Au Palais Royal du Royaume de Graycastle, Timothy, maintenant fermement son sceptre en main, regardait le chef alchimiste Rayleigh Kenneth qui se tenait parmi le public, l’air satisfait.
– « Avez-vous une idée de la recette d’alchimie que les déserteurs ont emportée ? »
– « Certainement, Votre Majesté! Il s’agit de la dernière poudre de neige développée par l’Association Alchimie. Je vous en prie, permettez-moi de vous le démontrer immédiatement », dit Rayleigh en saluant bien bas.
Ayant reçu l’approbation du nouveau Roi, il fit signe à la foule amassée derrière lui. Deux disciples tenant à la main un sac s’avancèrent aussitôt. Il étendit deux feuilles de papier blanc sur le sol et versa dessus la poudre de neige contenue dans les sacs en deux lignes séparées. L’une d’entre elles était d’un gris cendré et l’autre beaucoup plus foncée, presque noire.
– « Votre Majesté, je vous demanderai de bien vouloir jeter un coup d’œil. La plus claire est la poudre de neige utilisée à l’origine lors des célébrations, tandis que la plus sombre est le résultat des derniers travaux : la poudre de neige qui s’enflamme rapidement. »
Rayleigh sortit un silex et enflamma la poudre. La claire se mit à brûler lentement et émit une épaisse fumée tourbillonnante tandis que la plus sombre brûla entièrement le temps d’une respiration et se propagea sur le papier placé en dessous.
– « Qu’est-ce que cela signifie ? » demanda Timothy en fronçant les sourcils : « Le jouet que ma chère sœur s’est procuré ne se contente pas de brûler une feuille de papier! »
– « Bien sûr que non, Votre Majesté », répondit Rayleigh, un grand sourire aux lèvres. « Je ne sais pas si vous avez remarqué la quantité de fumée dégagée lorsque je l’ai enflammée. Plus la poudre de neige brûle vite, plus vite la fumée est libérée et c’est la cause de son extrême puissance. Je vais vous le prouver avec une autre expérience. »
Cette fois-ci, deux sacs de parchemin de la taille d’un poing furent enroulés hermétiquement. Chacun des disciples enflamma une fine corde qui dépassait du sac en papier puis recouvrirent ceux-ci d’un bol en cuivre. Les étincelles se déplacèrent le long de la corde et rampèrent jusque dans les bols de cuivre.
– « Attention, Votre Majesté, cette fois le son sera plus fort aussi je vous prie de bien vouloir couvrir vos oreilles. »
L’alchimiste n’avait pas terminé de parler qu’un grand bruit retentit. L’un des bols en cuivre se renversa tandis que l’autre s’envola droit vers le plafond. Il retomba sur le sol et rebondit plusieurs fois sur la tuile de granit avec un son clair.
« Bon sang! » Pensa Thimothy. Par réflexe, il ravala sa salive et faillit en lâcher son sceptre. « Pourquoi ce vieux fou ne m’en a-t-il pas parlé plus tôt ? »
Un des disciples ramassa le second bol et le plaça devant le nouveau roi. Tout en réprimant sa fureur, il concentra son attention sur ces bols : Cet homme était toujours l’Alchimiste en Chef de l’atelier de la Cité du Roi. S’il voulait étudier la nouvelle arme alchimique, il ne pourrait pas le faire sans son aide.
En cet instant, il devenait évident que le bol avait changé de forme. On aurait dit que quelqu’un l’avait résolument martelé de l’intérieur et déformé ses rebords.
