Le vrai nom de Yuan Zi était Yuan Zhiyi. Hormis Papa Jiao, Wei Ling et lui, Fei Hang, un autre vieil ami d’université de Chuhua, avait lui aussi investi.
Yuan Zhiyi débuta sa propre carrière après la disparition du Professeur Yuan. Récemment, il était allé à l’étranger. La plupart des équipements dont ils avaient besoin étaient produits là-bas. De plus, il voulait gagner un peu d’expérience sur le terrain.
Bien que son père soit décédé, ses relations étaient toujours là. Cela leur permit d’être un cran au-dessus de leurs concurrents.
Zheng Tan ne connaissait pas grand-chose à la science, mais il savait que l’équipement qu’ils venaient d’acheter coûtait facilement plus de 10 000 pièce. En dollars, pas en yuans. Le chat noir allait rarement au labo. Les quelques coups d’œil qu’il avait jetés sur l’équipement ne lui avaient pas appris grand-chose. Les étiquettes étaient en anglais, seuls le nom des propriétaires était en chinois.
Il avait entendu dire que le département de biologie avait récemment investi deux millions en équipement. Pourtant, la veille, lors de sa visite au laboratoire, il n’avait guère vu la différence.
Il n’était pas étonnant que Papa Jiao se plaigne de ne pas avoir assez d’argent pour l’entreprise. La subvention qu’il avait reçue n’était pas destinée à cela. Il avait déjà investi la totalité des économies de la famille, soit un peu moins de deux millions de yuans, mais ce n’était pas suffisant pour acheter l’équipement nécessaire.
Ce jour-là, le père dit à Zheng Tan qu’il avait reçu un appel de M. Guo l’informant qu’il avait un travail urgent pour lui.
Tout ce que demandait M. Guo était que le chat fasse du mannequinat pour les publicités. C’était un jeu d’enfant pour Zheng Tan. Il s’agissait surtout de vidéos et d’histoires en posters. Si le travail était urgent, le salaire était évidemment négociable. Papa Jiao s’occupait des questions d’argent. Tout ce que Zheng Tan avait à faire était de venir poser.
L’après-midi même, l’homme vint à l’hôpital avec de la nourriture diététique et des compléments vitaminiques. Il rendit visite à Mama Jiao avant de se retirer pour parler affaire avec le mari dans le couloir.
– « De la nourriture pour chatons ? » S’enquit Papa Jiao.
– « Ouais. Le chat d’un des clients de mon frère a eu une portée. La mère, blessée, était soignée à la clinique de mon frère. Les chatons, qui ont six semaines maintenant, sont en sevrage. Le client a dit qu’il n’en garderait qu’un seul et qu’il prévoyait de donner les quatre autres. Je les ai examinés. Ils sont magnifiques. J’ai donc décidé de profiter de l’opportunité pour tourner une pub sur la nourriture pour chatons. »
Le frère de M. Guo était vétérinaire. Avant que le centre animalier ne soit construit, sa clinique était séparée du magasin pour animaux de M. Guo. Maintenant qu’ils avaient fusionnés leurs entreprises, ils se partageaient les clients. Au début, M. Guo envisageait d’attendre avant de faire des pubs d’aliments pour chatons. Il était difficile d’obtenir l’effet qu’il désirait avec les petits. Après tout, ceux-ci n’étaient pas entrainés et n’obéissaient pas aux instructions.
– « Si c’est une pub pour chatons, pourquoi avez-vous besoin de Charbon ? » Demanda Papa Jiao.
– « Je voulais photographier les chatons avec un chat. Ils sont trop difficiles à contrôler. Je pensais qu’il serait mieux qu’un chat adulte le fasse. Ça va être dur mais j’espère que ça sera tout de même plus facile. »
– « Que voulez-vous dire ? »
Le père ne comprenait pas. D’abord, son chat était un mâle. Dans la nature, il arrivait parfois que les mâles tuent leurs petits. Les chats domestiques faisaient de même dans certaines circonstances, c’est pourquoi il était dangereux de laisser des chatons avec un mâle adulte. Ensuite, M. Guo avait quelques chats dans son magasin. Tous étaient calmes et gentils. Certains coûtaient chers en raison de leur race. Ils conviendraient certainement mieux que son irascible chat.
– « J’aimerais que Charbon vienne faire un essai. Nous verrons bien comment les choses se passent. Tous les chats de mon magasin ont essayé hier mais aucun d’eux n’a réussi à produire l’effet désiré. C’est pour cela que je suis venu trouver le vôtre. »
Papa Jiao accepta les explications de l’homme. Ils se mirent à parler salaire.
Alors que les humains discutaient, Zheng Tan était un peu contrarié. À l’exception de Jiao Yuan et Gu Youzi, il détestait la plupart des enfants humains, à plus forte raison les chatons. Ce travail allait être une plaie.
Xiao Guo partit après qu’ils se soient mis d’accord sur un montant. Il viendrait chercher Zheng Tan demain matin. Si le félin charbonneux accomplissait sa tâche, il toucherait le salaire convenu. La nourriture pour chatons du magasin de M. Guo était assez coûteuse mais également d’excellente qualité. Si ce produit perçait sur le marché, il allait certainement se faire beaucoup d’argent. De ce fait, le salaire de Zheng Tan était plus élevé que jamais.
