Au Sud-Ouest de l’empire Baruch, dans une vallée encastrée au sein d’une chaîne de montagnes, se trouvait une base importante du Conglomérat de Dawson. Autrefois, cet endroit était particulièrement peuplé mais depuis que Linley avait tué le Grand Sorcier, Yale n’y importait plus d’esclaves. Il ne restait plus, désormais, que quelques milliers de personnes, essentiellement chargées d’activités commerciales.
La nuit était tombée et comme la vie était devenue plus facile pour les employés du Conglomérat de Dawson, bon nombre d’entre eux se réunissait tard dans la nuit pour aller boire un verre et rentraient en titubant par groupe de deux ou trois.
– « Notre existence s’est nettement améliorée au cours de la dernière année », s’exclama un jeune homme musclé qui sentait le vin. « Il y a quelques années encore, nous menions une vie d’enfer dans cette vallée du Mont de l’Hirondelle. Bon sang… »
– « C’est vrai! À l’époque, je n’osais même pas sortir la nuit. Il y avait tant de personnes tuées que je ne sais même pas de combien de corps j’ai dû m’occuper », soupira un homme d’âge mûr, étonné, en se remémorant le passé.
À cette époque, alors que plus de dix mille cadavres devaient être expédiés quotidiennement, les employés qui vivaient et travaillaient dans cette vallée du Conglomérat de Dawson avaient en permanence l’impression qu’ils allaient craquer psychologiquement.
Soudain, à leur grand étonnement, les trois hommes qui marchaient côte à côte, s’aperçurent, qu’ils ne pouvaient plus bouger. On aurait dit que l’espace autour d’eux s’était solidifié. Ils auraient voulu hurler de frayeur mais ne le pouvaient pas. Ils restaient là, terrifiés, les yeux écarquillés.
Soudain, comme surgie des ténèbres, une silhouette humaine enveloppée d’une robe noire apparut devant eux.
À sa vue, tous trois comprirent que s’ils ne pouvaient plus bouger ni même ouvrir la bouche, c’était le fait de ce mystérieux homme en noir.
– « Depuis combien de temps ce canyon a-t-il cessé le commerce d’esclaves ? » Demanda l’inconnu d’une voix grave. « Parlez, mais ne criez pas trop fort. D’une part, personne ne vous entendra et par ailleurs, si l’un d’entre vous crie trop fort et m’irrite, je le tue! »
Sur ces paroles, il balaya d’un regard froid les trois hommes dont le front et le dos étaient trempés de sueur. À leur grand étonnement, ceux-ci s’aperçurent qu’ils pouvaient à nouveau bouger les lèvres.
– « Parlez », répéta le mystérieux homme en noir.
– « Cela fait six mois », répondit le personnage aux cheveux d’or, qui, visiblement, était un peu plus discipliné mentalement que les deux autres, qui, terrifiés, restaient sans voix.
– « Six mois ? Et que s’est-il passé il y a six mois ? Y aurait-il eu un combat ? »
– « Oui, un combat d’importance », intervint à son tour le jeune homme musclé. « Tard dans la nuit, deux guerriers se sont battus jusqu’à faire trembler toute la vallée, endommageant de nombreux bâtiments. »
– « Le sol a tremblé ? » Répéta le mystérieux inconnu, comme si quelque chose venait de lui traverser l’esprit. « Poursuivez! Racontez-moi en détails ce qui s’est produit cette nuit-là. »
– « Nous étions tous présents », expliqua le jeune homme aux cheveux courts. « Au début, nous avons seulement senti le sol trembler et entendu les bâtiments s’effondrer. Effrayés, nous nous sommes précipités dehors et c’est à ce moment-là que nous avons vu deux experts se battre dans les airs au-dessus de la vallée. L’un d’eux était un Guerrier au Sang de Dragon et l’autre un homme en robe noire. Ah! J’oubliais! Il maniait une immense faucille noire d’au moins dix mètres de long! »
– « Oui! Elle était immense! Nous l’avons vue ensuite se dédoubler en neuf », ajouta le jeune homme musclé.
Comme il faisait nuit noire, les torches, au sol, ne leur avaient pas permis de voir les détails de la scène. S’ils avaient nettement vu l’immense faucille noire, ils ne savaient pas que les neufs autres avaient été créées par l’énergie spirituelle du Grand Sorcier.
– « Une faucille ? » Le mystérieux homme en noir demeura un moment silencieux avant de demander : « Et quels ont été les résultats ? »
– « La bataille s’est déroulée trop vite. Nous avons seulement vu l’homme à la robe noire se faire transformer en un tas de viande hachée et le Guerrier au Sang de Dragon est tomber au sol, mais finalement, c’est lui qui l’a emporté. Notre Président nous a ordonné de rentrer chez nous, après quoi il est resté très longtemps avec le guerrier », bredouilla le jeune homme musclé.
