– « Est-ce là que vous avez atterri la dernière fois ? » Demanda Tilly en regardant la grande falaise rocheuse qui se trouvait devant eux.
Sitôt qu’ils avaient aperçu le littoral, ײJolie Dameײ l’avait longé en direction de l’ouest jusqu’à ce que Cendres leur crie de s’arrêter en reconnaissant l’endroit.
– « Regardez! », dit-elle en montrant du doigt le sommet de la montagne.
Tilly regarda dans la direction indiquée et vit de chaque côté du pic un drapeau orange qui battait au vent.
– « Ce n’était que plage de sable la dernière fois que nous sommes arrivées, cependant, ces deux drapeaux indique que nous sommes dans la bonne direction. »
– « Je m’en souviens moi aussi », dit le vieux Jack, la pipe toujours dans sa bouche, « Mais la dernière fois qu’elles sont venues, ils ont utilisé un énorme ballon pour transporter toute les femmes par-dessus la montagne. Comment comptez-vous faire cette fois ? »
– « Un énorme ballon ? » Demanda Tilly, curieuse.
– « C’est exact », confirma Cendres. « Il faut le remplir d’air chaud et alors, il peut voler. Il parait que c’est une invention de Son Altesse. L’air chaud contenu dans le ballon monte et emporte vers le ciel les gens qui se trouvent dans la nacelle. »
La Princesse, quelque peu inquiète, répondit :
– « Les précepteurs à la cour ne nous ont jamais rien appris de tel. »
Elle émit une bouffée de buée blanche et poursuivit : « Peu importe, je le verrai bientôt et je saurai ce qu’il en est. Allons à terre. »
– « Etes-vous certaine que vous ne préférez pas attendre qu’il vienne vous chercher ? » Demanda le capitaine en ôtant les cendres de sa pipe. « Comment envisagez-vous de passer par-dessus la falaise ?
– « Shavi va s’en occuper », répondit Tilly en souriant.
Comme il s’agissait d’une côte naturelle et que personne ne connaissait vraiment la profondeur des fonds marins, ײJolie Dameײ ne pouvait pas s’approcher du rivage. La seule façon pour les passagers de rejoindre la plage était d’utiliser le bateau de débarquement.
Tandis que les sorcières s’avançaient sur la neige épaisse, Tilly se tourna vers Jack-Le-Borgne et dit :
– « Capitaine, ayez l’obligeance d’attendre ici trois ou quatre jours. Lotus et les autres auront besoin de votre aide pour rentrer à l’Île Dormante. »
– « Bien sûr », répondit aussitôt celui-ci. « Sans vous à bord, je n’oserais jamais repartir. Qui sait si ces Fantômes Marins n’ont pas l’intention de nous attaquer à nouveau sur le chemin du retour! »
Sur ces paroles, Tilly se dirigea vers le pied de la falaise et, à l’aide de sa pierre magique, s’envola jusqu’au sommet et regarda autour d’elle. Le terrain enneigé était presque au même niveau que le sommet de la montagne. En d’autres termes, elle n’avait qu’à monter et n’aurait pas besoin de redescendre ensuite. La hauteur de la falaise était d’environ cinquante pas, ce qui ne devrait pas poser de problèmes à Shavi, même si le fait d’utiliser sa barrière pour soulever des gens augmentait sa consommation de magie.
Tilly redescendit auprès des quatre femmes et dit :
– « Shavi, je vais devoir vous confier ces trois-là »
– « Bien sûr, Dame Tilly », répondit cette dernière avec un grand sourire.
Elle convoqua sa barrière invisible. La jeune femme avait eu le temps de récupérer depuis l’attaque du monstre marin. Elle attendit que toutes fussent montées sur cette plaque transparente et utilisa sa magie pour les emmener doucement au sommet.
Là, elles suivirent Cendres et en une demi-journée, arrivèrent à Border Town.
L’attention de Tilly fut immédiatement attirée par un pont d’acier à la forme particulière. Celui-ci traversait une large rivière, uniquement soutenu par deux piliers. Ses poutres de fer étaient soigneusement disposées, sans décoration supplémentaire. La neige qui recouvrait le pont contrastait fortement avec les parties sombres visibles, de ce fait, il avait l’air immense.
