Lorsque Vader ôta son vieux manteau rapiécé et enfila son nouvel uniforme, il sentit son corps se réchauffer.
Ces vêtements, faits de cuir épais doublé de coton, gardaient la chaleur tout en offrant le confort lié à la douceur du tissu. Les matériaux à eux seuls devaient bien valoir quelques Royals d’argent.
Cet uniforme avait une coupe semblable à ceux des employés de l’Hôtel de Ville mais différait par sa couleur. La veste et le pantalon étaient noirs, décorés de parures à rayures blanches aux épaules, au col et aux manchettes. De ce fait, ils attiraient le regard.
Lorsque les quinze stagiaires, revêtus de leur nouvelle tenue, revinrent s’aligner, ils ne purent s’empêcher de bomber un peu le torse.
– « Pas mal! » Commenta Carter, satisfait, en souriant. « À présent, suivez-moi. »
La neige tombait toujours. C’était la première fois que Vader la voyait tomber sans interruption alors qu’on n’était qu’en automne. À Valencia, il neigeait de temps à autres, mais cela ne durait tout au plus qu’un jour ou deux. Lorsque cela se produisait, les enfants construisaient des bonhommes de neige le long des rues ou en faisaient des boules qu’ils se lançaient. Pour eux, un jour de neige était un jour de fête.
Mais pour les adultes, c’était extrêmement éprouvant. Leurs chaussures, humides, moisissaient et ils avaient beaucoup de mal à marcher dans les rues. Le commerce tournait au ralenti et parfois, les toits des maisons s’effondraient sous le poids de la neige.
À Valencia, jamais les patrouilles ne seraient sorties par un temps pareil, si ce n’est pour se retrouver dans une taverne. Là, assis autour de la cheminée, ils buvaient de la bière chaude et flirtaient avec les serveuses.
Mais à Border Town, tout était différent.
Chaque jour, quelqu’un débarrassait les rues de l’excès de neige qu’il balayait de chaque côté… C’était un travail sur le long terme que l’Hôtel de Ville proposait. Quoi que le salaire ne fut pas très élevé, il permettait de gagner de l’argent rapidement dans la mesure où les employés pouvaient choisir d’être payés à la journée ou au mois.
Il y avait beaucoup de monde dans les rues. Certaines personnes portaient des chapeaux de paille, tandis que d’autres étaient drapés dans des capes. Tous vaquaient à leurs occupations. Ce n’était guère différent de l’été, pour peu que toute la neige dans les rues ait été balayée.
S’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux, Vader n’aurait jamais pu croire qu’une petite ville située à la frontière du Royaume s’avérerait bien plus animée que Valencia. S’il y avait eu une grande église et un clocher, il se serait sérieusement cru dans une grande ville.
Bientôt, la troupe arriva sur le quai. Une dizaine de voiliers avaient jeté l’ancre sur le long de la rivière Redwater et plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées sur les rives. Cette scène lui était familière… Vader revit en pensée le jour où il était arrivé sur ce petit quai accompagné d’autres réfugiés de l’Est. C’était exactement pareil.
– « Permission de parler! Ces gens sont… »
– « Des réfugiés du Sud et du Nord. Afin qu’ils puissent passer l’hiver en toute sécurité, Son Altesse les a envoyé chercher pour les ramener à Border Town. Votre rôle consiste à aider l’Hôtel de Ville à maintenir l’ordre et à faire en sorte que ces personnes fassent la queue aux postes de contrôle. Cela fait, vous les mettrez en quarantaine et les inscrirez dans le registre », expliqua Carter. « Comme les policiers sont encore peu nombreux, la Première Armée vous assistera mais par la suite, vous devrez faire ce travail seuls. »
– « Bien monsieur! »
À première vue, ce n’était pas une tâche compliquée. Vader avait l’habitude de diriger les réfugiés dans une file d’attente pour récupérer leur porridge. Il s’avança devant le poste de contrôle afin que tous puissent entendre ses instructions et s’approcher un par un, puis cria d’une voix forte :
– « Quel est votre nom ? D’où venez-vous ? Avez-vous des compétences particulières ? Savez-vous lire ? »
Tous les réfugiés qui passaient par le point de contrôle seraient interrogés par les agents de l’Hôtel de Ville, après quoi leurs réponses seraient consignées dans un registre. Vader savait qu’il ne s’agissait là que d’estimations préliminaires. Lorsque tous seraient installés, une enquête plus poussée permettrait de vérifier et de valider les renseignements fournis. Les personnes qui possédaient des capacités ou des connaissances spéciales seraient transférées en priorité au centre-ville. Il l’avait vécu personnellement.
