Mayne traversa les couloirs sombres, monta dans la cage suspendue dans les profondeurs et arriva au temple secret à l’intérieur de la gigantesque cavité.

Son Excellence O’Brien l’attendait à la porte.

Visiblement, il avait vieilli depuis la dernière fois que l’Archevêque l’avait vu. Des rides s’étendaient comme une toile d’araignée au coin de ses yeux renfoncés et sur ses joues. Cependant, son sourire était toujours aussi doux et plein de sollicitude.

Mayne sentit ses yeux devenir humides à sa vue. Immédiatement, Il tomba à genoux :

– « Votre Sainteté, nous… »

– « Relevez-vous, mon enfant », dit le pape d’une voix douce et paisible. « J’ai entendu dire que vous aviez eu des problèmes. Suivez-moi dans la salle et nous pourrons parler. »

Ce jour-là n’étant pas un Jour de Conversion, les murs de la salle, cette fois, n’étaient pas décorés de bougies aussi nombreuses que les étoiles dans le ciel. Seules quelques chandelles avaient été placées dans un coin.

Le Pape retourna s’assoir sur le Siège réservé au Seigneur et soupira de soulagement.  

– « Expliquez-moi, que s’est-il  passé dehors ? »

Mayne  réalisait pleinement le poids des responsabilités de Sa Sainteté O’Brien. Non pas que le Pape ne soit pas en mesure d’apprendre les nouvelles de l’extérieur de la Cité Sainte, mais il n’avait pas le temps de prêter attention aux affaires mineures. C’est pourquoi il avait nommé trois Archevêques qui se coordonnaient pour gérer toutes les affaires religieuses. Ils faisaient toujours en sorte d’éviter autant que possible de déranger Sa Sainteté, mais la question présente étant particulièrement embarrassante, il était incapable de la résoudre seul.

Mayne relata l’affaire en question du début à la fin, une information à la fois.

– « Heather est morte… »

Après avoir écouté, O’Brian demeura longtemps silencieux.  Puis il poussa un long soupir et dit : « Elle avait un sens aigu de l’observation. C’était une jeune fille intelligente et pieuse, je l’ai vue grandir… »

– « Ne vous gênez pas pour exprimer votre chagrin, Votre Sainteté. »

– « Le meurtrier doit être puni », acquiesça le Pape. « Quelle est la situation actuelle ? Garcia et le Royaume de Wolfsheart s’entraident-ils mutuellement ? Le nouveau poison n’a-t-il aucun effet ? »

– « Au cours de l’attaque et de la prise du Château de la Dent Brisée, il a démontré son effet. Au bout d’un mois, tous les défenseurs de la forteresse étaient morts. L’armée des Juges a rapidement pu prendre d’assaut la cité. Ils ne trouvèrent pas âme qui vive dans les quartiers résidentiels. Mais en ce qui concerne l’attaque de Wolfsheart City, il semble que le poison n’ait pas eu la même influence. L’ennemi est resté tenace et a continué de résister », rapporta Mayne.

– « Vous avez commis deux erreurs », dit calmement O’Brien. « La maladie causée par le poison conduit à la mort dans les sept à dix jours. Vous auriez dû profiter de l’apparition des premiers symptômes pour attaquer, puis très vite, vous auriez administré un traitement aux habitants de la ville pour les sauver. Cela aurait considérablement réduit leur hostilité. N’oubliez pas que ce dont nous avons le plus besoin, c’est de gens. Ce n’est pas une ville fantôme qu’il nous faut.

« Deuxièmement, vous avez attendu un mois avant d’attaquer. Même si en agissant ainsi, vous étiez en mesure de réduire au minimum les pertes, vous avez du même coup donné à l’ennemi suffisamment de temps pour rétorquer, ce qui leur a permis de trouver un moyen de guérir la maladie. L’essence du nouveau poison était la magie qui a servi à transformer les bêtes démoniaques. Selon le Canon de la Magie, il existe plus de 70 sortes de capacités pouvant limiter l’infection et plus de 30 capables de l’éradiquer. Il n’est pas surprenant qu’il puisse se trouver une telle sorcière dans une ville comptant des dizaines de milliers de résidents. »

– « Vous voulez dire qu’ils se seraient entendus avec des sorcières ? »

– « Vous savez,  face à une question de vie ou de mort, personne ne se souciera de savoir si elles sont ou non des servantes du diable »,  murmura le pape.

« Que ces sorcières aient pris d’elles-mêmes l’initiative ou qu’elles aient été démasquées et contraintes de s’occuper de la peste, cela sonne comme une mauvaise nouvelle pour l’Église. S’il s’avère qu’elles sont en mesure de stopper l’élan de notre offensive, la réputation des sorcières subira inévitablement des changements dramatiques, peut-être même jusqu’à… être considérés comme des héroïnes. »

– « Tout est  ma faute », dit Mayne en baissant la tête.

– « C’était certes une erreur, mais ce n’est pas grave. Vous avez utilisé cette tactique pour réduire les pertes de notre Armée de Juges et de l’Armée du Châtiment Divin », répondit O’Brien en donnant un petit coup de son sceptre sur l’épaule de Mayne. « En outre, le fait que Princesse Garcia et le Royaume Wolfsheart de Graycastle travaillent de concert est une opportunité pour nous. »

– « Une op… portunité ? » Demanda l’Evêque, stupéfait.