En entendant le montant, le jeune chat décida de ravaler son mépris pour le “kitten-sitting”. Cela n’était qu’une publicité, après tout. Le travail durerait quelques heures, tout au plus.
– « Charbon, je me souviendrai de l’investissement que j’ai fait avec l’argent de ton compte bancaire. Peut-être qu’un jour, tu deviendras un gros actionnaire de notre entreprise. Aussi, ne te force pas trop pour ce boulot. Tu y vas afin de poser pour la pub, et non pour être contrarié. Le pire qui pourrait arriver serait que l’on ne la fasse pas. »
Zheng Tan miaula pour lui montrer qu’il avait compris. Il était évident que Papa Jiao plaisantait lorsqu’il parlait d’actionnaire, aussi ne prit-il pas ses paroles à cœur. Néanmoins, il était d’accord sur le reste. Il ne se mit pas la pression mais mangea et dormit comme d’habitude.
Le lendemain matin, Zheng Tan ne fit pas de jogging. Il attendit sur le grand Parasol chinois comme il l’avait fait les dernières fois que M. Guo était venu le chercher afin que ce dernier n’ait pas à entrer dans l’immeuble. Il lui suffisait de lever les yeux vers les branches de l’arbre.
La plupart des feuilles étant tombées, il le verrait immédiatement.
Un sourire se dessina sur son visage quand il vit le chat. On aurait dit qu’il venait de voir de l’or. Il tapota le sac en toile noir sur son épaule.
– « Aller, Charbon. Il est temps d’aller travailler. »
Zheng Tan détestait les caisses de transport pour chats. Aussi, à chaque fois que M. Guo venait le chercher, il emmenait un large sac en toile.
Le centre animalier n’était pas loin du quartier. M. Guo était venu en scooter. Il mit le sac dans le panier avant du véhicule. Le jeune félin resta à l’intérieur mais sortit sa tête pour regarder le paysage.
La popularité du centre montait en flèche. Il avait beaucoup de vieux clients et maintenant, grâce aux publicités, de plus en plus de gens découvraient son magasin. Après avoir affiché ses pubs sur des forums en ligne, il reçut quelques commandes et finalement, ces clients devinrent des habitués.
Ils entrèrent par la porte latérale. Elle était plus proche du studio et il y avait moins de monde par là.
Ses employés connaissaient le chat noir que leur patron considérait comme si important. M. Guo leur avait expliqué que ce félin avait reçu un entraînement spécial et qu’il était extrêmement doué pour exécuter les ordres. Il le payait très cher, dit-il en accentuant l’adjectif “cher” afin que les employés comprennent qu’ils devaient le traiter mieux que les autres.
Ce chat était en fait le “dieu de l’argent” de son magasin. C’était grâce à lui que la nourriture pour chats se vendait si vite. Les publicités jouaient un grand rôle dans leurs ventes, ainsi que la qualité de la nourriture. Lorsqu’il félicitait les autres, M. Guo n’oubliait jamais de se féliciter lui-même.
Les employés n’eurent aucun doute sur l’explication de leur patron. Ils voyaient Zheng Tan comme une bête de cirque. Si le félin charbonneux avait été au courant de cette comparaison, qui sait ce qu’il en aurait pensé.
Comme à son habitude, Zheng Tan bondit du scooter et entra dans le studio. Les personnes présentes étaient les mêmes, ainsi que les chats et le golden retriever venus regarder. Mais la différence était facile à remarquer.
Dans le coin du studio, là où d’habitude on mettait les équipements, il y avait un enclos. À l’intérieur se trouvaient cinq petits chatons. Trois d’entre eux avaient d’évidentes marquent de chat tigré. Les deux autres étaient noirs et blancs. M. Guo avait dit qu’ils étaient d’origine sibérienne, d’où le fait que leur fourrure était légèrement plus longue que les chats de la région.
À côté de l’enclos, il y avait un arbre à chat sur lequel était allongé un american shorthair. Les deux pattes avant croisés, il observait les cinq petits.
Ce chat, qui appartenait au magasin, s’appelait Prince. C’est M. Guo qui l’avait nommé ainsi et c’était sa photo que l’on voyait sur l’étiquette de la nourriture en boîte pour félins.
On l’avait choisi en raison de sa race. Les American shorthairs avaient une tête ronde et étaient plus gros que les autres chats. Ils convenaient mieux que les chats domestiques, souvent plus minces. Par sa seule apparence, il surpassait Zheng Tan. Beaucoup des marques d’aliments pour chats utilisaient des American shorthairs sur leurs emballages.
Cependant, Zheng Tan était bien plus intelligent que lui. Cette compétition était déloyale. Après tout, le jeune félin se considérait toujours comme un être humain. Il ne voulait pas comparer son intelligence à celle d’un chat.