Soudainement, il entendit de l’agitation et du bruit derrière lui. Vader tourna la tête et aperçut un homme vêtu d’un manteau duveteux qui venait d’arriver sur le quai sous la protection d’une troupe de gardes. À la vue de ses longs cheveux, il reconnut immédiatement Son Altesse Roland Wimbledon, le Seigneur Local. Des personnes particulièrement bien habillées l’accompagnaient : sans doute les dirigeants de l’Hôtel de Ville.
Jamais il n’aurait imaginé que le Prince braverait le vent et la neige pour venir en personne voir les réfugiés. Lors d’hivers rigoureux, il était rare de voir un membre de la haute noblesse quitter son lit bien chaud à l’aube, surtout lorsque leurs serviteurs pouvaient s’occuper de tout.
– « Je m’appelle Mane et je viens des Terres du Nord. Euh… ma spécialité est l’agriculture. Je ne sais pas lire. »
– « L’agriculture ? » L’employé municipal cocha la case correspondante sur son formulaire. « C’est bon, passez. »
À ce moment précis, Vader remarqua que l’individu jetait un coup d’œil en direction de Son Altesse. À la différence des gens du peuple, son regard n’exprimait pas le moindre respect.
– « Attendez! » Ordonna-t-il instinctivement.
– « Quel… Quel est le problème ? »
– « Vous êtes agriculteur, n’est-ce pas ? Pourriez-vous me dire quel mois il faut semer le blé d’hiver ? »
L’agent municipal le regarda d’un air quelque peu agacé :
– « Ce n’est qu’un enregistrement succinct pour le moment. Je n’ai pas le temps de chercher à savoir si ces gens disent la vérité ou non. Monsieur Carter ne vous a-t-il pas clairement expliqué la procédure ? Tout ce que vous avez à faire est de m’aider à maintenir l’ordre. »
L’homme, qui avait entendu les paroles du fonctionnaire, resta silencieux.
– « Sérieusement, quel idiot! » pensa Vader. Il fronça les sourcils et, ignorant l’agent, poursuivit : « Vous ne parlez pas comme les gens du Nord, vous auriez plutôt l’accent du centre du Royaume. De quelle ville venez-vous dans le Nord ? Je connais très bien cette région. »
Mane hésita mais ne répondit rien.
« De plus, habillé comme vous l’êtes, vous avez eu de la chance de ne pas mourir de froid. Ceci dit, vos doigts devraient être couverts d’engelures. Que je sache, la température là-bas est inférieure à zéro toute l’année. » Vader saisit sa main droite : « Où sont vos gants ? Ne me dites pas que vous les avez jetés en arrivant à Border Town parce que vous avez trouvé qu’il faisait moins froid! »
L’agent du poste de contrôle commençait à réaliser qu’il y avait quelque chose de louche dans cette affaire. Il pouvait comprendre que l’un d’eux puisse mentir sur ses compétences dans l’espoir d’obtenir un meilleur traitement. Mais au sujet de ses origines, c’était vraiment étrange.
– « D’où venez-vous exactement ? »
Mane serra les dents. Soudain, il sortit une pilule rouge de sous sa veste, la mit dans sa bouche et cria :
– « Hors de mon chemin! »
Vader sentit soudain le poignet de l’homme s’échauffer. Par réflexe, il voulut le plaquer au sol mais il eut beau y mettre toutes ses forces, son adversaire ne bougea pas. Mane leva soudain le bras et Vader fut projeté dans les airs.
Il retomba lourdement sur le sol et une douleur cuisante enflamma son dos : « Bon sang, mes plaies se sont rouvertes! » Pensa-t-il.
Il cracha parterre, secoua sa tête qui lui tournait un peu et se releva : Mane avait filé!
Quatre ou cinq réfugiés surgirent de la foule, aussi agiles que des bêtes démoniaques. Ils sautèrent par-dessus les barrières provisoires aménagées par l’Hôtel de Ville et se ruèrent en direction du Prince.
La raison de leur présence à Border Town était évidente : ils étaient venus attaquer les hauts fonctionnaires de la ville ainsi que le Seigneur.
Vader se rappela la force incroyable dont Mane avait fait preuve face à lui et s’imagina aussitôt que les gardes du Prince allaient être mis en pièces. Son Altesse ne pourrait pas en réchapper.
Mais rien de cela ne se produisit.
Il entendit une série de coups, les mêmes bruits que faisaient les soldats lorsqu’ils combattaient les bêtes démoniaques depuis les remparts.
Devant le Prince flottait une fumée blanche au milieu de laquelle Vader vit le sang jaillir de la tête de Mane.