« Tout à fait! De cette façon, nous serons en mesure de tous les prendre dans un seul filet. » O’Brien se leva,  « Vous venez avec moi. »

Escorté par des gardes, Mayne suivit le Pape hors de l’Institution Secrète Centrale. Ils marchèrent lentement dans les profondeurs de la caverne. Les sinistres rayons de lumière qui provenaient de l’immenses Pierre du Châtiment Divin et qui éclairaient le chemin sous leurs pieds s’assombrirent progressivement. Mayne ne put s’empêcher de regarder en arrière et réalisa que le Temple Secret Central et les Pierres du Châtiment Divin étaient déjà loin derrière eux. Finalement, les gardes furent même contraints d’allumer des torches afin qu’ils ne trébuchent pas sur les gravats qui jonchaient le sol.

– « Où… où allons-nous ? »

– « Nous sommes arrivés, mon enfant. »

Sa Sainteté O’Brian s’arrêta. Le Pape respirait un peu vite. Il soupira : « Je deviens vieux, ce court trajet m’a coûté tant d’efforts… »

Un garde s’approcha pour le soutenir :

– « Votre Sainteté, permettez-moi de vous porter. »

– « Ce n’est pas nécessaire, une courte pause suffira. »

Sur ces paroles, le Pape demeura un moment sur place et s’efforça de reprendre son souffle, puis il ordonna : « Allumez le brasier. »

Au même moment, l’Evêque remarqua de hautes tours érigées près du chemin de pierre. Si les gardes avec leurs torches ne s’étaient pas approchés d’eux, il aurait été difficile pour une personne moyenne de trouver ces tours de métal cachées dans l’obscurité.

Les gardes grimpèrent sur les échelles et enflammèrent l’huile contenue dans le bassin qui se trouvait au sommet. Immédiatement, des flammes éblouissantes surgirent. Mayne fut d’abord contraint de plisser les yeux avant de s’adapter progressivement au changement d’éclairage et de pouvoir regarder devant lui.

Dans la lumière vacillante apparut une toile poussiéreuse. Elle était haute, bombée et recouvrait apparemment quelque chose de grand.

« À l’origine, nous avions prévu d’attendre encore deux ans avant de sortir ceci pour résister aux attaques de plus en plus féroces des bêtes démoniaques, mais il semblerait à présent que nous soyons contraints d’anticiper son apparition. » O’Brien agita la main puis ordonna : « Retirez la toile. »

– « C’est… »

Lorsque la toile fut tombée, Mayne n’en put croire ses yeux. Devant lui se tenait un énorme, chariot de fer à quatre roues. À elles seules, celles-ci étaient déjà plus grandes que lui. Le véhicule n’avait pas l’apparence d’un chariot ordinaire. Il avait une rampe métallique en forme de corne, la charpente était constituée d’os de bêtes et les zones situées entre les éléments de charpente avaient été fermées avec des boucliers d’os acérés, d’une taille de trois à quatre grandes portes.

Il y avait également deux mâts de fer bien droits aux extrémités pointues, l’un à gauche et l’autre à droite, qui sortaient des ouvertures du bouclier et pointaient vers l’avant, comme s’ils s’apprêtaient à tirer des flèches. Une douzaine de ces mâts de métal étaient suspendus des deux côtés du chariot de fer. Chacun était aussi épais que sa cuisse, et brillait d’un éclat sombre et métallique sous la lumière du brasero.

– « Le Canon s’appelle la ײBête de Siègeײ.

Le Pape se dirigea sur le côté du chariot et tapota les piquets de fer. « Il dépend du pouvoir magique pour opérer et nécessite la puissance de trois ou quatre sorcières pour fonctionner efficacement. La distance de frappe de la Bête de Siège dépasse de loin celle d’un trébuchet ou d’une baliste. Des remparts classiques auraient bien du mal à résister devant la puissance destructrice de ces flèches de fer. Les arbres géants avec lesquels on construit les navires ne sont que de minces feuilles de papier devant cette arme. Avec elle, il nous serait très facile de détruire les solides remparts de la ville de Wolfsheart ou d’empêcher la flotte des Voiles Noires d’avancer. »

– « Ceci… cette arme a-t-elle également été conçue par le Temple Secret ? »

– « Non », répondit O’Brian en secouant la tête. « Vous auriez dû deviner : nous l’avons prise à l’ennemi. Elle vient du Démon des enfers. C’est la raison pour laquelle l’Église cache la Bête de siège ici, au plus profond de la caverne. Rappelez-vous, lorsque vous l’utiliserez, assurez-vous de cacher votre localisation. Aucun civil ne doit la voir. »

– « Je comprends », dit Mayne en baissant la tête.

« Comment des sorcières peuvent-elles manipuler l’arme du Diable ? Les démons possèdent-ils le même genre de magie que les humains ? »

Il réprima tous ses doutes et s’abstint de poser la question. Ce n’est évidemment que lorsqu’il serait devenu Pape à son tour qu’il serait en mesure de comprendre ces choses.

– « Aussi, pour éviter que Garcia et le Roi des Loups ne fuient à nouveau, je vais envoyer deux Purifiées pour vous aider durant le combat », déclara le Pape.

« Personne ne peut échapper à leur emprise… Allez, ramenez-moi le sang de ces blasphémateurs pour le dîner d’adieu à Heather. »

« Sa Sainteté envoie les Purifiées! », pensa-t-il, surpris.

On appelait ײPurifiéesײ les sorcières qui avaient été élevées par l’Eglise et autorisées à vivre. Mais sur dix mille, seules les plus puissantes furent choisies pour devenir des subordonnées de Sa Sainteté. Leurs capacités n’étaient même pas enregistrées dans le Canon de la Magie. Les comparer aux troupes que Heather, Tayfun et lui-même dirigeaient revenait à  comparer le ciel à la terre! Sa Sainteté en personne l’ayant assuré qu’ils ne pourraient jamais s’échapper, la fin de leurs deux ennemis était inévitable.

– « Comme vous voudrez, Votre Sainteté », répondit Mayne, tout excité.