Ayesha resta perplexe : tout était si différent! Elle n’avait pas envie d’y croire, cependant leur récit semblait si réel qu’elle se disait qu’aucune sorcière n’aurait pu improviser une telle histoire.
Elle se mettait à leur place : comment aurait-elle pu imaginer être asservie, chassée ou même massacrée.
À la Ville Sainte, les sorcières n’auraient jamais traité les personnes ordinaires, même celles qui avaient le statut le plus bas, comme des animaux.
Elle se sentait extrêmement épuisée. Wendy s’en aperçut et lui apporta une tasse de lait chaud pour la réconforter :
– « Oh, ma pauvre, buvez ceci, vous vous sentirez mieux. »
Bien que cette femme aux cheveux bruns et roux ne soit pas dotée de la puissance et de la force divine des Guerrières Sacrées, Ayesha fut touchée par son caractère plaisant et ses bonnes manières. Elle but le lait d’un trait. Un courant chaud et doux s’insinua dans son estomac et elle se sentit un peu mieux. Néanmoins, la sorcière dut se reposer un bon moment avant de poursuivre cette conversation.
Même si elle ne comprenait pas pourquoi ces sorcières se méfiaient d’elle, la jeune femme savait qu’elle devait absolument gagner leur confiance, faute de quoi celles-ci ne l’aideraient jamais à se débarrasser de l’anneau qui enserrait sa cheville.
Par ailleurs, afin de savoir quel crédit attribuer aux récits de Wendy et du Prince, il fallait qu’elle le voie de ses propres yeux.
Elle refusait de croire que la Sainte Union avait disparu tant qu’elle n’aurait pas vu cette terre désolée, réduite et sous-développée.
– « Comme je l’ai déjà dit, je m’appelle Ayesha et j’étais membre de la Société de Recherches de Taquila. Au cours de la Bataille de la Volonté Divine, la 30ème année, Taquila, qui était la dernière ville sainte encore debout, est tombée. Je me suis rendue dans la Forêt aux Secrets pour aller récupérer des choses que nous y avions laissées. »
– « Attendez, vous vous êtes battue contre les Diables ? » demanda le prince.
– « Qui d’autre que nous aurait pu le faire ? » Répondit Ayesha en fronçant les sourcils. « Croyez-vous que nous pouvions compter sur de faibles humains comme vous ? »
– « Avez-vous été élevée par l’Église ? »
– « Qu’est-ce que l’Église ? Je n’en ai jamais entendu parler », dit-elle. « Taquila… plus exactement toutes les villes saintes qui ont accueilli des dizaines de milliers de personnes ont été créées par des sorcières. La plupart des citoyens étaient des gens ordinaires… comme vous, chargés de mettre au monde et d’élever des enfants jusqu’à l’âge de leur éveil, après quoi les jeunes sorcières étaient confiées à un département spécial pour y être instruites et formées. Les meilleures combattantes rejoignaient l’Union et participaient aux batailles contre les Diables.
Le prince réfléchit un instant, puis, prenant un livre, il demanda :
– « Pouvez-vous lire cette écriture ? »
Ayesha en parcourut quelques lignes. Le contenu retint son attention :
– « Ce… C’est le journal d’une sorcière. »
– « Écriviez-vous ainsi ? » Demanda une sorcière aux cheveux d’un gris pâle.
– « Ce système d’écriture, qui a été créé par l’Union, était réservé aux sorcières de sorte que les êtres humains ordinaires ne puissent prendre part aux affaires importantes de niveau supérieur. Personnellement, je pense que ce n’était pas une bonne idée de les tenir à l’écart. »
« Comment avez-vous fait ? » Demanda-t-elle, curieuse. « En admettant que les sorcières aient créé un autre système linguistique, les gens ordinaires auraient tout à fait pu l’apprendre! »
– « Posséder un pouvoir magique est indispensable pour le lire », explique Ayesha. « Ce n’est pas très difficile, je pourrais vous l’enseigner puisque vous êtes une sorcière. »
– « Un langage est un outil de communication », fit remarquer le Prince. « Plus il est populaire, mieux c’est. L’Union a agi stupidement. En excluant les gens ordinaires, elle n’a fait que limiter les ressources à votre disposition. En effet, ces gens sont capables de beaucoup une fois formés et instruits. Ils ne possèdent peut-être pas de pouvoir magique mais ils sont aussi bons que les sorcières. »
Même si Ayesha était d’accord avec lui, elle pouvait difficilement accepter qu’une personne ordinaire critiquât l’Union. Elle collaborerait si nécessaire mais ne pouvait pas tolérer qu’il pointe le doigt sur eux.
Kraft, le chef de sa garde, lui manquait.
Même s’il n’était qu’un subordonné de sa famille, cet homme était bien plus aimable que ce soi-disant prince.
