Lorsque tous les fous qui avaient surgi de la foule eurent été abattus, les réfugiés furent pris d’un mouvement de panique. Des dizaines de soldats armés les encerclèrent aussitôt. Des cris d’effroi retentissaient partout et en quelques secondes, la situation était devenue difficile à contrôler. C’est alors que la voix du Prince retentit au-dessus de la foule.
– « Calmez-vous, mon peuple. Je suis votre Seigneur, Roland Wimbledon. À présent, écoutez attentivement ce que j’ai à vous dire. »
Il avait parlé d’une voix forte, calme et directe. Vader eut l’impression que Son altesse était tout près de lui. Il y avait dans ses paroles une puissance indéniable qui surpassait la panique et les cris de tous ces gens.
Soudain, l’assemblée se tut.
– « Ainsi qu’on vous l’a fait savoir à votre arrivée, Border Town vous offre un logement où vous serez protégés du vent et de la neige, de la nourriture afin de remplir vos estomacs et également des emplois bien rémunérés. Je suis venu personnellement vous le confirmer. »
« Vous bénéficierez de maisons faites d’argile où il n’y a pas la moindre fissure susceptible de laisser entrer le vent. Grâce au poêle à charbon de bois qui se trouve sous le lit, vous aurez m’impression de dormir dans une prairie réchauffée par un soleil estival. Si vous gardez porte et fenêtres fermées, vous n’aurez pas froid, même si vous portez des vêtements sans doublure. »
« Votre nourriture sera composée de porridge de blé et de viande séchée. En plongeant votre cuillère dans le porridge, vous verrez des grains entiers et comme il est consistant, il descendra lentement dans votre estomac ce qui fait qu’avec un seul bol, vous serez rassasiés. »
À ces mots, Vader sentit son ventre gargouiller. Son Altesse avait un discours original. Contrairement à la majorité des nobles qui mettaient l’accent sur leur pouvoir et l’obligation du peuple à se conformer à leurs règles ainsi qu’à leur volonté, le Prince abordait les sujets les plus préoccupants pour ces gens et leur promettait le gite et le couvert. À voir l’expression sur le visage des réfugiés, il était évident que ces paroles avaient touché leur cœur.
« Mon souhait est que toutes les personnes sous mon autorité vivent une vie heureuse, une vie où ils n’ont pas à s’inquiéter des nécessités de base. Cependant, certains individus cachés dans l’ombre refusent de voir un tel spectacle. Ce sont sans doute ces gens qui ont envoyé les fous qui se sont précipités sur nous tout à l’heure. La raison en est très simple : ils voudraient me voir mort car ils refusent que mon peuple puisse vivre confortablement. »
« Si je disparaissais, le nouveau seigneur vous fournirait-il un logement chaud et une nourriture abondante ? Je suis certain que vous êtes conscients de cela car vous en avez fait l’expérience. Je suis le seul disposé à agir ainsi. »
Vader réalisa que la panique s’était dissipée. Lorsque les réfugiés eurent réalisé que ces monstres au comportement anormal étaient un ennemi commun, leur malaise, peu à peu, se transforma en colère : les mauvaises personnes qui tentaient de nuire à Son Altesse cherchaient, du même coup, à les empêcher d’être heureux! Des gens comme eux étaient impardonnables!
« Afin d’éviter que cela se reproduise, nous allons devoir procéder à une nouvelle inspection. Cette fois-ci, ma garde personnelle veillera à la fouille corporelle. Nous ne devons pas laisser une seule chance à l’ennemi de tout détruire! »
Tous se conformèrent à la demande du Prince. Les personnes qui avaient déjà passé les points de contrôle furent ramenées sur le quai par les gardes, personne n’éleva d’objection et la file d’attente en était bien plus ordonnée.
– « Son Altesse est vraiment quelqu’un de bien », soupira Vader, touché par ce qu’il venait de voir et d’entendre. « Il lui a suffi de dire quelques mots pour mettre fin à la panique qui menaçait de tourner au chaos. »
– « On m’a rapporté que c’est vous qui, le premier, vous étiez aperçu que quelque chose n’allait pas, est-ce exact ? demanda Carter Lannis qui s’était approché : « Suivez-moi, Son Altesse désire vous voir. »
Vader suivit le Chevalier en Chef qui le conduisit devant le jeune Prince. Il fléchit le genou et dit :
– « Votre Altesse, je vous présente mes respects. »
– « Racontez-moi, comment avez-vous remarqué que quelque clochait chez cet homme ? » Demanda le prince.
Vader lui fit un récit honnête de ce qui s’était passé.