– « Ce Guerrier au Sang de Dragon ne s’appelait-il pas Linley ? » Demanda l’inconnu en robe noire.
– « Si, ce devait être le Seigneur Linley. Il est en très bons termes avec notre Président », répondit l’homme d’âge moyen aux cheveux d’or.
– « Excellent », fit l’homme en hochant la tête. « Je suis très satisfait de vos réponses. »
Les trois comparses laissèrent échapper un soupir de soulagement.
Il y eut un léger grésillement… et tous trois furent aussitôt réduits en trois tas de poussière.
« Ainsi donc, il est mort… mort avant même d’avoir terminé d’affiner la Perle d’Âme d’Or qu’il m’avait promise », pensa l’homme en noir qui n’était autre que Beaumont, particulièrement furieux. « Je n’aurais jamais cru que Linley deviendrait une Divinité en si peu de temps ni qu’il soit en mesure de survivre à l’attaque ultime du Grand Sorcier. »
Il était particulièrement surpris, en effet, qu’un expert qui venait à peine d’atteindre le niveau Divin puisse résister à cette attaque autodestructrice.
« Il est vraiment à la hauteur de sa réputation de suprême génie du continent Yulan », se dit-il, le cœur rempli de haine.
Cette Perle d’Âme d’Or, en effet, était très importante à ses yeux dans la mesure où non seulement elle renforcerait son âme, mais elle accélèrerait considérablement son rythme de formation.
Beaumont murmura le nom de Linley, puis, avec un rire froid, prit l’apparence d’un rayon de lumière noire et disparut à l’horizon.
29 décembre 10040 du Calendrier Yulan. La tempête qui avait duré toute la nuit venait de cesser et tout le Château du Sang de Dragon avait pris l’apparence d’un monde en blanc. L’épaisse couche de neige brillait comme une pierre précieuse à la lumière du soleil.
Délia elle-même avait temporairement suspendu sa formation.
En effet, le Festival de Yulan approchait et dans les jours à venir, tout le monde allait se réunir.
Vêtu d’une épaisse robe blanche, un homme d’âge moyen aux cheveux courts et argentés, s’approcha du château, un léger sourire aux lèvres. Ses yeux ressemblaient à du jade noir.
– « Halte-là, citoyen! » Interpelèrent aussitôt les gardes.
L’homme les regarda en souriant et dit :
– « Faites savoir à Linley, le maître des lieux, que je demande à le voir. »
À ces mots, les deux gardes blêmirent. Dans tout l’Empire Baruch, le nom de Linley était aussi respecté que celui d’un dieu et lorsque les gens parlaient de lui, ils l’appelaient “Seigneur Linley”, rares étant ceux qui se permettaient de l’appeler simplement “Linley”.
Les deux gardes étaient sur le point de le réprimander vertement lorsque soudain… la voix de leur maître retentit dans leur esprit :
– « Laissez-le entrer. »
Stupéfaits et perplexes, les deux gardes l’autorisèrent néanmoins à entrer.
Linley et Délia, assis dans les jardins à l’arrière du château, admiraient le paysage enneigé et profitaient du soleil.
– « Nous allons recevoir la visite d’un invité de marque », dit Linley en souriant à son épouse.
– « Qui donc ? Et comment le sais-tu ? » Demanda Délia, quelque peu surprise.
– « Tout simplement parce qu’il a fait appel à son sens divin pour me contacter », répondit en riant le maître des lieux.
– « Tu veux dire qu’il s’agit d’une Divinité ? » Demanda Délia qui avait aussitôt compris en entendant les mots “sens divin”. « Mais laquelle ? Le Dieu de la Guerre et les autres sont toujours dans la Nécropole des Dieux et ne reviendront pas avant trois ans. »
– « Tu le sauras bien assez tôt », répondit Linley qui, pour l’heure, était de bonne humeur. « Je ne m’attendais pas à ce qu’il demande poliment audience par le biais des gardes. C’est amusant! »
En règle générale, les gens comme Desri et Tulily entraient directement au château. Une Divinité aurait simplement pu entrer en volant, sans avoir à insister auprès des gardes.
Peu de temps après, la Divinité en question se présenta dans les jardins.
– « Mes hommages, Monsieur Linley », dit l’homme aux cheveux d’argent. « Mon nom est Muba. »
– « J’ai entendu parler de vous, Monsieur Muba », répondit le maître de céans.