– « Ce pont… est énorme », soupira Breeze, « Combien de lingots de fer a-t-il fallu pour le construire ? »
– « C’est du gaspillage. Il aurait été plus simple de construire un ponton pour traverser la rivière », répondit Cendres qui n’avait pas le même point de vue. « Border Town est la dernière escale pour les marchands. Qui donc aurait l’idée de remonter jusqu’aux sources d’une rivière pour faire des affaires ? »
– « Votre remarque est celle d’une personne superficielle », dit Andrea en agitant son index. « Je ne suis pas de Graycastle, pourtant je vois bien que cette forêt à l’ouest possède une valeur considérable. Même si, pour le moment, il n’y a pas de ville à cet endroit, cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura jamais. Quelqu’un qui voudrait élargir son territoire serait bien avisé d’utiliser cette zone inhabitée. Un pont flottant ne serait alors qu’un obstacle pour la route commerciale. À la différence de vous, le frère de Dame Tilly est quelqu’un qui voit les choses sur le long terme. »
Cendres leva les sourcils :
– « Il y a quelques jours, vous le considériez comme un vulgaire aristocrate féru de cuisine barbare et voilà qu’à présent vous parlez différemment du frère de Dame Tilly. »
– « Je n’ai jamais parlé de “vulgaire aristocrate” », répondit la sorcière blonde, rejetant ses cheveux en arrière dans un geste de dédain : « C’est vous qui avez ajouté ces deux mots. De plus, il n’est pas incompatible d’aimer la cuisine barbare et d’être capable de penser à long terme. Cessez donc de me chercher querelle devant Dame Tilly. »
Tilly, cependant, n’avait que faire de cet éternel conflit entre les deux femmes. La Princesse regardait de l’autre côté de la rivière où elle avait remarqué un phénomène incroyable.
À cette époque, la neige tombait encore et la température était hivernale. Les habitants auraient dû rester chez eux, soit autour du feu, soit enveloppés dans une couverture. À la Cité du Roi, seules quelques personnes osaient s’aventurer dans les rues en cette saison. Le froid augmentant les dépenses énergétiques du corps, il fallait manger davantage pour se réchauffer. Par ailleurs, personne n’était à la merci d’un rhume sitôt qu’il mettait le nez dehors. C’est pourquoi les gens évitaient de se dépenser en hiver, à part pour se procurer le nécessaire vital.
Mais ce n’était pas le cas à Border Town. La ville grouillait de monde qui allait et venait. Certains poussaient des charrettes, d’autres portaient de gros sacs sur le dos, tous marchaient à la hâte comme s’ils travaillaient. Pourtant, Tilly ne voyait pas de surveillant tenant un fouet parmi eux. Ces gens travaillaient donc de leur plein gré.
« Comment est-ce possible ? », de demanda-t-elle.
Arrivées au bout du pont, elles furent arrêtées par deux gardes armés de curieuses lances. Ceux-ci portaient des uniformes et semblaient pleins d’énergie. Leur comportement était bien différent de celui des patrouilleurs que l’on pouvait généralement voir dans les grandes villes.
– « Stop! Comment se fait-il que vous veniez du Sud ? » Demanda l’un d’eux.
Il les observa un moment : « Une minute! Seriez-vous des… sorcières ? »
Cette question laissa Tilly quelque peu perplexe. Même si elle savait que les sorcières vivaient à découvert dans cette ville, elle ne put empêcher son cœur de tressaillir en entendant ces personnes ordinaires poser cette question avec autant de calme.
– « Oui, nous sommes des sorcières », répondit-elle.
– « Apparemment, vous cherchez à rejoindre d’Association de Coopération des Sorcières », dit le garde en riant. « Attendez ici, je vais en aviser mes supérieurs. »
– « Attendre ? Mais c’est… »
– « Très bien, nous attendrons », dit Tilly en levant la main pour interrompre Cendres. « Mais pourriez-vous me dire ce que font tous ces gens ? »
– « Oh, ils réparent le quai. Ces importantes chutes de neige ont endommagé beaucoup de choses, mais je ne sais pas exactement ce qu’ils font. »
Lorsque le garde eut repris son poste, Cendres, étonnée, demanda :
– « Pourquoi ne pas lui avoir dit qui vous étiez ? »
– « N’êtes-vous pas curieuse de savoir quel accueil il va réserver à une sorcière venant d’une autre ville ? » dit Tilly avec un clin d’œil.
Peu de temps après, une grande femme entièrement vêtue de blanc arriva. Elle avait de longs cheveux blonds et un visage parfait. Même sans avoir vu sa magie, Tilly sentait une énergie perçante émaner de son corps comme une lame tranchante et acérée.
Sans aucun doute possible, cette femme était une sorcière de combat, de surcroît très puissante.
– « J’étais persuadée que vous étiez venues rejoindre l’Association! N’êtes-vous pas retournée à l’Île Dormante ? » Dit-elle à Cendres avant de balayer du regard les autres sorcières. Son regard se posa sur Tilly et, pendant un instant, la surprise se peignit sur son visage. La sensation aiguë disparut pour laisser place à chaleur semblable à celle de l’eau tiède.
– « Bonjour, mon nom est Rossignol », dit-elle en inclinant la tête pour saluer la Princesse. « Vous devez être Tilly, la jeune sœur du Prince Roland. »