Alors que le Grand Sorcier tombait du ciel, Yale, les présidents des deux autres grandes unions commerciales du continent Yulan, le Syndicat de l’Île Enneigée et le groupe Guer retrouvèrent leurs esprits, conscients des désastres qu’ils avaient occasionnés au cours des six dernières années.

– « Le Grand Sorcier est mort! Enfin! » S’écrièrent deux personnages à la robe d’argent depuis une zone déserte en éclatant d’un rire sauvage.

– « Après tant d’années, nous voilà enfin libérés de l’emprise de ce démon! »

Tous deux arrachèrent simultanément leurs tuniques argentées et les déchirèrent en mille morceaux avant de se changer.  « Rien qu’à les voir, ça me dégoute. »

Ces deux créatures, dont l’une était humaine et l’autre un homme-panthère, étaient si excitées qu’elles en tremblaient.

– « Enfin libres. Enfin libres! » Leurs yeux remplis de larmes exprimaient une joie inénarrable.  

Ils se souvenaient parfaitement de tout ce qu’ils avaient fait sous le contrôle du Grand Sorcier, sachant pertinemment que tant qu’il était en vie, jamais ils n’auraient pu recouvrer leur liberté.

– « J’aimerais savoir qui l’a tué afin que nous puissions le remercier », dit l’homme-panthère qui débordait d’enthousiasme.

– « Comment Wiggin [prononcer Wei’gen]!? Vous voudriez le remercier ? » Plaisanta l’autre expert.  

Son compagnon se mit à rire et secoua la tête :

– « Bien sûr que non. J’ai été suffisamment longtemps contrôlé par d’autres. Par ailleurs, la personne qui a tué le Grand Sorcier ne l’a pas fait pour nous. Quels sont vos projets, à présent, Laghman [La’ge’man] ?

L’expert humain contempla l’étendue sauvage et laissa échapper un long soupir.

– « Voilà huit mille ans que je vis sur le continent Yulan. C’est ma patrie. Mon pouvoir ne s’étant pas amélioré du tout depuis que j’ai rencontré le Grand Sorcier à la Prison du Plan de Gebados, j’ai l’intention de faire longuement le tour du continent et de trouver un endroit pour m’entraîner assidument. »  

– « Wiggin, voudrais-tu aller à la Nécropole des Dieux ? » Demanda l’humain.

– « La Nécropole des Dieux ? Le continent de Yulan… »

« J’ai autrefois suivi mon maître sur le continent Yulan. Je voulais en effet aller chercher des trésors dans la nécropole, mais je ne m’attendais pas à y rencontrer ce Démon de Sang Pourpre.  À l’époque, beaucoup ont été tués et d’autres fait prisonniers. Je n’ai plus guère d’espoirs concernant ce continent », pensa-t-il en riant de lui-même.  

– « J’en ai assez d’être une marionnette privée d’esprit soumise aux ordres des autres. Je veux trouver un endroit où vivre tranquillement pendant un moment. » Puis il ajouta avec un rire moqueur : « Compte tenu de la situation actuelle du continent Yulan, nous autres Premiers Saints feraient mieux de nous faire discrets. »  

L’expert humain acquiesça, puis tous deux se séparèrent et allèrent se cacher au sein du continent.

Quiconque n’ayant jamais été contrôlé par une Graine d’Âme aurait du mal d’imaginer ce qu’il en était. On devenait loyal envers son maître du plus profond de son âme. Ses ordres étant la priorité absolue, la personne sous emprise n’hésiterait pas à tuer ses parents et ses proches si celui-ci l’exigeait.  

Sous contrôle, les gens ne s’en rendaient pas compte mais une fois recouvrée leur volonté propre, ces souvenirs les poursuivaient durant de longues années et souvent, ils finissaient par devenir fous.

« Qu’est-ce… qu’est-ce que j’ai fait ?! » Pensa Yale, le cœur à l’agonie.

Une fois sous emprise, il s’était mis à utiliser des méthodes cruelles pour tuer un grand nombre d’esclaves et collecter leurs âmes pour le compte du Grand Sorcier. Certaines personnalités du Conglomérat de Dawson ayant tenté de l’arrêter, dont des parents à lui, il avait banni ceux qu’il pouvait et tué les autres par des moyens sanguinaires.

Ces actes pervers et cruels, associées à l’aide des experts à la robe d’argent, avaient permis à Yale d’obtenir un pouvoir absolu et incontesté au sein du conglomérat de Dawson. Un pouvoir acquis au moyen d’une lame de boucher!

– « Rentrez tous! » cria-t-il à la ronde.