Quelques minutes auparavant, il avait été surpris lorsque ce fameux Muba, le dieu de cette mystérieuse religion, l’avait contacté mentalement en arrivant devant les grilles du château.
Mais cela ne l’empêcha pas de recevoir chaleureusement cet homme qui s’était présenté très poliment.
À ces mots, Muba comprit que Linley était déjà au courant de l’existence de cette religion.
– « Je suis vraiment désolé d’avoir entrepris du prosélytisme au sein de votre Empire sans votre permission », dit-il en souriant.
Linley s’abstint de lui donner son opinion à ce sujet.
– « Asseyez-vous, je vous en prie », dit-il en désignant un banc de pierre non loin.
Muba obtempéra, un large sourire aux lèvres. Cet homme, qui affichait en permanence un visage rayonnant et souriant et dont le regard qui évoquait une brise printanière, ne ressemblait en rien avec l’idée que l’on pourrait se faire d’un ennemi.
Linley fut le premier à prendre la parole :
– « Puis-je vous demander la raison de votre visite, M. Muba ? »
– « Pour tout vous dire, je suis d’abord venu vous présenter des excuses. Je savais que vous étiez un Saint qui, d’après ce que j’ai pu voir, ne se souciait guère de l’énergie de la foi puisque vous n’avez pas vraiment été affecté du fait que j’édifie ma religion. Mais maintenant que vous êtes devenu une Divinité, M. Linley, je me sens plutôt gêné. »
Le couple était surpris : ainsi, il ne serait venu jusque-là rien que pour s’excuser ?
Se pouvait-il qu’une Divinité se montre si courtoise et plaisante ?
– « Comment serais-je fâché puisque vous me l’expliquez si poliment ? » Répondit Linley en souriant calmement.
– « Soyez tranquille, M. Linley », s’empressa d’ajouter Muba. « D’ici peu, j’aurai résolu cette question de prosélytisme et vous n’entendrez plus parler de ma religion, tout au moins au sein de l’Empire Baruch » dit-il avec une grande sincérité.
Linley ne savait que répondre.
– « Comme vous venez seulement d’atteindre le niveau Divin, j’imagine que vous ne savez pas encore tout. Pour me faire pardonner, je vais donc vous apprendre quelques faits », poursuivit son interlocuteur.
Compte tenu de son comportement, Linley aurait eu bien du mal à lui garder rancune. Cependant, il restait perplexe… Pourquoi tant de courtoisie envers lui qui venait à peine d’atteindre le niveau Divin ?
– « Je serais ravi de recevoir des conseils de votre part, M. Muba », dit-il.
Ce dernier inclina légèrement la tête :
– « Ayant atteint le niveau Divin, nous sommes maintenant considérés comme des dieux. Notre Étincelle Divine et notre âme sont très importantes pour nous mais s’il est indéniable que si la première est puissante, la seconde est, en revanche, très faible. Je suppose que vous avez déjà eu le loisir de ressentir les bienfaits de l’énergie de la foi. »
Linley acquiesça. Au moment de devenir une Divinité, il n’avait absorbé qu’un peu de cette énergie. Sur le moment, il n’avait pas ressenti grand-chose mais six mois plus tard, il s’était nettement aperçu que celle-ci fusionnait avec son énergie spirituelle tout en formant une couche de protection autour de son âme. Cependant, celle-ci lui semblait extrêmement faible.
– « L’énergie de la foi est extrêmement bénéfique pour la croissance de l’âme. Par ailleurs, elle la protège, à tel point que lorsqu’elle devient extrêmement puissante, à elle seule, elle peut bloquer bon nombre d’attaques visant l’âme », soupira Muba.
Linley hocha doucement la tête.
Après tout, il n’avait absorbé que l’équivalent de six mois d’énergie de la foi. Le Dieu de la Guerre et ses semblables, qui en absorbaient depuis cinq mille ans, devaient en avoir un réservoir bien plus dense et profond que le sien. Quant aux Souverains qui en absorbaient dans d’innombrables plans et depuis des milliards d’années, leur niveau d’énergie devait être stupéfiant.
« Puisque vous avez compris à quel point l’énergie de la foi nous était bénéfique, je vais à présent vous expliquer des choses au sujet des artefacts Divins qui seront très importantes pour la suite de votre formation », ajouta Muba qui, visiblement, n’avait pas l’intention de lui cacher quoi que ce soit.
Mais le “savoir collectif” qu’il s’apprêtait à lui révéler, la plupart des experts qui venaient à peine d’atteindre le niveau Divin ne pouvaient l’acquérir qu’après pas mal de déconvenues.