Alors que Roland, assis à son bureau, était au beau milieu d’une réflexion sur la façon dont il faudrait s’y prendre pour attaquer le palais depuis les airs, un bruit de martèlement lui parvint de la porte-fenêtre située derrière lui.
Il se retourna et aperçut Foudre, complètement paniquée, qui se pressait contre la fenêtre tandis que Maggie, accroupie sur sa tête, donnait de rapides coups de becs dans la vitre.
Lorsque Rossignol ouvrit la fenêtre, la jeune fille vola aussitôt dans les bras de Roland.
– « Qu’est-il arrivé », demanda le Prince, confus. « Qu’est-ce qui a bien pu vous mettre dans cet état ? »
– « Une pierre noire, goo! Une énorme montagne enneigée, goo! » Répondit Maggie qui se laissa tomber sur la table et battit sauvagement des ailes.
– « Comment ? »
– « Ce n’est pas tout », corrigea Foudre d’une voix étouffée : « Les Diables! J’ai vu les Diables! »
– « Quoi ?! » L’expression de Roland devint grave. Il lui caressa la tête pour tenter de lui apporter un certain soutien émotionnel : « Ne paniquez pas, expliquez-moi lentement. »
Au bout d’un moment, Foudre libéra sa tête de l’étreinte du Prince et le regarda. Ses cheveux brillants d’or étaient en bataille et ses yeux cerclés de rouge pâle. De toute évidence, elle avait, dans sa panique, oublié de mettre ses lunettes de protection contre le vent tant elle était pressée de fuir.
– « Je voulais dessiner les frontières de la Forêt aux Secrets. Nous avons donc volé vers l’ouest en longeant la rivière Redwater et avons trouvé une montagne… »
Après l’avoir écouté relater en détails ce qu’elle avait vu et entendu, Roland, les yeux grands ouverts, regarda dans le vide : « Ainsi, une montagne enneigée avec cette brume rouge dont les Diables ont besoin pour survivre se trouverait à l’ouest, dans notre dos, à seulement deux cents kilomètres d’ici ? »
Il regarda Rossignol qui hocha la tête et dit :
– « Je vais appeler les autres sœurs. »
Peu de temps après, les sorcières se rassemblèrent dans le bureau pour une réunion urgente.
Après que Roland leur eut expliqué ce que Foudre avait découvert, les sorcières qui avaient vécu cette nuit de massacre prirent toutes la même expression troublée. Leaves, surtout, qui avait tué les deux Diables de ses propres mains, ne put s’empêcher de se couvrir la bouche en poussant un petit cri.
Scroll, la première, prit la parole :
– « Votre Altesse, je préconise que nous explorions plus avant cette terre couverte de brume rouge », dit-elle. « Après tout, Foudre n’a fait que jeter un coup d’œil de très loin, aussi nous ne pouvons pas être certains que les Diables vivent en effet dans cette brume rouge. Il est nécessaire de tenter de savoir s’ils ont l’intention de traverser la chaîne de montagnes qui se trouve à côté de l’océan et longer la côte pour atteindre le continent. »
– « Je suis d’accord avec le point de vue de Scroll », répondit Wendy en acquiesçant d’un signe de tête. « Bien qu’ils soient très puissants, il est préférable de nous préparer à nous défendre plutôt que d’avoir les mains liées et attendre d’être capturé. »
Scroll et Wendy, les deux plus anciennes sorcières de l’Association, avaient toujours été un pilier pour de nombreuses sœurs. Aussi, même si certaines d’entre elles paraissaient effrayées, aucune, apparemment, ne tenait à rester assise en attendant de mourir.
Roland préférait ce genre de réponse. Comme personne n’y faisait objection, le plan de base fut ainsi fixé. Il s’agissait maintenant de décider comment le mettre en application.
– « Nous pourrions utiliser un ballon pour l’enquête », suggéra Anna. ײL’Observateur des Nuagesײ étant recouvert d’un camouflage de type ײcielײ, nous pourrons utiliser les nuages comme couverture et survoler l’océan. »
– « En plus, vous pouvez emmener Sylvie », suggéra Rossignol. « Sa capacité est parfaite pour faire face à ce genre de situation. »
– « Très bien », acquiesça Roland, « dans ce cas…. je viens moi-aussi. »
– « Votre Altesse! »
À peine le Prince avait-il prononcé ces paroles que Wendy, Scroll et Rossignol s’écrièrent en cœur : « Vous ne pouvez pas prendre personnellement ce risque! »
– « Je ne prends guère de risques », répondit Roland en leur faisant signe de se calmer. « S’ils avaient la capacité de traverser cette haute montagne ou la mer, ils se seraient déjà répandus dans les Quatre Royaumes. Cependant, la raison pour laquelle ils sont restés rassemblés sur les terres lointaines de l’Ouest est simplement qu’ils ne sont pas aussi effrayants que dans votre imagination. »
Le Prince s’était bien abstenu de leur dire que pour juger du niveau de développement d’une autre civilisation, il était beaucoup plus expérimenté qu’elles. S’il pouvait jeter un œil sur ces Diables et sur la ville où ils vivaient, cela l’aiderait beaucoup pour connaître la route à suivre par la suite et trouver une tactique pour repousser l’ennemi.