– « Seigneur Président, faut-il demander à quelqu’un de s’occuper de cet endroit ? » Demanda un vieil homme aux cheveux argentés.

– « C’est inutile, Oncle Alberts [Ai’bo’ci], » répondit-il sincèrement.

Le vieillard était abasourdi. Cela faisait six ans que Yale, qui, comme l’administration du Conglomérat de Dawson, était devenu cruel, rigide et impitoyable, ne l’avait plus appelé “Oncle Alberts”.  À ces mots, les souvenirs du passé lui revinrent en mémoire.

– « Je suis désolé pour ces six ans », murmura Yale.

– « Président… mon jeune maître… » commença l’homme qui avait bien du mal à réprimer son enthousiasme! Yale, le Yale qu’il connaissait, était enfin de retour!

– « Assez! Que tout le monde rentre se reposer », dit le vieillard aux gens qui l’entouraient, d’une voix forte et plus confiante qu’elle ne l’avait été ces six dernières années.

« Je ne pourrai jamais me racheter auprès de tous ces gens », se dit Yale, conscient de toutes les erreurs qu’il avait commises au cours de cette période. « Ni auprès de mon frère », pensa-t-il en regardant Linley, encore agenouillé sur le sol, en proie à la douleur.

Pour l’heure, ce dernier était dans un état déplorable, son âme ayant été durement commotionnée. En général, il suffisait que l’âme subisse un coup puissant pour qu’elle s’effondre et bien que celle de Linley fût particulièrement résistante, il se sentait extrêmement mal.  

Il ouvrit les yeux avec peine et regarda son ami.

À la vue de l’inquiétude qui se lisait dans les yeux de Yale, il se sentit aussitôt rassuré.

Il n’avait pas risqué sa vie en vain : ce vieux Patron était sauvé!

– « Mon frère », dit Yale, le cœur débordant de culpabilité, en s’agenouillant devant lui pour le soutenir. « Tout va bien, frère ? »  

– « Oui », répondit avec peine Linley. « Une minute, tu veux bien ? »  

Sur ce, il s’assit en position de méditation et sentit que les essences d’âme sous forme d’or liquide qu’il avait dérobées au Grand Sorcier, envoyaient des vagues successives de brouillard doré vers son âme qui le buvait comme de l’eau.  

Pour le thaumaturge, pour que celles-ci soient plus facile à absorber, il fallait encore transmuter cet “or liquide” en Perle d’Âme D’or. Mais grâce à l’Anneau Panlong, Linley était en mesure d’en assimiler une grande quantité. Ce faisant, son âme en forme d’épée grandissait peu à peu et devenait de plus en plus brillante.

« Quelle sensation agréable », pensa-t-il.

En effet, la douleur avait disparu et il n’avait pas besoin de se concentrer pour absorber ces essences. Il pouvait le faire tout en s’entraînant ou en bavardant.

Enfin, il rouvrit les yeux.

– « Comment te sens-tu, mon frère ? » Demanda Yale qui ne l’avait pas quitté, le cœur rempli d’inquiétude.

– « Beaucoup mieux, mais promets-moi de ne plus me faire boire de ce terrible vin empoisonné », répondit Linley avec un sourire narquois.

En entendant ces mots, son ami se sentit soulagé.

– « Merci, frère », murmura-t-il, au bord des larmes.

Même s’il savait que ce n’était pas de son plein gré qu’il avait eu recours au Poison Destructeur d’Âme pour tenter d’assassiner Linley, il se sentait extrêmement coupable, alors que son ami ne semblait pas y accorder d’importance.

– « Mais de quoi ? » Demanda Linley en se relevant, aussitôt imité par Yale. Il jeta un coup d’œil à l’immeuble en ruine et ajouta en riant : « Je suis désolé d’avoir causé autant de dégâts à ta maison. »

Lui qui s’était préparé à risquer sa vie en décidant de combattre cette Divinité avait finalement gagné, ce qui le mettait d’excellente humeur.  

– « Surtout ne t’excuse pas », répondit gravement Yale, terriblement redevable envers son ami. « Je ne pourrais pas le supporter. »

– « Ce n’est pas ta faute », soupira Linley, ému. « Tu étais sous l’emprise d’une Divinité. »

– « Parce que le Grand Sorcier était de niveau Divin ? » S’exclama Yale, surpris dans la mesure où, même s’il savait que celui-ci était puissant, il n’avait aucun moyen de savoir s’il s’agissait ou non d’une Divinité.