L’autre raison pour laquelle on n’avait pas choisi Zheng Tan pour l’emballage était son pelage noir. Tout le monde n’aimait pas les chats noirs. Certaines personnes, superstitieuses, se méfiaient d’eux.
L’apparence était donc essentielle. Mais Zheng Tan ne pouvait pas changer la sienne, il n’avait pas l’intention de teindre sa fourrure.
Pour le moment, Prince fixait les chatons. De temps en temps, sa patte se contractait. Il semblait vouloir sauter dans l’enclos, mais n’était pas certain de devoir le faire.
– « Rien n’a changé ? » Demanda M. Guo aux employés présents.
– « Rien. À chaque fois que Prince entrait, les chatons le traitaient comme leur pire ennemi. Pareil pour les autres chats, qu’ils soient mâles ou femelles. Patron, n’aviez-vous pas dit que Charbon était grincheux ? Vous êtes sûr qu’il ne va pas mordre les petits ? » s’enquit l’un d’eux.
Zheng Tan, qui montait l’arbre à chat, entendit ses paroles. Il regarda M. Guo.
« Comment oses-tu dire de mauvaise choses sur moi ? Comment ça, je suis grincheux ? Qui a dit que je l’étais ? »
En colère, il gratta si fort l’arbre à chat que l’intérieur commençait à se voir. En voyant cela, Prince se déplaça tout doucement dans la direction opposée.
En regardant les marques de griffure sur l’arbre à chat, M. Guo eut un doute, mais il était décidé à faire un essai. Il recommanda aux employés de garder un œil sur l’enclos. Si jamais Zheng Tan faisait mine de vouloir mordre les chatons, ils se précipiteraient pour les sauver.
Le chat noir se tapit sur l’arbre et regarda les cinq petits. Âgés de six semaines, ils montraient déjà de la curiosité. Ils utilisaient tout et n’importe quoi pour se faire les dents. Tout était un jouet pour eux. Quand ils ne jouaient pas avec un objet, c’était avec leurs queues ou leurs pattes. Zheng Tan jugea ce comportement comme légèrement schizophrène.
Il aurait préféré ne pas avoir à jouer avec ces petites pestes. Mais puisqu’il était là, il fallait bien qu’il fasse au moins semblant de travailler.
Rassemblant son courage, il prit une profonde inspiration et bondit à l’intérieur de l’enclos.
Les cinq chatons furent particulièrement effrayés par l’apparition soudaine de Zheng Tan. D’eux d’entre eux bondirent aussitôt sur leurs quatre pattes, les poils du dos dressés. Ils regardèrent le nouveau venu avec méfiance.
À l’extérieur de l’enclos, M. Guo et ses employés, nerveux, les observaient, à l’affût du moindre signe indiquant que le chat noir allait attaquer. En les empruntant, M. Guo avait promis au propriétaire des chatons que ceux-ci lui seraient rendus sains et saufs.
Zheng Tan resta immobile. Sachant que tout le monde le regardait, il devait, par conséquent, garder cachées ses griffes et ses dents. Il décida donc de ne rien faire, prévoyant d’attendre que les chatons passent le stade instinctif de l’inquiétude.
À la surprise de tous, le plus gros de la bande parut se calmer. Il s’approcha de Zheng Tan. D’abord doucement, puis il accéléra le pas, la queue haute.
Le jeune félin regarda s’approcher le petit tigré, ne sachant pas comment réagir. Il était si petit qu’il aurait facilement pu l’envoyer balader d’un simple coup de patte.
Le petit chat s’approcha de Zheng Tan et lui tapota à plusieurs reprises la patte avant puis il roula sur le dos et se mit à jouer avec la patte.
Zheng Tan remua les moustaches. Il aurait tellement voulu repousser cette petite chose.
Bientôt, tous les autres chatons l’imitèrent. Certains jouaient avec ses pattes, d’autres avec sa queue.
Le félin charbonneux devait faire quelque chose. Il dégagea sa queue et s’éloigna. Aussitôt, les cinq petits le suivirent. Le plus gros, qui était aussi le plus rapide, finit par le rattraper et tenta de s’emparer de sa queue.
Zheng Tan perdait patience. Il voulait leur échapper. Néanmoins, lorsqu’il pressa le pas, les chatons se mirent à miauler comme s’il faisait quelque chose d’inhumain.
On assista alors à la scène suivante : un chat noir tournait en rond tout autour de l’enclos. Derrière lui suivaient cinq chatons qui miaulaient à chaque fois qu’il les distançait. Alors le chat noir s’arrêtait et les attendait.
– « Les chats se jugent-ils donc par l’apparence ? » Demanda un employé.
Aucun des chats du magasin n’avait réussi à s’entendre avec ces petits. Mais de toute évidence, ce chat noir était différent.
– « L’apparence ? » M. Guo pointa du doigt le chat qui tournait en rond. « Qui pensez-vous qui soit le plus mignon ? Nos chats ou celui-là ? »
L’employé ne répondit rien.
Un autre s’enquit alors :
– « Pourquoi les chatons n’ont-ils pas rejeté Charbon ? »
– « … Allez savoir ce que pensent les chats «
Ce fut tout ce que leur patron trouva à répondre.