

– « De quoi parlez-vous, Adkins ? » Demanda Leylin.

– « Une affaire sans importance, Seigneur Feu Bleu. L’un de mes subordonnés, un Dieu nommé Ojwin et qui avait quelques griefs contre notre ami Linley ici présent, a demandé à plusieurs Dieux sous mon commandement de l’accompagner jusque chez lui pour se venger. Finalement, c’est moi qui ai perdu des hommes. »

– « Vraiment ? » Fit Leylin, intrigué.

Linley et Bébé se regardèrent.

– « Il semblerait, Patron, qu’Adkins cherche à vous présenter des excuses », dit mentalement ce dernier.

– « je n’en suis pas aussi sûr », répondit Linley, perplexe.

Un Dieu Supérieur sur le point de s’excuser ?

– « Viens un peu ici, Barnas », dit Adkins. « Je sais que tu as perdu un clone divin au cours de cette bataille, mais n’oublie pas que c’est toi et tes hommes qui en ont pris le risque. En y réfléchissant, tout est votre faute. Présente donc tes excuses à Linley et Bébé. »

Les deux concernés étaient stupéfaits.

Mais Barnas obtempéra :

– « Je suis vraiment désolé, messieurs, de ce qui s’est passé cette année-là », dit-il d’un air contrit.

– « Ne le soyez pas, M. Barnas. Je sais très bien que c’est Ojwin qui est à l’origine de tout ceci », dit Linley, rendant respect pour respect. « J’imagine qu’il vous a trompé. »

– « Soyez tranquille, Linley », dit Adkins. « Je vous garantis qu’Ojwin ne vous posera plus de problème. »

Linley sourit intérieurement. Olivier n’aurait donc plus à se cacher dans la Dimension Miniature.

Tandis qu’Adkins et Barnas rendaient visite à Leylin, dit Feu Bleu, au Mont du Gong de Cuivre, Ojwin, de retour dans l’Empire O’Brien, bavardait avec Hanbritt et Gatenby autour d’un verre de vin. Depuis une vingtaine d’années, ils entretenaient d’assez bonnes relations.

Barnas, qui bénéficiait d’un statut spécial, n’était pas très proche d’eux.

– « Cette étonnante onde d’énergie venue de l’Ouest a certainement été générée par un Dieu Supérieur », grogna Gatenby.

– « En effet, mais cela ne nous concerne pas », répondit Ojwin en souriant. « C’est un problème entre eux. Nous pouvons boire tranquillement. »

Hanbritt secoua la tête :

– « Si je pouvais obtenir une Étincelle Divine de niveau Dieu Supérieur, je deviendrais aussi puissant qu’eux. Mais j’ignore combien de temps je vais devoir attendre avant de pouvoir en obtenir une. »

– « Moi aussi j’en rêve », soupira Ojwin.

Soudain, Hanbritt posa sa coupe et, légèrement ivre, dit en souriant :

– « Je vais vous confier un secret, Ojwin. »

– « Un secret ? Mon œil ! », intervint Gatenby en riant. « Barnas et moi nous le connaissons déjà ! »

Hanbritt roula de grands yeux :

– « Je sais que vous êtes au courant… Mais pas Ojwin. »

Intrigué, ce dernier le fixait des yeux.

– « Il faut que je vous dise, Ojwin : le Seigneur Adkins garde une Étincelle Divine de niveau Dieu Supérieur dans son anneau inter spatial. »

– « Comment ?! » S’écria l’intéressé, bouleversé.

Il avait toujours rêvé d’en acquérir une et, pour le moment, il ne lui restait plus que son clone Divin d’affinité Lumière. Qui sait, peut-être cette étincelle était-elle justement compatible ?

 – « C’est vrai », intervint Gatenby « mais nous ne savons pas à quel élément elle appartient. Je suis certain d’une chose, cependant : elle n’est ni d’affinité Foudre, ni d’affinité Terre. »

– « Comment pouvez-vous en être si certain ? » S’empressa de demander Ojwin.

