Bébé, à son tour, fit voler la poussière qui recouvrait son corps et qui, sous l’effet d’une force invisible, se comprima et se transforma en pierre. 

Il toucha le bord de son chapeau de paille et regarda Linley, à la fois excité et confus :

– « Patron, vous venez de parler des Profonds Mystères de la Musique, des Profonds Mystères des Ondes Sonores et de la manière dont ils fusionnaient pour devenir les Vérités Profondes du Son. Pouvez-vous m’en dire davantage ? »  

Linley eut un léger sourire. Bien qu’il ne s’entraînât que depuis deux ans, ses capacités à visualiser et à émettre des hypothèses étaient des centaines de fois plus rapides qu’avant qu’il ne devienne une Divinité. Durant cette période, ses deux âmes s’étaient mises au diapason l’une de l’autre et il pouvait faire des recoupements. En deux ans, il avait autant progressé qu’en deux cents ans lorsqu’il n’avait pas encore atteint le niveau Divin. 

Au regard des Profonds Mystères de la Musique et des Ondes Sonores, Linley avait déjà atteint un certain niveau de compétence, même s’il était encore loin de les maîtriser parfaitement. 

– « Au départ », expliqua-t-il, « le son n’est qu’une sorte d’onde dotée de vibrations qui lui sont propres. C’est le fait qu’il vibre à de nombreuses reprises par seconde et dans une longueur d’onde spécifique qui nous permet d’entendre. » 

Linley l’avait compris au Château du Sang de Dragon. 

« Mais les sons que nous n’entendons pas créent de curieux effets. »

Sur ce, Linley prit le contrôle de l’Essence Élémentaire du Vent et la mit en mouvement. Les différentes particules qui la composaient s’entrechoquèrent, formant ainsi des ondes sonores et générant des sons qui ressemblaient à des murmures amoureux et poussaient les gens à s’y laisser immerger.   

Bébé commençait doucement à en être affecté.  

« Ce sont les Profonds Mystères de la Musique! », dit Linley en souriant. « Je les ai créés à partir des Essences Élémentaires. Si j’avais utilisé mon pouvoir divin, ils seraient beaucoup plus puissants et pourraient affecter jusqu’aux Divinités.  Mon “Hymne du Vent”, par exemple, émet un son capable d’ensorceler l’âme d’un ennemi et, pour un temps, de lui faire relâcher sa garde, ce qui me permet de le tuer. »  

 – « Wow, c’est puissant! » Dit Bébé en hochant la tête. « Et qu’en est-il des Profonds Mystères des Ondes Sonores ? »  

– « Je viens de t’expliquer que les ondes sonores, en tant qu’ondes, étaient de nature vibratoire. Si elles vibrent un certain nombre de fois par seconde dans une certaine fourchette, nous pouvons les entendre mais si elles la dépassent, ce n’est plus du tout la même chose. Je ne l’avais pas compris jusqu’à ce que je sois témoin des ondes sonores créées par cette gorge. »  

– « Vraiment ? » Fit Bébé, surpris.  

– « Regarde! »  

À nouveau, la puissante énergie spirituelle de Linley prit le contrôle de l’Essence Élémentaire du Vent local. Une fois de plus, des ondes sonores spécifiques se formèrent, émises, cette fois, en direction des parois montagneuses qui se mirent à vibrer comme si elles étaient vivantes. Il y eut un grondement et des morceaux de roche se détachèrent. 

Bébé était stupéfait. 

Linley renforça son énergie spirituelle et aussitôt, les vibrations des Essences Élémentaires du vent s’accrurent.  

Toute la vallée se mit à trembler et un son puissant se fit entendre tandis que de chaque côté, des morceaux de roche explosaient en une multitude de petites pierres.  

– « Wow », fit Bébé, les yeux écarquillés.  

À l’origine, c’était la structure particulière de la gorge qui permettait au vent, lorsqu’il s’y engouffrait, de créer ces ondes. Mais la démonstration de force de Linley ayant radicalement modifié l’environnement, il ne pouvait plus créer ces ondes et l’on entendait à nouveau le vent hurler. L’air était rempli de poussière qui mit un bon moment à retomber.  

– « La Chaîne de Montagne de la Mort ne sera plus jamais ce qu’elle était », soupira Linley, ému. 

– « C’est extrêmement puissant, Patron », souligna Bébé, émerveillé. 

