Le château de Border Town n’avait pas toujours été à l’endroit où il se trouvait maintenant.
Lorsqu’on avait posé les fondations du premier château, le sol s’était effondré en raison de la présence d’une grotte souterraine. De ce fait, sa position avait dû être modifiée.
Les égouts déjà creusés avaient été pour la plupart détruits lors de l’effondrement. Certaines parties étaient encore intactes, mais celles-ci avaient été laissées de côté en raison de la relocalisation et de la reconstruction du château.
Quand Brian était jeune, il jouait souvent dans ces tunnels souterrains et un jour, il avait accidentellement découvert un passage partant d’un puits abandonné à l’extérieur du mur du château qui menait directement à un autre puits situé dans les jardins. Brian avait fait part de cette découverte à son père, mais reçu une sérieuse fessée en retour. Son père l’avait également averti que toute intrusion dans le château du seigneur était une infraction capitale. S’il se faisait prendre, ce serait un aller simple vers la potence.
Brian eut peur pour sa vie et ne s’aventura plus jamais dans les anciens égouts. Cependant, lorsque les gens se rassemblent, ils se mettent à boire, à discuter et en de telles occasions, il s’était vanté à plusieurs reprises de pouvoir accéder directement au château.
À présent, il le regrettait amèrement.
Mis à part Greyhound, la patrouille comptait neuf hommes. En d’autres termes, le Balafré avait convaincu la patrouille entière. Ils travaillaient maintenant pour le duc Ryan, qui contrôlait la partie occidentale du royaume. En outre, les récompenses étaient telles que vraisemblablement, très peu de personnes auraient été en mesure de résister à cette tentation.
Le puits abandonné était situé à l’endroit qui s’était effondré, qui était toujours resté un terrain vague. Le Balafré, armé de son épée, ordonna à Brian de montrer le chemin. Durant tout le trajet, ce dernier fut encadré par le groupe. Les voies d’eau plutôt spacieuses qu’il avait connues dans son enfance étaient devenues très étroites. Comme personne ne passait à cet endroit, la dérivation de l’eau avait creusé de nombreux trous dans lesquels croissaient des vignes.
Le type qui avait poignardé Greyhound ouvrait la marche, une torche à la main, et de l’autre, il tenait une hache pour déblayer le chemin.
Tout en feignant de se rappeler par où passer, Brian cherchait secrètement un moyen de s’échapper.
Mais dans cet endroit, il n’avait aucune possibilité de fuite. Ce n’est qu’une fois arrivé au château qu’il pourrait avoir une faible chance. Cependant, comment faire ? Devrait-il crier pour alerter les gardes de Son Altesse ? Non c’était une mauvaise idée, le Balafré n’aurait qu’à lever la main pour lui prendre la vie. Il lui fallait absolument s’éloigner de cet homme, faute de quoi il subirait le même sort que Greyhound.
En pensant à ce dernier, les yeux de Brian s’assombrirent.
Avant que Border Town n’ait été établie, Greyhound et lui vivaient déjà ici. Ils avaient grandi ensemble et souvent partagé leurs jeux. Ils avaient même rejoint la patrouille de la ville, c’était l’idée de Brian. Greyhound n’aurait jamais pensé qu’il serait choisi pour en être le capitaine.
Brian était heureux pour lui. En raison de son bégaiement, Greyhound avait beaucoup souffert du mépris. Mais ce jour-là, il avait la chance d’être reconnu. Enfin une opportunité!
Lorsque Greyhound était tombé, le Balafré avait sarcastiquement lancé au visage de Brian la vraie raison pour laquelle tout le monde avait choisi son ami comme capitaine.
– « Imbécile, il a été choisi parce la principale tâche du capitaine pendant les Mois des Démons est de rester en arrière pour s’occuper de choses comme allumer des feux pour donner l’alerte. Nous vous laissons faire, car pourquoi devrais-je me charger d’une tâche aussi dangereuse ? ».
À l’oreille de Brian, cette phrase fit l’effet d’une lame acérée.
Alors ceux qui avaient humblement refusé quand ils s’étaient vu offrir cette promotion… ces paroles de félicitations étaient tellement hypocrites, et leur véritable motivation si laide! Son expression, choquée et douloureuse, cachait la furieuse colère qui bouillonnait dans son cœur. C’était tout simplement impardonnable, rageait Brian intérieurement. Quelqu’un devrait en payer le prix!