– « J’ai vérifié à plusieurs reprises que la puissance de la poudre de neige ne réside pas dans sa combustion, mais dans le gaz qu’elle dégage » dit avec franchise et assurance Rayleigh qui se tenait au milieu de la salle. « Si vous augmentez la quantité de poudre de neige et que vous la comprimez fermement en boule, elle deviendra assez puissante pour briser une armure et déchirer les corps en morceaux. Je suis persuadé que tôt ou tard, ce nouveau type de poudre de neige remplacera inévitablement les épées et les flèches. Même les chevaliers ne seraient pas à la hauteur d’un civil équipé de sacs de poudre comme celui-ci »
À ces mots, la foule explosa. Beaucoup parmi les Chevaliers de Timothy réunis dans la salle prirent un air sombre. Le Chevallier Weimar ײCœur d’Acierײ lui-même donnait l’impression de vouloir venir discuter avec l’alchimiste, aussi Timothy frappa-t-il immédiatement sur le sol avec son sceptre et cria :
– « Silence! »
Après que la foule se fut inclinée, Timothy tourna les yeux vers Rayleigh :
– « Votre formule est-elle exactement conforme à celle que les déserteurs ont emportée ? »
– « Non, Votre Majesté », répondit Rayleigh en secouant la tête. Il ajouta fort dédaigneusement : « Bien qu’ils aient généralement du salpêtre stocké à l’Atelier d’Alchimie, le stock n’est généralement pas très important. Il a simplement trouvé cette formule alors qu’il mélangeait les composants de la poudre de neige. S’il avait voulu faire des tests complémentaires, la quantité de salpêtre n’aurait pas suffi. Par contre, j’ai moi-même effectué de nombreux tests pour développer ma formule de la poudre à allumage rapide. C’est la méthode optimale et sa puissance est beaucoup plus importante que celle d’un produit obtenu sur un coup de chance. »
– « C’est bon à savoir », répondit Timothy d’une voix détendue.
Il savait que Garcia avait placé bon nombre de ses gens à tous les niveaux, cependant il n’aurait jamais pensé qu’elle avait même quelques hommes de main au sein de l’Association Alchimique. Le déserteur avait bien planifié les choses : il s’était enfui en emmenant avec lui une douzaine d’apprentis. En temps normal, cela n’aurait guère posé problème. Les alchimistes étaient peut-être rares dans les autres villes, mais à la Cité du Roi, ils étaient plus de vingt. Aussi si l’un d’entre eux quittait la cité, les conséquences en seraient insignifiantes, cependant cette fois, l’homme en question était parti après avoir découvert une nouvelle poudre de neige particulièrement meurtrière. Au lieu d’en faire part à l’atelier d’alchimie, il était parti sans laisser de trace le jour suivant.
En définitive, les espions de Timothy n’étaient parvenus à capturer que quelques-uns des alchimistes restés sur place et qui étaient dans la confidence mais ne purent intercepter tout le groupe des déserteurs. Ayant appris la nouvelle, Timothy ordonna immédiatement à son Premier Ministre d’acheter tout le salpêtre disponible dans la ville et demanda à l’Atelier d’Alchimie de reproduire au plus vite la formule disparue. Enfin, au bout de deux mois, ils avaient obtenu quelques résultats et le Roi en était très satisfait. Même si cet homme lui manquait parfois de respect, Timothy avait, pour l’heure, grand plaisir à le voir.
Ayant mis de l’ordre dans ses pensées, ce dernier s’éclaircit la gorge et dit :
– « Vous avez bien fait. Je vous accorde vingt-cinq Royals d’or en récompense de votre contribution. De plus, je vais également ouvrit un atelier de fabrication de poudre de neige à allumage rapide au centre-ville qui sera chargé de produire celle-ci à grande échelle. Mais que cela ne vous rende pas laxiste : il va vous falloir étudier plus avant son utilisation. Si tout se passe comme vous l’avez dit, les civils seront capables de vaincre les chevaliers et je vous récompenserai en vous offrant un titre et des terres. »
– « Merci beaucoup, Votre Majesté! »
Après que le chef alchimiste eut quitté la salle, Sir Weimar, qui ne pouvait plus se contenir, se leva et dit :
– « Votre Majesté, cette choses a beau sembler quelque peu effrayante, vous ne pourrez jamais l’utiliser pour triompher d’un chevalier. Comme vous avez pu le constater, il faut l’enflammer pour déclencher la détonation et sa portée létale n’est que d’une demi-enjambée. À cette distance, je connais des dizaines de moyens d’envoyer le civil au sol. En admettant qu’ils parviennent à l’utiliser à courte distance, je peux profiter du temps d’allumage pour frapper, tuer mon adversaire et repartir tranquillement. À entendre Rayleigh, il est clair qu’il n’est jamais allé sur un champ de bataille. »
– « Nous sommes du même avis, Votre Majesté », renchérirent d’autres chevaliers.
