Des armes qui permettent aux civils de vaincre les Extraordinaires ?
Après le départ de Wendy, Ayesha réfléchit à ce qu’elle avait entendu.
Savaient-ils vraiment ce qu’était une Extraordinaire ?
Malheureusement, elle n’avait pas de Pierre d’Évaluation pour déterminer clairement les pouvoirs et les caractéristiques de ces sorcières.
Elle attendit très longtemps avant que Rossignol ne fasse son apparition sur le pas de sa porte :
– « Son Altesse vous invite à assister aux essais de son nouvel armement. Si vous ne souhaitez pas… »
– « Je viens », marmonna-t-elle. « Conduisez-moi je vous prie. »
Lorsqu’elle aperçut le Prince encore groggy qui baillait, Ayesha eut soudain envie de lui envoyer de la glace. Mais comme ce geste aurait pu être mal interprété par les sorcières, la jeune femme garda ses pensées pour elle.
Alors qu’ils quittaient le château, elle aperçut pour la première fois la ville entière en plein jour.
Sur un fond enneigé, la première impression qui lui vint à l’esprit était que cette ville était très ordonnée. Ces maisons à deux étages, qui se ressemblaient, toutes étaient bien alignées avec leurs silhouettes blanches assorties et leurs toits de tuiles rouges. Les routes sombres, droites comme des flèches, divisant la ville en sections égales de forme carrée. Vu de loin, le paysage semblait se résumer à une succession de maisons, d’arbres, de rues et ainsi de suite.
Le centre-ville de Taquila lui-même n’était pas aussi ordonné!
Cependant, elle avait l’impression que cette ville ne pouvait se comparer à la sienne. Hormis le château, aucun bâtiment ne méritait que l’on s’y attarde et le château lui-même n’était pas comparable à la Tour de la Société de Recherches de Taquila dans toute sa splendeur.
« Ce n’est qu’une petite ville », railla-t-elle intérieurement. La jeune femme se tourna vers Rossignol et demanda : « Combien de personnes vivent ici ? »
– « Euh… Ils étaient un peu plus de 2 000, mais avec les réfugiés du Nord et du Sud, ils sont aujourd’hui près de 30 000. »
– « 2 000! Et il prétendait pouvoir vaincre les démons… Quel stupide… une seconde : 30… 30 000 ? » Ayesha, stupéfaite, écarquilla les yeux. Même à son apogée, Taquila ne pouvait accueillir que 50 000 personnes. Comment cette ville minuscule pourrait-elle en héberger 30 000 ?
« Elle ne comptait pas la population des villages environnants, quand même ? »
Même si ces maisons carrées, faites de briques, semblaient plus spacieuses que les cabanes de bois, l’augmentation de la population ne se limitait pas à une simple addition de chiffres. Lorsque la population aurait atteint un certain seuil, les demandes de la ville augmenteraient de façon exponentielle. D’abord, les besoins en nourriture et en eau allaient considérablement augmenter. Ensuite, les problèmes de sécurité publique se multiplieraient du fait de l’augmentation des bidonvilles et enfin, l’élimination des déchets finirait par poser un sérieux problème.
Vers la fin de la seconde Bataille de la Divine Volonté, Taquila s’était retrouvée confrontée à toutes ces questions. Suite à l’effondrement de nombreuses grandes villes, de plus en plus de gens affluaient vers la Ville Sainte. La surpopulation non seulement n’avait pas contribué à renforcer la défense mais avait plutôt paralysé la ville. Afin de régler la crise, L’Union dut expulser par la force une partie des réfugiés.
Depuis cette expérience, Ayesha savait à quel point la croissance de la population était difficile à gérer. La jeune femme observa l’attitude décontractée de sa compagne : elle n’avait pas tout à fait confiance. Peut-être Rossignol n’avait-elle aucune idée de ce dont elle parlait et lui mentait, tout simplement.
– « À l’avenir, je devrais poser ce genre de questions à Wendy », pensa-t-elle. « Elle au moins semblait plus sincère. »
Après avoir traversé les rues bondées de la ville, la sorcière suivit le Prince et le groupe qui l’accompagnait sur des remparts faits de terre. Ces murs, qui n’étaient guère élevés, étaient également loin d’être robustes. Il n’y avait ni pointes, ni douves. Les Diables n’auraient même pas besoin d’équipement pour escalader ce mur : ils pourraient le faire à mains nues.
Elle se sentait de plus en plus désappointée.
Tous les cent pas, il y avait des sortes de plateformes saillantes au sommet de ces remparts qui semblaient réservées aux balistes. Quelques pas plus loin, Ayesha aperçut enfin l’arme qui devait faire l’objet des tests du jour.
Son aspect bien particulier retenait l’attention de tous.