Après avoir parcouru les égouts asséchés durant une demi-heure, le groupe entendit enfin l’eau couler. Ils n’étaient plus très loin de leur destination.
Au détour d’une galerie, la voie devant eux parut soudain plus large et claire. L’endroit ouvert pouvait accueillir deux personnes côte à côte. Celui qui précédait le groupe s’écria :
– « Le chemin s’arrête ici, c’est la bouche du puits. »
– « Quoi maintenant ? » demanda le Balafré en titillant Brian de la pointe de son épée.
– « Dites-lui de lever les yeux », dit ce dernier. « Nous sommes arrivés. »
Ce canal abandonné était situé au centre des égouts du château. Au moment de la réparation, peut-être en raison d’une négligence, il n’avait pas été scellé.
Le Balafré se colla contre le mur et regarda l’eau se précipiter trois pieds plus bas. En levant les yeux, il aperçut un bout de ciel nocturne à travers une petite percée.
Laissant à ses gens le soin de surveiller Brian, il prit son sac à dos et en sortit un paquet de corde. Il attacha un crochet à une extrémité et le lança doucement pour entendre le bruit du crochet s’agrippant fermement au bord du puits.
Le Balafré grimpa prudemment le long de la corde. Arrivé en haut, il tira et les autres montèrent.
Après une longue attente, ce fut finalement au tour de Brian de remonter le puits. Ils n’avaient jamais été aussi près du château.
Le Balafré empoigna Brian et ordonna à voix basse :
– « Venez avec nous dans l’entrepôt. »
Brian n’était venu là qu’une seule fois. Même s’il n’avait gardé en mémoire qu’une image floue du château, il savait où il se trouvait. Si ces hommes forçaient la porte la plus proche du puits, ils entreraient directement.
À cette heure, la plupart des gens étaient déjà partis se coucher, et la lampe à huile suspendue au mur du couloir avait déjà été éteinte. Dans l’obscurité, quelqu’un dut allumer un feu. Cette faible flamme n’éclairait qu’un rayon de quelques pieds, mais Brian attendait sa chance, qui viendrait certainement.
Lorsque le groupe arriva à un embranchement sur le chemin qui menait au sous-sol, il avisa un escalier qui descendait et se précipita soudain entre les gardiens. Ceux-ci furent pris au dépourvu, bien qu’ils aient surveillé chacun de ses mouvements. Brian avait bondi d’un coup et ils n’avaient pas pu l’en empêcher. Mais très vite, ils réagirent et se lancèrent à ses trousses. Brian se jeta dans l’escalier, hors de la lumière, et disparut dans l’obscurité.
– « Bon sang! »
Le Balafré sortit immédiatement son poignard et se précipita pour le rattraper. Il pensait qu’il profiterait de l’obscurité pour jouer à cache-cache avec lui, aussi fut-il pris au dépourvu lorsqu’il s’aperçut que Brian ne s’était pas échappé. Il se tenait tranquillement debout en bas des marches, comme s’il l’attendait.
Le chef de bande remarqua que ses complices étaient déjà immobiles sur le sol, et vit que Brian tenait leurs armes à la main.
– « Imbécile, vous pensez avoir une chance de gagner contre moi ? »
Le Balafré prit une posture d’alerte. Il entendait le reste de ses hommes descendre les marches à leur tour.
– « Nous sommes sept et vous êtes seul. »
Brian ne répondit rien. Il n’avait plus besoin de réfréner sa fureur. Il leva son épée et frappa rapidement en diagonale vers le bas, heurtant celle du Balafré avec une force qui généra des étincelles. Avant que l’homme n’ait pu prendre une position de défense, la pointe de l’épée de Brian avait déjà percé son épaule!
Avec un grondement de douleur, le Balafré fit un pas en arrière pour permettre à un complice de passer devant.
C’était un excellent endroit pour se battre. Les allées étroites ne permettaient pas aux adversaires de Brian de tirer parti de leur nombre. Il se tenait au milieu du couloir, ses ennemis ne pouvant se trouver que devant lui. Il était capable d’affronter deux personnes armées d’épées côte à côte.
En escrime, personne au sein de la patrouille ne l’impressionnait.
Pendant que ce groupe de fripouilles paresseuses jouait et se livrait à ses passions dans un bar, il perfectionnait ses capacités de combat, malgré le vent, le gel, la pluie et la neige qui se relayaient toute l’année. C’était son choix et la raison pour laquelle il n’avait pas crié pour demander de l’aide immédiatement.
Brian voulait venger personnellement Greyhound.