– « Mais… » Wendy hésitait.
– « Ne vous inquiétez pas, nous nous contenterons de les observer de loin », dit le Prince en souriant. « Si j’estimais qu’une enquête à distance était dangereuse, je ne vous permettrais jamais d’y aller. »
– « Bien, mais vous devrez m’emmener avec vous. »
Voyant que leurs tentatives de dissuasion étaient vaines, Rossignol, la première, changea son fusil d’épaule.
Devant le regard sérieux de son interlocutrice, Roland comprit qu’il lui serait impossible de refuser. Aussi, après avoir réfléchi un moment, il annonça :
– « Dans ce cas, Anna, Wendy, Soraya, Sylvie, Rossignol, Foudre et Maggie m’accompagneront.
La mission aura lieu dans une semaine. En plus des réserves de nourriture nécessaires, je vous donnerai à chacune un revolver. Prenez la semaine pour vous entraîner, de sorte que même si vous êtes une sorcière non combattante, vous soyez en mesure de vous défendre si vous deviez affronter un ennemi. »
Le ballon à air chaud étant beaucoup moins rapide que Foudre, Roland craignait qu’il ne leur faille une journée entière pour parcourir plus de 200 kilomètres. Ils devraient donc camper une nuit dans le désert s’ils voulaient achever ces investigations. De ce fait, il était indispensable d’emporter de la nourriture sèche, des tentes et des armes.
– « Entendu, Votre Altesse », répondirent en chœur les sorcières.
Lorsque tout le monde fut sorti, Roland eut enfin le temps de regarder la pierre noire que Foudre avait ramenée au prix d’un grand effort.
– « Vous avez dit que ce genre de pierre se trouvait partout à la lisière de la forêt ? »
« Oui », répondit la jeune fille, calmée à présent. Malgré tout, alors qu’elle était assise devant la table d’acajou, ses jambes ne cessaient de se balancer et la rougeur sur ses joues n’avait toujours pas disparu. « De surcroît, plus le pied de la montagne est proche, plus les pierres noires sont grandes. Vue d’en haut, la zone couverte par ces pierres noires est une douzaine de fois plus grande que Border Town. »
Roland la ramassé pour estimer son poids et son cœur fit un léger bond.
« Elle est bien plus légère qu’une pierre ordinaire, aussi il y a très peu de chance pour que ce soit du minerai. D’aspect, elle est dure, lisse et sous la lumière du soleil a des reflets métalliques. De plus, ces pierres se trouvent en surface… Est-il possible qu’il s’agisse d’une mine de charbon ? »
Cette pensée lui ayant traversé l’esprit, il rappela immédiatement Anna.
Alors qu’elle brûlait sous sa flamme noire, la pierre prit bientôt une teinte rouge vif. On aurait dit du minerai de fer dans le four de fonte. Mais bientôt, elle commença à se dissoudre. Anna rappela sa flamme noire, mais la lumière orangée générée par la pierre ne faiblit pas. Ils constatèrent qu’une flamme bleue s’élevait légèrement à sa surface.
Cela confirma l’hypothèse de Roland selon laquelle il s’agissait bien d’un morceau d’anthracite d’excellente qualité.
– « Alors c’est à cela que ressemble une mine de charbon », dit Foudre, surprise. « J’ai toujours pensé que le charbon était fragile et couvert de poussière, de sorte que si on le touche, on a la main toute sale. »
– « Il va de soi que ce n’est qu’après avoir subi un processus de concassage et de dilution que ceci ressemblera à une briquette de charbon de bois et à un gâteau de charbon », expliqua Roland en riant. « La majeure partie de ce que l’on extrait d’une mine de charbon ressemble en général à des pierres. Et bien sûr, plus la qualité du charbon brut est élevée, plus sa structure sera forte. Finalement, tous les morceaux de charbon deviendront exactement comme ces pierres, lustrés et réfléchissants en surface. »
Cette découverte inattendue l’avait rendu exceptionnellement joyeux.
Le charbon n’était pas rare dans le Royaume de Graycastle. La Crête du Dragon Déchu et Silver City possédaient toutes deux des mines de charbon, leur rendement étant principalement utilisé pour alimenter les fours ou le chauffage individuel. Mais en réalité, le charbon avait de nombreuses utilisations possibles. Avant la propagation du moteur à combustion interne, la fumée du charbon en train de brûler couvrait environ la moitié du ciel. Cokéfié, il pouvait remplacer le charbon de bois pour fondre le fer en acier et était beaucoup plus respectueux de l’environnement que le fait de couper des arbres sans ménagement. Lorsque l’humanité serait entrée dans l’ère électrique, le charbon pourrait être raffiné en gaz de charbon, en hydrogène et en asphalte. On pourrait également l’utiliser pour générer de l’électricité. C’est pourquoi on le considérait comme un carburant bon marché et de haute qualité.
Avoir entre les mains une mine de charbon à ciel ouvert était préférable au fait de devoir compter sur les importations. La seule question était : comment l’exploiter ?
Roland reporta son attention vers la carte que Foudre venait de dessiner.
De toute évidence, la construction d’un bateau à vapeur en ciment était impérative.