– « Vous êtes très observateur. N’étiez-vous qu’un simple citoyen jusqu’ici ? »
– « Non, Votre Altesse. Du temps où je vivais à Valencia, j’étais patrouilleur », répondit-il honnêtement. « J’ai travaillé comme tel environ six ans jusqu’à ce qu’un important groupe de pirates surgisse et attaque la ville. »
– « Pourtant, votre curriculum vitae n’indique pas que vous ayez une quelconque compétence particulière », dit le Prince. « Je me suis renseigné auprès de Carter. Il m’a dit que vous viviez dans la zone résidentielle temporaire. Si je comprends bien, vous avez caché votre expérience à l’Hôtel de Ville lors de votre inscription ? Ce n’était pas nécessaire. »
Bien que Vader ignorât ce qu’était un curriculum vitae, cela n’affecta pas sa capacité à répondre à cette question. Il hésita un instant, puis entreprit de raconter au Prince l’histoire de Kakusim avant de conclure :
– « Sans ce prisonnier, je serais sans doute mort depuis longtemps et certainement pas à Border Town aujourd’hui. C’est pourquoi il m’est impossible de le laisser seul dans les quartiers Ouest. »
– « C’est pourquoi vous avez eu l’idée de devenir agent de sécurité. Afin de pouvoir l’aider lors des futures missions d’inspection. »
– « Je… » Le cœur de Vader se serra. À en juger par la sanction qu’il avait subie précédemment, il était évident que le Seigneur faisait grand cas de ce que personne ne se place au-dessus des lois qu’il avait établies. Ces paroles laissaient clairement entendre qu’il avait passé la ligne.
– « Ne vous inquiétez pas. Vous n’avez fait qu’y penser. Vous ne serez pas inquiété puisque vous n’êtes pas passé à l’acte », dit le Prince en souriant, comme s’il avait lu en lui.
Vader était un peu déçu : de toute évidence, Son Altesse n’approuvait pas cette façon de penser. S’il devenait agent de police, il serait tenu de régler équitablement les différends, faute de quoi il se verrait sanctionner avec la même sévérité que l’avait été l’agent municipal.
– « Avez-vous une famille ? » Demanda le Prince.
– « …Ils ont tous perdu la vie durant le pillage de Valencia. »
– « Et Kakusim ? »
– « Je ne pense pas ». Bien qu’il ignorât pourquoi Son Altesse lui posait cette question, Vader répondit sincèrement : « S’il en avait eu, les rats des rues ne l’auraient pas choisi comme bouc émissaire. »
– « Tous ceux qui ont une aptitude particulière sont prioritaires pour obtenir un logement en ville. Ils reçoivent également une carte d’identité et bénéficient des mêmes droits que les citoyens. Bien évidemment, ceci est également valable pour les membres de leur famille. » Le Prince sourit et ajouta : « Voyez-vous où je veux en venir ? »
Surpris, Vader le regarda et répondit :
– « Votre Altesse me permettrait-elle de garder Kakusim… ? »
– « Emmenez le vieil homme à l’Hôtel de Ville pour se faire enregistrer. Ils s’occuperont de tout. »
Réfrénant les émotions qui se bousculaient, l’homme se mit à genoux et dit :
– « Merci pour tant de bienveillance, Votre Altesse! »
– « Ne vous relâchez pas pour autant, garder toujours la vigilance dont vous avez fait montre aujourd’hui », dit le Prince. « Même si vous devenez officiellement parents, si jamais vous échouez aux évaluations de suivi, vous devrez demeurer encore un moment dans les résidences temporaires. »
– « Compris! »
La question qui pesait sur son cœur étant enfin résolue, Vader se sentit libéré d’un grand poids. Il s’apprêtait à prendre congé du Prince lorsqu’il se rappela soudain l’épreuve écrite qu’il avait passé. Après un moment d’hésitation, il ne put s’empêcher de demander :
– « Votre Altesse, lors du premier test, il y avait beaucoup de questions pour lesquelles je n’avais pas de réponse. Ce que j’ai écrit était très hasardeux. Pourquoi m’avez-vous choisi ? »
– « Pour commencer, sachez qu’il n’y avait pas à proprement parler de bonne réponse. » Le Prince sourit et poursuivit : « La manière de considérer la question diffère d’une personne à l’autre. Ce n’était pas le plus important dans cet examen. Les questions servaient surtout de support pour me permettre d’évaluer les compétences des candidats en matière de lecture et d’écriture. Tous ceux qui ont su comprendre le sujet et mettre leurs idées par écrit ont réussi le test. »