Tandis qu’ils volaient, Linley fit appel à son sens divin pour faire une recherche et eut tôt fait de localiser le Saint le plus proche.
– « Au sud-ouest », dit-il. « Cet expert a une aura très particulière et son aspect est étrange. Je pense qu’il n’est pas humain.
– « Trouvons-le, alors », dit Desri, une lueur froide et cruelle dans les yeux. « Nous avons plus de 90% de chances que ces Saints venus d’autres plans obéissent aux ordres d’une Divinité cachée. S’ils ne se livraient pas au massacre, il leur serait impossible de vivre si confortablement au sein de l’Empire Rohault. »
Linley fit un léger signe de tête.
Si cet expert n’était pas de mèche avec la Divinité en question, il aurait depuis longtemps pris la fuite.
Tous deux prirent donc leur essor en direction de l’étranger.
Coiffé d’un turban, un homme maigre à la peau noire était confortablement allongé sur une chaise longue, entouré de jolies servantes qui lui tendaient respectueusement des plateaux de fruits. Si l’inconnu avait un léger sourire sur le visage, les jeunes femmes, elles, étaient extrêmement nerveuses.
Leur maitre, en effet, avait un bien étrange caractère et si, pour l’heure, il semblait de bonne humeur, il lui arrivait aussi de les fouetter et de les maltraiter.
« Quelle vie merveilleuse », soupira l’homme, ravi.
Cela faisait maintenant quatre ans qu’il était arrivé sur le continent Yulan où la vie était mille fois plus agréable qu’à la Prison du Plan de Gebados. Là-bas, il était insignifiant alors que désormais, il avait tout pouvoir sur la vie d’autruis.
« Je suis arrivé un peu tard comparé à la plupart de mes compagnons qui sont là depuis six ans », pensa-t-il, un peu fâché.
Située dans la Chaîne de Montagnes des Créatures Magiques, cette vallée enveloppée de brouillard était un endroit où, la réalité étant instable, les Demi-Dieux, voire même des Saints s’ils unissaient leurs forces à huit, pouvaient à tout moment déchirer l’espace et faire irruption sur le continent Yulan.
– « Hmm… Toi ! Approche ! » Dit l’homme en posant son regard sur une servante à proximité.
Aussitôt, la jeune femme s’agenouilla respectueusement et leva le plateau. Le maître prit un fruit et le grignota, satisfait, en pensant : « Qui aurait cru que moi, Bloom [Bu’long], j’aurais un jour la chance de jouir de tout cela ! A la prison, les fruits étaient réservés aux Divinités. »
Il faut parfois un contraste pour apprécier la chance qu’on a et ce n’est souvent que lorsque l’on perd quelque chose que l’on s’aperçoit à quel point on y tenait.
Dans son plan d’origine, Bloom était un personnage important mais à l’époque où il était puissant, il ne s’en souciait guère. Ce n’est qu’après être resté longtemps piégé à Gebados qu’il avait appris à apprécier le pouvoir.
Soudain, il vit deux hommes apparaître dans la salle principale. Il avait beau être un Premier Saint, il n’en fut pas moins terrifié ! Ces deux-là avaient comme surgi du néant.
Bloom les regarda…. et brusquement, se leva.
– « Qui êtes-vous Mes Seigneurs ? » Demanda-t-il d’un ton extrêmement respectueux ?
Il eut alors l’étrange impression d’être revenu à Gebados, car c’était alors le sentiment qu’il avait, face à une Divinité, de devoir adopter une attitude extrêmement servile.
– « Maître, qu’est-ce que… » Demandèrent les servantes, stupéfaites, d’autant qu’elles avaient été personnellement témoins de la puissance de leur maître.
– « Faites les sortir », dit Desri.
Aussitôt, Bloom lança un regard aux servantes, les exhortant à partir, ce que ces jeunes femmes, nerveuses et prudentes, firent aussitôt, non sans jeter un coup d’œil curieux et craintif à Linley et Desri.
Qui pouvaient-ils bien être pour que leur maître soit à ce point terrifié ?
– « Nous venons du plan de Yulan », dit Linley.
Un moment abasourdi, Bloom réalisa presqu’aussitôt ce que voulait dire cet homme en tunique bleue-ciel : Tous deux savaient déjà d’où il venait.
– « Vous savez sans doute pourquoi nous sommes-ci », dit Linley, qui, tout comme Desri, le regardait froidement.
L’homme frissonna : Etait-ce… ?
– « Je… je l’ignores, Mes Seigneurs… » dit-il avec un sourire forcé.
Linley poussa un soupir d’impatience :
– « Ne me dites pas que vous ignorez ce qui se passe depuis quelques temps au sein de l’Empire Rohault. Parlez ! Qui est la Divinité qui a orchestré la mort de ces cent millions de personnes ? »
Le cœur de Bloom fit un bon. Il aurait voulu parler, mais la Divinité en question le terrifiait.