– « Oui, sinon pourquoi aurais-je eu tant de mal à le tuer ? »

Il estimait avoir eu de la chance. Sans cette barrière protectrice de l’âme endommagée, sans ce…

Linley baissa les yeux sur l’Anneau Panlong dont, jusque-là, il ignorait le contenu pour n’en avoir jamais vraiment pris le contrôle. À présent, il le savait. En effet, il avait nettement senti l’une des trois gouttes d’eau couleur d’azur émettre un rayon d’énergie capable de renforcer la brillance de la lumière bleue qui protégeait son âme.

« C’était donc ça », pensa-t-il en soupirant, se remémorant le moment où, par le passé, cette lumière bleue s’était mise à briller de façon stupéfiante.

Soudain, une pensée lui traversa l’esprit. « Une minute! Si j’en crois les archives ancestrales du clan Baruch, seuls les Guerriers au Sang de Dragon possèdent cette lumière bleue autour de leur âme. Comment se fait-il que cette mystérieuse goutte d’eau ait pu la rendre aussi brillante et comment expliquer que ma forme de Guerrier au Sang de Dragon ait soudain évolué ? »  

Linley jeta un coup d’œil aux deux lignes dessinant le dragon sur l’anneau. « Le premier propriétaire de l’Anneau Panlong aurait-il été, de quelque manière que ce soit, en relation avec ces guerriers ? »

Les coïncidences étaient vraiment trop nombreuses.

– « À quoi penses-tu ? » Demanda Yale en constatant que Linley s’était brusquement interrompu.

– « À rien », répondit ce dernier en chassant ses pensées.

– « Je te félicite, mon frère! » Dit son ami en souriant. »

– « Et pourquoi donc ? » Demanda Linley en lui rendant son sourire.

– « Le fait que tu viennes de tuer un expert de niveau Divin me laisse à penser que tu as toi-même atteint ce niveau! Le niveau Divin, tu te rends compte! Il est si élevé que lorsque nous étions jeunes et batifolions ensemble, jamais je n’aurais pu imaginer que mon ami deviendrait un jour une Divinité! »

Passer d’un mortel à une Divinité était un terrible changement dans une existence.

Qu’il s’agisse d’une Créature Magique, d’un homme-animal, d’une forme de vie métallique, végétale ou de toute autre race étrange et particulière, une fois atteint ce niveau, tous bénéficiaient d’un corps Divin et étaient communément appelés des Divinités.   

Et voilà que Linley en faisait partie, rejoignant ainsi le Dieu de la Guerre et le Grand Prêtre qui étaient les plus importantes personnalités humaines du continent Yulan!

Linley se mit à rire.

– « En effet, qui aurait pu l’imaginer à cette époque ? Ah! J’allais oublier quelque chose d’important. »

Il se retourna brusquement et inspecta le sol. Mais comme la nuit était tombée depuis longtemps, on ne voyait presque rien.

– « Frère, que cherches-tu ? » Demanda Yale, un peu perplexe.

– « Les trésors du Grand Sorcier », répondit Linley qui, en s’emparant de l’Étincelle Divine de son adversaire, avait totalement oublié de récupérer deux autres objets essentiels :  son artefact divin et son anneau interspatial. Il était en effet très curieux de savoir ce que celui-ci contenait.

Il fit donc appel à son énergie spirituelle et eut tôt fait de les localiser.

Comme il fallait d’abord lier l’anneau avec son sang pour pouvoir l’utiliser, Linley, qui n’était pas pressé de l’ouvrir, le mit de côté ainsi que la faucille noire.

– « Je suis ravi que tu ailles mieux, Yale. Je me doute que durant ces six ans, tu as fait des choses insensées. Si rien de tout ceci n’est de ta faute, ton père et les autres membres du Conglomérat ne le savent certainement pas. Réfléchis bien à ce que tu vas faire. Pour ma part, je ne vais pas te déranger plus longtemps. Je dois rentrer immédiatement au château où Délia, mon jeune frère et les autres sont très inquiets pour moi. Ils craignent que je ne revienne pas. »

Libre et soulagé, il se mit à rire.

Quand à Yale, il ressentait un élan de gratitude.

Linley, qui, il y a peu, était encore un Saint, n’avait atteint que le niveau Divin minimal. Or, sans même savoir si l’ennemi auquel il avait affaire était puissant et bien que ce fût extrêmement dangereux, il n’avait pas hésité, même après que son ami ait tenté de l’empoisonner.

Jamais il ne pourrait l’oublier.

– « Merci », dit-il simplement. Qu’aurait-il pu ajouter ?  

– « Tu resteras à jamais Yale, le chef de notre dortoir de 1987 », dit Linley avec un sourire radieux en lui tapotant l’épaule.

Puis, se détournant, il prit son envol, pressé de rassurer ceux qui, au château, s’inquiétaient pour lui.