– « Mlle Ayesha, mon nom est Scroll », dit une sorcière à l’air plutôt mature. » Le nom d’Alice vous dit-il quelque chose ? »
Elle sursauta :
– « Comment connaissez-vous ce nom ? Ne disiez-vous pas que tous les documents d’il y a environ 450 ans avaient été perdus ? »
– « J’ai trouvé un livre ancien dans des ruines en pleine forêt à l’est de la capitale du Royaume de Graycastle », répondit Scroll. « C’est précisément celui que vous avez en main. Son nom est sur la dernière page, écrit dans la langue des gens ordinaires. »
Ayesha regarda immédiatement cette dernière page. Après avoir lu ces notes gribouillées à la hâte, elle retomba dans le silence. La silhouette d’une femme émergea dans l’esprit de la sorcière. Cette dame levait sa longue épée et la lumière irradiait de son corps, éblouissant les yeux de tous. Mais petit à petit, elle s’estompa pour se dissoudre dans l’obscurité.
Au bout d’un long moment, elle dit doucement :
– « Très bien. Alice était la reine de la Cité des Météores ainsi que l’un des trois chefs de l’Union. C’était une Extraordinaire de haut niveau, une Transcendante. Elle était la plus forte des Sorcières Sacrées de l’Union. »
– « Une Transcendante! » Murmura-t-on dans l’assistance.
– « Etant donné que les documents ont été perdus, il est naturel que vous ne sachiez rien à ce sujet », dit Ayesha d’un ton grave. « La capacité d’une jeune sorcière ne cesse d’évoluer entre le moment de son éveil et son entrée dans l’âge adulte, mais cela ne s’arrête pas là. Certaines, par la compréhension, l’expérience et la pratique, ont la chance de dépasser ce stade et d’obtenir des réalisations incroyables… Nous appelons cela le Grand Éveil. En fait, il n’y a pas de limite à leur éveil ou à leur niveau de croissance, mais des changements évidents peuvent être observés dans l’accomplissement de leur pouvoir magique. »
– « Hum, serait-ce ce que nous appelons l’évolution de leur capacité ? » Marmonna le Prince en se touchant la tête. « Au total, quatre des sorcières de l’Association ont évolué. »
– « Quatre ? » S’exclama Ayesha, stupéfaite. « Combien de sorcière compte cette association ? »
Le prince compta sur ses doigts :
– « Plus de dix. »
– « Cessez de dire des stupidités! » s’écria Ayesha, visiblement furieuse devant ces paroles insensées. « Vous sous entendez que quatre personnes sur dix ont vécu le Grand Éveil ? Vous n’avez aucune idée de ce que signifie cette évolution pour une sorcière. Elle n’a rien à voir avec le renforcement de sa capacité ou les compétences annexes obtenues le jour de son passage à l’âge adulte. Seules les Élues atteignent ce niveau qui nécessite à la fois des efforts et de l’inspiration! »
Le Prince prit un air innocent et fit signe à Anna.
« Quelle belle et élégante jeune fille! » Se dit Ayesha en regardant la sorcière s’approcher de son lit.
Parmi toutes les femmes présentes, elle était extraordinairement belle. Ses grands yeux bleus, dans lesquels elle apercevait son propre reflet, évoquaient l’eau claire d’un lac. Mais elle était bien trop jeune. De toute évidence, cette sorcière venait à peine d’atteindre sa majorité. Elle ne pouvait avoir acquis suffisamment d’expérience pratique, de compréhension et d’inspiration.
Ayesha n’avait évolué qu’à 26 ans. À cette époque, elle était considérée comme le génie le plus prometteur de l’Union. Pour l’avoir vécu personnellement, elle savait à quel point il était difficile d’atteindre ce stade.
« Ils confondent sans doute le Grand Éveil avec les capacités dérivées qu’une jeune sorcière développe à sa majorité », pensa-t-elle.
Une boule de feu orange apparut dans la paume d’Anna.
– « Il s’agit là du pouvoir de contrôle du feu, une capacité commune de type ײinvocationײ. On les classe selon la température maximale et le taux de chauffe atteints », commenta-t-elle aussitôt. « Celle qui parvient à lancer sa flamme est considérée comme une sorcière de combat. »
Ayesha avait à peine terminé de parler que le feu diminua pour se transformer en flammes d’un vert fluorescent, passant d’une teinte sombre à une autre très pâle. On aurait dit que ces flammes absorbaient la lumière environnante pour se renforcer de plus en plus.
– « Voici la forme sous laquelle sa capacité s’est consolidée au jour de son passage à l’âge adulte », expliqua le Prince. « À présent, vous allez voir ce qu’elle est aujourd’hui capable de faire. »
– « Vraiment ? Non, il ne saurait s’agir d’une compétence consolidée! Si c’était le cas, la flamme serait plus chaude et son cœur plus grand et plus lumineux », répondit Ayesha, stupéfaite. « Quelle est donc sa capacité la plus importante ? »
Presqu’aussitôt, quelque chose d’incroyable se produisit. La flamme verte disparut soudain et un cube noir, solide, surgit dans la paume d’Anna. On aurait dit un morceau de métal aux facettes lisses et aux arêtes anguleuses.