– « C’est bien pourquoi je lui ai ordonné de continuer à chercher un meilleur moyen », répondit Timothy, « par exemple raccourcir le temps d’allumage ou faire en sorte que l’on puisse la lancer ou autre chose de ce genre. Bien entendu, je sais que quel que soit le type d’arme utilisé, je suis moi-aussi convaincu qu’un Chevalier sera toujours meilleur qu’un fermier. »
Malgré tout, au fond de lui, Timothy n’était pas entièrement d’accord sur tout. En effet, les civils n’étaient guère utiles. Ils étaient lâches, ignorants et avaient peur de mourir. Mais contrôlés par les pilules et équipés de poudre de neige, ils pourraient devenir une arme puissante. Du moins, s’ils devaient prendre d’assaut une porte ou un mur de boucliers, il leur suffirait d’envoyer quelques miliciens munis de poudre pour percer un trou dans une solide ligne de défense.
C’est alors que des bruits de pas se firent entendre derrière la porte. L’un des gardes personnels de Timothy, inquiet, entra en trombe, se jeta à genoux et dit :
– « Votre Majesté, il semblerait que les miliciens que vous avez envoyés sur le Territoire de l’Ouest aient été attaqués. Les soldats vaincus sont de retour à la Cité du Roi. J’ai même entendu dire par beaucoup qu’ils étaient porteurs d’une lettre de réprimande. »
– « Quoi ? » S’écria Timothy en ouvrant grand les yeux. « Faites en sorte qu’ils se taisent et amenez-moi tous les survivant ici, au château! »
Dans la cour du château, un groupe de miliciens déchiquetés était agenouillé sur le sol et suppliait :
– « Pitié, Votre Majesté, donnez-nous des pilules. Nous ne pourrons pas tenir plus longtemps. »
« Bande de déchets, vous ne savez rien faire d’autre que de consommer de l’ennemi. De par le seul fait que vous soyez en vie, vous gaspillez déjà de la nourriture et voilà maintenant que vous avez le culot de me demander des pilules ? »
Timothy leur lança un regard froid et dit à voix basse :
– « Comment l’ennemi a-t-il pu vous battre ? Qui peut me dire quelque chose sur le déroulement de la bataille ? Celui qui sera en mesure de me donner une réponse claire recevra l’antidote. »
Tous se mirent à parler en même temps :
– « Nous avons été attaqués alors que nous étions encore à bord. La flotte est devenue un véritable chaos. Le Chevalier en Chef nous a donné l’ordre d’aller à terre et de nous mettre en ordre. Cependant, dès que nous avons accosté, nous avons été attaqués par un jet continu de flèches d’arbalètes, si dense que nous n’avons même pas eu l’opportunité de répliquer. Ce sont les Chevaliers qui ont pris les devants et se sont rendus, nous les avons simplement suivis et… nous nous sommes agenouillés. »
– « Qu’en est-il des chevaliers et du Chevalier en Chef ? »
– « Je ne sais pas. Ils nous ont escortés jusqu’au camp, mais nous n’avons pas vu de chevaliers. »
Timothy fronça les sourcils et devint encore plus froid :
« Comment avez-vous réussi à rentrer ? »
– « C’est le prince Roland qui nous a laissés partir », répondit promptement l’un d’entre eux. « Il nous a aussi donné une lettre que nous sommes censés vous remettre. »
– « À chacun de vous ? »
– « Oui, moi aussi j’en ai une! »
– « Votre Majesté, j’ai également une lettre! »
Crièrent-ils tous en même temps, tandis qu’ils se relevaient pour tirer de leurs poches les ײlettresײ de Roland.
« Au diable! Il en a remis effectivement une à chacun d’entre eux ! »
Timothy réunit les lettres et s’aperçut qu’elles contenaient toutes le même message.
– « Je suis désolé pour vous que vous ayez agi aussi stupidement, Timothy Wimbledon. L’invasion répétée du Territoire de l’Ouest a été une grave erreur dont vous allez devoir payer le prix. J’attaquerai la Cité du Roi au début du second mois d’automne et vous démontrerai que votre place est loin d’être aussi sûre que vous l’imaginez. Le jour venu, tous les habitants de la Cité réaliseront que votre royauté est sur le point de s’effondrer. »
« Roland Wimbledon. »