– « Le Seigneur Adkins n’en a pas besoin personnellement et vous connaissez tous le lien qui l’unit à Barnas. Il la lui aurait donnée depuis longtemps si celui-ci était en mesure de l’utiliser. Comme son clone Divin d’affinité Terre a été détruit au Château du Sang de Dragon, il ne lui reste plus que son corps d’affinité Foudre, ce qui me permet de faire cette déduction. »

– « C’est exact », approuva Ojwin. « Et vous ne pouvez pas l’utiliser non plus, mes amis ? »

– « N’étant que ses hommes de main, nous sommes tous les trois bien inférieurs à Barnas aux yeux de Sa Seigneurie. Comment pourrait-elle envisager un seul instant de gaspiller une Étincelle Divine pour nous ? » Souligna Hanbritt.

– « Chaque fois que j’y pense, je me sens mal à l’aise. Allez, buvons ! » S’empressa de répondre Gatenby.

Ojwin leva précipitamment sa coupe. Des plans germaient dans son esprit…

Sous les hurlements du vent, on pouvait voir dans les airs un beau jeune homme suivi d’un autre aux cheveux gris argentés.

Alors que, avant de s’envoler du Mont du Gong de Cuivre, Adkins était tout sourire et courtoisie devant Feu Bleu, Linley et Bébé, il ne put s’empêcher d’exprimer sa frustration:

« Si le Seigneur Feu Bleu se cache lui aussi sur le continent Yulan, il y a neuf chances sur dix pour que ce soit aussi pour les trésors de la Nécropole des Dieux », pensa-t-il, d’autant plus confus qu’il les convoitait également. « Comment pourrais-je rivaliser avec lui ? »

Or, il savait très bien que jamais il ne pourrait se défendre contre Leylin, qui avait gagné sa renommée en faisant couler le sang.

– « Avez-vous l’intention de capituler, Monseigneur ? » Lui demanda Barnas par le biais de son sens divin.

Adkins prit une profonde inspiration :

– « Capituler ? C’est impossible ! » Puis, devant la surprise de Barnas, il ajouta : « Dans le pire des cas, je mourrai, mais si je réussis, je pourrai réduire le pouvoir de Feu Bleu. Puisque je ne peux le combattre de front, il ne me reste plus qu’une solution… » dit-il, le regard soudain plus assuré : « Nous voici de retour dans la capitale impériale. »

Aussitôt, tous deux amorcèrent leur descente en direction du palais.

Sitôt arrivé, Adkins convoqua Ojwin qui, apprenant que ce dernier voulait le voir, laissa tout tomber et accourut aussitôt.

– « Monseigneur », dit-il, le genou à terre.

– « Je sais que votre fils est mort, mais dorénavant, je vous ordonne d’oublier votre désir de vengeance et de ne plus causer de problème à quiconque au sein du Château du Sang de Dragon. »

Ojwin en resta stupéfait. S’il s’était calmé au cours des vingt dernières années, cela ne voulait pas dire qu’il avait renoncé à son désir de venger son fils, désir qui était gravé dans son cœur.

– « M’avez-vous entendu ? » Grogna Adkins.

– « C’est extrêmement important pour Sa Seigneurie », intervint Barnas. « Si vos petites affaires personnelles venaient faire échouer ses plans majeurs, vous n’auriez pas assez de votre vie pour le payer. »

À ces mots, Ojwin se prosterna :

– « Soyez tranquille, Seigneur Adkins. À compter de ce jour, je vous promets de ne plus causer le moindre problème aux habitants du Château du Sang de Dragon et d’oublier ma vengeance. »

Mais au fond de lui, il pensait : « oublier ma vengeance ? Plutôt mourir ! Je vais me retenir pour un temps et dès que j’aurai obtenu cette Étincelle Divine… »

– « Vous pouvez disposer », dit calmement Adkins.

– « Très bien », répondit Ojwin en s’inclinant, après quoi il quitta la pièce.