– « Mes Seigneurs, je ne suis qu’un Premier Saint. Comment pourrais-je… »
Il n’avait pas terminé sa phrase qu’une main s’abattit sur son visage et l’envoya voler comme un sac de sable déchiré. Il y avait du sang partout et plusieurs de ses dents étaient cassées. Il tournoya plusieurs fois dans les airs avant de s’écraser sur le sol.
« Quelle rapidité ! » Pensa l’homme qui n’avait pas vu le coup venir.
Linley lui jeta un regard froid :
– « Si vous ne parlez pas, vous mourrez sur le champ. Par contre, si vous le faites, il n’est pas certain que cette Divinité vous tuera. »
– « Je vais parler, Monseigneur, je vais parler ! » S’écria aussitôt le Saint qui n’en menait pas large face à Linley et Desri. « C’est le Seigneur Beaumont qui a décidé de tuer tous ces humains pour recueillir leurs âmes. »
« Beaumont ? » Linley et Desri échangèrent un regard.
Encore une autre Divinité, qui plus est avec un nom étranger !
– « J’imagine que ce Beaumont ne s’en est pas occupé personnellement, je me trompe ? » Dit Desri, le regard froid.
Bloom eut un moment d’hésitation, mais devant le soupir impatient de Linley, il s’empressa de répondre :
– « C’est évident, jamais le Seigneur Beaumont n’agirait personnellement. Il a demandé à quelques Saints de le faire en son nom, moyennant récompenses. »
Il commençait à réaliser que c’était surtout à Beaumont que ces hommes en voulaient.
– « Et j’imagine que vous faites partie de ces Saints ! » Ricana Desri.
« Non, pas… pas moi », répondit aussitôt Bloom, terrifié à l’idée que ces hommes, furieux, allaient s’empresser de le tuer. Comment aurait-il eu le courage de reconnaître sa participation dans l’affaire ?
Linley laissa échapper un rire froid. Insister sur ce point était du temps perdu, d’autant qu’en effet, ils n’étaient pas présents pour le voir.
– « Très bien. Alors dites-moi où est Beaumont ! » Aboya-t-il.
Bloom secoua la tête, complètement perdu.
Linley prit un air menaçant :
– « Apparemment, vous êtes vraiment loyal envers ce Beaumont ! »
– « Je ne mens pas Monseigneur ! J’ignore où il se trouve. La seule chose que je puisse vous dire, c’est qu’en principe, le Seigneur Beaumont ne reste pas sur le continent Yulan. Il vit dans les mers sans fin. »
Linley et Desri se regardèrent : décidément, la situation devenait délicate.
Malgré les essences des vingt millions d’âmes qu’il avait absorbées, le sens divin de Linley, bien qu’accru, ne pouvait englober qu’une superficie de dix mille kilomètres. C’était peut-être beaucoup sur le continent, mais rien comparé à l’étendue des mers. Par ailleurs, nul ne savait si Beaumont vivait en surface ou au fond de l’océan.
– « Comment communiquez-vous habituellement ? » Demanda Desri d’un ton cassant.
– « Nous ne communiquons pas … » S’empressa de répondre le Saint.
– « Trêve de balivernes ! » Répondit froidement Linley. « Comment est-il possible que vous, qui vivez dans l’Empire Rohault, n’ayez aucun contact avec Beaumont ? Si vous continuez à nous mentir, vous savez à quoi vous attendre ! » Ajouta-t-il, furieux, certain que cet homme ne lui disait pas toute la vérité.
La meilleure façon de mentir est toujours de mêler la vérité aux mensonges.
Terrifié, Bloom répondit avec franchise :
– « Le Seigneur Beaumont, qui est extrêmement prudent, nous contacte généralement un par un, par le biais de son sens divin, lorsqu’il a besoin que nous fassions quelque chose pour lui. Il nous a promis que dès que le raffinement des Grains d’Âmes d’Or serait terminé, nous recevrions une partie des bénéfices. »
Linley commençait à comprendre. En fait, aucune quantité spécifique n’était requise pour pouvoir raffiner des essences d’âmes. Celui qui avait en sa possession vingt millions d’âmes pouvait en extraire l’essence pour en faire une Perle d’Âme d’Or de deux ou trois centimètres de diamètre et celui qui n’en avait qu’un million pourrait en faire un Grain d’Âme d’Or, bien plus petit.
– « Parce que Beaumont aussi est en mesure de raffiner les âmes ? »
C’était ce qui intriguait le plus Linley, sachant que très peu, parmi les Demi-Dieux, avaient été formés aux Edits de la Mort.
