En volant droit vers le ciel, Foudre avait calculé que le ballon se trouvait à deux mille mètres au-dessus du sol.

Quand elle levait la tête, elle avait l’impression que les nuages​​, semblables à du coton disséminé,

étaient presque à portée de main. Cependant, si elle voulait vraiment les toucher, il lui faudrait voler quelques centaines de mètres plus haut.

Le ballon tout entier était recouvert de taches bleues et blanches qui, de loin, lui donnaient exactement la même apparence que le ciel. Ses occupants portaient eux aussi des vêtements de camouflage et il en était de même pour ײVent d’Est 1ײ. Selon les exigences de Son Altesse, il était important que cette attaque surprise reste secrète et soit soudaine. C’est pourquoi la Première Armée était descendue du bateau avant que celui-ci n’atteigne la jetée de Silver City et s’était rendue derrière la montagne voisine.

Sous la surveillance de Sylvie, l’équipe était parvenue à éviter tous les regards et à aucun moment n’avait attiré l’attention. Une fois leur campement installé, l’Observateur des Nuages décolla lentement. La mission de bombardement aurait lieu le jour suivant.

Le voyage avait duré une semaine. Le premier mois d’automne commençait ce jour-là.

Maggie, qui avait du mal d’observer depuis l’intérieur du ballon, volait devant telle une ombre blanche afin de les guider et de repérer la route. Sous la forme d’un aigle à queue blanche, l’altitude ne l’empêchait pas de repérer toutes les routes reliant les villes ainsi que les véhicules qui y circulaient. Ses yeux d’aigle étaient bien meilleurs qu’un miroir d’observation.

« Heureusement qu’elle ne peut pas changer l’endroit où la bombe va tomber », pensa Foudre, « sinon je n’aurais vraiment rien à faire. »

– « Etes-vous fatiguée ? » Demanda Anna en se penchant par-dessus le bord de la nacelle. « Venez vous reposer, ici, nous ne risquons pas de tomber sur un Diable. »

La jeune fille secoua la tête :

– « À cette vitesse, je peux voler toute la journée. »

– « Vous n’êtes pas un peu nerveuse ? » Demanda Wendy qui venait d’arriver en se penchant à son tour.

– « Pas du tout », répondit-elle en pinçant les lèvres. « Je me suis entraînée plusieurs fois au déroulement de l’évènement et le palais est si grand qu’il m’est impossible de le manquer. »

– « C’est vrai ? » Wendy sourit. « Quoi qu’il en soit, ne soyez pas téméraire. Son Altesse a bien précisé que notre sécurité était primordiale. Et… L’incident qui s’est produit durant la mission d’investigation à la Ville des Diables n’était pas votre faute. »

– « Mais je… »

Wendy l’interrompit d’une voix douce :

– « Tout le monde a remarqué que vous étiez contrariée ces derniers jours. Vous n’avez pas agi en lâche, vous manquiez seulement d’expérience en matière de combat. À votre place, je n’aurais certainement pas fait mieux. »

– « En effet, Rossignol possède des réflexes et des compétences que la plupart d’entre nous n’ont pas », renchérit Anna dans le confort. « Vous devriez venir vous reposer, vous allez avoir besoin de beaucoup de magie pour ajuster le point d’impact de la bombe. »

Devant ces paroles réconfortantes, Foudre renifla discrètement puis baissant la tête, elle entra dans la nacelle. Elle n’avait pas atterri que déjà Wendy la prenait dans ses bras :

– « Personne ne vous reproche rien. Ne vous lancez pas la pierre, c’est compris ? »

– « D’accord… »

Après avoir volé toute la matinée, Maggie battit des ailes et retourna vers l’Observateur des Nuages pour informer les trois autres :

–  « La Cité du Roi de Graycastle est en vue. Nous sommes presque arrivées, goo. »

Aussitôt, Foudre s’envola hors de la nacelle et leva son miroir d’observation. C’était exactement comme Son Altesse l’avait décrit : les remparts de la Cité du Roi étaient si grands qu’on les voyait même de cette altitude. Le mur surgissait de terre comme une corde sinueuse d’un bleu verdâtre et délimitait les contours de la ville. Des taches blanches de la taille de l’ongle au milieu de cette masse de gris attiraient particulièrement le regard.

Il était d’abord prévu qu’elles larguent des tracts dans toute la Cité du Roi avant de libérer ײVent d’Est 1ײ, mais après plusieurs essais, il avait fallu se rendre à l’évidence qu’elles n’avaient aucun moyen de contrôler la direction que prendraient des papiers lâchés d’une hauteur de deux mille mètres, même si elles les lestaient. En réduisant leur altitude, elles seraient facilement repérées. L’Observateur des Nuages était beaucoup trop grand. Si de plus elles lançaient depuis le ciel des tracts qui attiraient l’attention de la foule, il leur serait difficile de passer inaperçues.