C’était un tube de métal semblable à une lance de fer, mais d’un plus gros diamètre et sans fer de lance. Il était entièrement lisse et d’une légère teinte argentée mais n’avait pas l’air d’une arme métallique. Les parties aux extrémités du tube étaient légèrement compliquées. En plus d’un support stabilisateur, deux tubes plus courts étaient attachés au-dessus et en dessous du grand tube. Cette arme, qui n’avait ni poulie ni fente destinée aux flèches, ne ressemblait en rien à une grosse arbalète ou à un trébuchet.
Elle ne parvenait toujours pas à comprendre comment cette chose pouvait attaquer les ennemis.
– « Voici la toute nouvelle arme de Border Town : le canon de forteresse modèle 152 mm, symbole de justice et de gloire! » S’exclama le prince en agitant les mains. « Nous avons fait de nombreuses améliorations sur la base du canon de campagne de 12 livres. Celui-ci est exceptionnel à tous les égards, c’est sans aucun doute une arme révolutionnaire! »
Ayesha ne put s’empêcher de froncer les sourcils. Toutes ces discussions sur la justice, la gloire et les normes du canon de forteresse semblaient extrêmement superficielles. Quant à la longue présentation, ce n’était qu’une série de paroles toutes faites. Etait-ce là le Prince, que Wendy avait présenté comme quelqu’un d’instruit en qui toutes les sorcières avaient mis leur confiance ?
Rossignol fut la seule à applaudir et l’atmosphère devint un peu embarrassante.
Roland s’éclaircit la gorge :
– « Ne perdons pas notre temps, commençons les essais. Hache-de-Fer, préparez-le. »
– « À vos ordres, votre Altesse. » Trois hommes portant les mêmes uniformes se levèrent aussitôt et se mirent au travail.
Debout sur le côté, Ayesha suivait chacun de leurs mouvements dans l’espoir de comprendre le fonctionnement de cette arme.
Elle vit un homme glisser une pièce de métal à la fin du tube et aussitôt un autre y bourra un objet pointu orangé puis referma la pièce de métal.
– « Rapport : préparation terminée, prêts à lancer! »
– « Couvrez-vous tous les oreilles », dit le Prince en mimant le geste. Il hocha la tête et cria : « Feu! »
Ayesha s’apprêtait à demander : « Attendez… la préparation prend si peu de temps ? » lorsqu’un énorme ײboomײ retentit près de ses oreilles. Sa tête se mit aussitôt à bourdonner et l’environnement devint silencieux. Le long tube de métal cracha une boule de flammes orange, aveuglante mais fugace. C’est alors qu’elle sentit l’immense puissance de feu et le mur se mit à trembler sous ses pieds. Une vague de chaleur surgit qui la fit reculer de quelques pas. Le canon lui-même s’affaissa pour revenir ensuite à sa position initiale.
Rossignol qui s’était glissé derrière elle pour la rattraper à temps semblait lui dire quelque chose, cependant, elle n’entendait que de faibles murmures, comme si sa voix venait de très loin. Enfin, le bourdonnement cessa et elle put à nouveau entendre normalement.
– « Vous allez bien ? »
Elle secoua la tête et regarda en direction des champs enneigés, mais rien n’avait changé.
Ces flammes ne servaient-elles qu’à intimider l’ennemi ?
– « Avez-vous vu où le projectile est tombé ? » Demanda le Prince à une sorcière aux cheveux verts.
– « Derrière une petite colline, la plus proche du drapeau rouge », répondit celle-ci après quelques secondes d’observation. « Mais en fait, il est allé beaucoup plus loin. »
« Le drapeau rouge ? » Surprise, Ayesha regarda Roland : « De quoi parle-t-elle ? »
Heureusement, le Prince, qui s’était aperçu de sa confusion, expliqua :
– « Cette arme peut tirer des obus, ou les flèches d’arbalète que vous connaissez sur une longue distance. C’est pourquoi on l’utilise lorsque l’ennemi est loin. Pour connaître la portée du tir, j’ai demandé à Foudre de placer des drapeaux colorés tous les kilomètres. Le drapeau rouge, qui est le plus éloigné, se trouve à cinq kilomètres d’ici. Selon vos mesures, un kilomètre correspond à un peu plus de 300 verges. »
La Sorcière était stupéfaite. « Vient-il bien de dire que cette arme a tiré un projectile sur une distance de plus de 5000 mètres ? Il n’y a ni poulies, ni mécanismes de stockage de puissance… comment ont-ils fait ? Les Bêtes de Siège elles-mêmes, qui fonctionnent avec le pouvoir magique, n’ont qu’une portée de 1500 à 2.000 mètres S’il n’a pas menti, de hauts et solides remparts combinés à des armes de ce genre pourraient réellement repousser l’assaut des Diables. »
Cependant… je crains qu’il ne soit pas facile de tirer avec une arme d’une telle portée.
– « Le seul problème, c’est que j’aimerais mieux voir où les obus atterrissent », dit le Prince en caressant son menton : « Essayons à présent un triple tir rapide sur un objectif à courte portée. »