– « Non », répondit Bloom avec conviction. « Nous Savons tous que de tous les Demi-Dieux, seul le Grand Sorcier était en mesure de le faire. Mais j’ai entendu dire qu’il était mort il y a trois ans. »
Ce Saint, en effet, avait appris beaucoup de choses durant le temps qu’il avait passé à la Prison de Gebados.
Linley comprit aussitôt que ce fameux Grand Sorcier n’était autre que la Divinité qu’il avait récemment tuée.
– « S’il n’est pas en mesure de les affiner, pourquoi collectionne-t-il les âmes ? » Demanda brusquement Desri.
– « Je ne saurais vous répondre à ce sujet. »
– « À quelle fréquence Beaumont vous contacte-t-il ?» S’enquit Linley.
– « Tous les trois ou quatre jours, en principe tous les quatre ou cinq jours », répondit l’homme qui n’osait pas lui dire qu’en réalité, c’était la période à laquelle ils devaient remettre leurs cristaux d’âmes pleins en échange de vides.
– « Quel est son pouvoir comparé à celui du Grand Sorcier ? » Demanda Linley.
– « Toutes les Divinités sont nettement supérieures à nous. Je n’en suis pas certain, mais j’ai entendu dire que Lord Beaumont était légèrement plus puissant. »
Les deux experts échangèrent un regard de connivence.
– « Très bien. La prochaine fois que Beaumont vous contactera, dites-lui de venir me trouver au Château du Sang de Dragon. Je pense qu’il saura qui demande à le voir », dit Linley qui n’avait aucunement l’intention de se cacher et n’avait pas non plus besoin de préciser, d’autant que pour l’heure, toutes les Divinités savaient que Linley et Desri étaient les seuls humains du continent Yulan à avoir atteint le niveau Divin.
– « Je n’oublierai pas », dit Bloom en baissant la tête, à la fois respectueux et terrifié.
Lorsqu’il releva les yeux, Linley et Desri avaient disparu.
« Pour le moment, je suis toujours en vie », pensa le Saint avec un long soupir de soulagement.
Si vraiment Beaumont se cachait dans les mers sans fin, il allait être difficile de le localiser, aussi, dans l’immédiat, Linley et Desri furent-ils contraints de reprendre le chemin du retour. Tous deux se demandaient comment ils allaient bien pouvoir s’occuper de Beaumont.
– « Vous dites que nous devrions le tuer ? » Demanda Desri. « N’oubliez pas qu’il est supposé être plus fort que ce fameux Grand Sorcier. Or nous venons à peine d’atteindre le niveau de Demi-Dieux. Comment pourrions-nous rivaliser avec lui ? Si nous agissons directement, nos chances de réussir sont minces. »
Linley écoutait attentivement.
« Ensuite », reprit son compagnon, « quand bien même nous réussirions à tuer Beaumont, j’imagine que ce ne sera pas sans blessures sérieuses. De plus, nous ne savons pas combien il y a actuellement de Divinités sur le continent. Si nous l’éliminons, ce sera, certes, une bonne chose mais si jamais c’est lui qui nous tue… plus personne ici ne sera en mesure de s’opposer à ces Divinités venues d’autres plans. »
Linley approuvait totalement.
Il y avait bien Beyrut, mais ce dernier était une Créature Magique de niveau Divin. Or les Créatures Magiques ne faisaient guère de différences entre les humains et les autres races. Combien d’hommes étaient morts lorsque Dylin avait jailli de la Montagne des Créatures Magiques le jour de l’Apocalypse ?
De plus, si Beyrut avait défendu à quiconque de venir troubler la tranquillité des Dix Huit Duchés du Nord et de la Forêt des Ténèbres, il n’avait jamais interdit à ces experts étrangers de massacrer des humains.
« Le problème est que nous sommes trop peu de Divinités et, à nous deux, ne sommes pas assez forts », dit Desri en fronçant les sourcils. « A moins d’avoir tout tenté, il est préférable que nous ne nous lancions pas dans un combat à mort contre Beaumont. »
C’était peut-être difficile à admettre, mais force leur fut de reconnaitre que l’ennemi, cette fois, était trop puissant. En prenant le risque de se faire tuer, ils condamneraient du même coup tous les humains du continent Yulan.
– « Si nous ne le tuons pas, nous devons exiger qu’il quitte le continent et nous remette tous les élixirs d’âme qu’il a pris, sinon… je verrai bien si je suis capable de le tuer ou non », rétorqua Linley qui, à la différence de Desri, était beaucoup plus puissant qu’il ne l’était trois ans auparavant.
Ce dernier s’apprêtait à lui dire quelque chose lorsque soudain…
Tous deux se tournèrent en direction du nord.
– « Encore une nouvelle Divinité ? » S’exclama Linley, stupéfait de constater que les Lois Naturelles venaient une fois de plus de se manifester, créant des ondes qu’ils étaient en mesure de percevoir, même de très loin.