Son Altesse Royale avait donc finalement décidé d’annuler le lancer de tracts. À la place, il avait chargé Théo d’informer le public que c’était eux qui avaient largué une bombe sur le palais.

Wendy manipula le flux d’air de sorte que le panier s’arrête au-dessus de la Cité du  Roi.

– « Tout le monde est prêt ? »

– « Tirez la valve », ordonna Foudre avec un signe de tête.

Elle entendit seulement un fort bourdonnement tandis que la lourde bombe s’éloignait de la nacelle et tombait droit vers le sol. Soudain allégé d’un poids, le ballon remonta.

Depuis longtemps, elle connaissait par cœur l’étape suivante.

Sous le courant d’air provoqué par sa descente, le parachute situé à l’extrémité de ײVent d’Est n ° 1ײ s’ouvrit et Foudre put ainsi rattraper facilement la bombe. Elle se mit à corriger peu à peu sa trajectoire.

Les sorcières de l’Association ne connaissaient pas du tout la Cité du Roi. Lors de leur voyage vers la Montagne Sacrée, alors qu’elles se dirigeaient vers l’ouest, les sœurs étaient restées cachées plusieurs mois dans les taudis de la ville pour collecter de la nourriture et attirer du sang neuf. C’est d’ailleurs à cette période que Soraya et Echo étaient venues rejoindre l’Association de Coopération des Sorcières. Foudre ne l’avait pas vécu, mais elle en avait souvent entendu parler. Comparée à d’autres villes, la Cité du Roi était très stricte dans la mise en place de chasses aux sorcières. On en exécutait presque chaque mois au sommet d’une volée de marche sur la place publique, c’est pourquoi elles n’étaient pas restées longtemps dans les environs car chaque jour qui passait, elles avaient la douleur de voir une sœur décéder.

Cette capitale animée ne faisait pas bonne impression à Foudre. Si elle pouvait mettre fin au règne de celui qui était responsable de tout en larguant une bombe sur sa tête, elle en serait ravie.

« Si c’était Roland qui gouvernait le Royaume de Graycastle, jamais ces tragédies ne se seraient produites! »

Voilà qu’on lui offrait une chance de corriger cette erreur.

Sous le sifflement du vent, le paysage en dessous d’elle continuait à grandir. Bientôt, Foudre put apercevoir les détails du Palais, situé au milieu du centre-ville.

Sa taille était plusieurs fois supérieure à celle des habitations des roturiers. Ses bâtiments principaux étaient constitués d’un dôme, d’une salle de banquet et d’un grand donjon. Le reste consistait en des bâtiments auxiliaires tels que des écuries, des casernes, des entrepôts et ainsi de suite. Compte tenu des parois abruptes du château, la structure du toit était très complexe et gère propice au détonateur à impact, c’est pourquoi Son Altesse avait décidé que le grand hall du Palais Royal serait la cible de l’attaque.

Comme le projectile chutait rapidement, le parachute atteignit le point de détachement. Foudre tira sur le mécanisme. Le parachute se sépara de la bombe, elle s’y agrippa et s’éleva rapidement vers le ciel.

Avant leur départ, le prince Roland lui avait recommandé à plusieurs reprises se monter suffisamment haut pour être en sécurité avant que la bombe ne frappe. En aucun cas elle ne devait se retourner ou  jeter un coup d’œil à l’explosion. Mais portée une nouvelle fois par sa curiosité, la jeune fille ne put résister à l’envie de baisser la tête.

Un éclair éblouissant s’éleva du haut de la salle et se répandit dans  toutes les directions.

La lumière incandescente devint rapidement rouge-orange vif, accompagnée d’un nuage de fumée et de poussière qui s’évanouit lentement. Un instant plus tard, le bruit soudain de l’explosion tonna à ses oreilles et lui fit perdre l’équilibre.

Foudre n’avait pas l’habitude du bruit retentissant d’un barrage d’artillerie sur un champ de bataille, mais comparé à ces armes terribles qui tiraient des boules de fer, le bruit consécutif à l’explosion de ײVent d’Est No.1ײ était au moins dix fois plus fort!

La fumée jaillit des fenêtres, passa entre les piliers du grand hall et engloutit le jardin et la galerie environnants. Bientôt, plusieurs fissures apparurent sur le dôme qui était au centre de l’impact.

Foudre s’arrêta et retint sa respiration pour assister aux derniers instants d’existence du grand hall.

D’innombrables fissures noires couraient comme de l’encre dans toutes les directions. En un instant, tout le toit en fut recouvert. Puis celui-ci, qui ne tenait plus, s’effondra dans un nuage de fumée encore plus dense.

Sous la puissance incroyable de ײVent d’Est No.1ײ, le grand hall du palais venait de s’effondrer.