– « Cela n’a rien d’exceptionnel », répondit Linley en souriant. « Du peu de connaissances que j’ai pu acquérir concernant les Profonds Mystères des Ondes Sonores, celles-ci ne sont utilisables que pour des attaques matérielles tandis que les Profonds Mystères de la Musique affectent l’âme.  Si l’ennemi, fut-il de niveau Divin, ne sait pas cela, il sera nécessairement désavantagé. Moi-même, je ne connais pas leur véritable puissance. Je n’ai fait qu’acquérir quelques compétences. » 

Si Linley aimait tant s’entraîner, c’était parce qu’à chaque éclair de lucidité, il avait l’impression de comprendre un peu plus l’univers. En méditant et en acquérant de nouvelles lumières, il savait qu’un jour, sans rien avoir à faire, il serait en mesure de percer les cieux, mais il ne savait pas quand.  

– « Dans quels mystères as-tu acquis des connaissances depuis que tu es devenu une Divinité ? » Demanda Linley, curieux.

– « Rien qui ne soit aussi puissant que vos compétences, Patron », répondit son compagnon, résigné, avec une moue. « Cela ne me sert que pour rester en vie. Un peu comme César, le Roi des Assassins, si je devais me battre, je devrais faire appel à mes capacités naturelles. » 

Soudain, un léger tremblement se fit ressentir sur tout le plan Yulan. Alors que bon nombre de Divinités se tournaient vers l’Ouest, Linley et bébé, eux, regardèrent en direction du Nord. 

– « Quelqu’un viendrait-il d’atteindre le niveau Divin ? » Demanda Bébé, surpris. 

La manifestation des Lois Naturelles signifiait généralement que quelqu’un venait de devenir une Divinité par ses propres moyens, ce qui n’était pas le cas lorsqu’on fusionnait avec une Étincelle Divine.  

« Ce n’est pas la première fois », répondit Linley. « Je crois me souvenir qu’il y a quelques années, quelqu’un, à l’Ouest, a atteint le niveau Divin. » Confus, il regarda vers le bas et étendit son pouvoir divin. « Je pense que ça s’est produit dans la région de la Sainte Union. C’est la seconde fois en quelques années que quelqu’un, là-bas, devient une Divinité par ses propres moyens. Que se passe-t-il donc ? » 

Devenir une Divinité sans l’aide d’une étincelle avait d’autant plus de valeur que c’était très difficile. Le fait que cela se produise deux fois coup sur coup ne pouvait être une simple coïncidence. 

– « Allons jeter un coup d’œil, Patron », s’empressa de suggérer Bébé. 

– « La Sainte Union ? » Linley semblait penser à quelque chose. « Pourquoi pas. Cela fait longtemps que je ne suis pas retourné sur ma terre natale. »   

Tous deux prirent donc la direction de l’Ouest. 

La manifestation des Lois Naturelles ayant attiré l’attention de Sadista, il étendit son sens divin et localisa Linley.   « Voilà qu’il se réveille », pensa-t-il. « Où va-t-il donc ainsi ? » 

Linley et Bébé volaient si vite que lorsqu’un peu plus tard, Sadista tenta à nouveau de les localiser, ils étaient déjà arrivés à destination.  

– « Ils sont à la Sainte Union, Anras! » dit-il aussitôt à son sbire qui attendait son heure dans les grandes plaines de l’Extrême-Orient.

Lorsqu’Anras reçut le message, il était assis, tranquille, dans une vallée montagneuse, le corps tellement couvert de poussière qu’à première vue, on aurait pu le prendre pour une statue.  Deux ans, pour lui, n’étaient rien. Il ouvrit soudain les yeux et la poussière qui le recouvrait disparut aussitôt. 

– « Linley et le Rat Dévoreur de Dieux sont dans la Sainte Union. C’est là que vous devez vous rendre dans l’immédiat », ordonna Sadista. 

– « Entendu, Seigneur », répondit respectueusement Anras. 

Soudain, toute la vallée s’enflamma. Au milieu de ces flammes montaient jusqu’au ciel, Anras, tel un dieu de feu, prit son essor en direction de l’Ouest et disparut à l’horizon.   

« Le Canton de Wushan… » Murmura Linley en soupirant tandis qu’il observait les environs. 

Si le mont Wushan, non loin de la ville, n’avait guère changé par rapport à ce qu’il était dans sa jeunesse, le canton, en revanche, comme toutes les terres du Royaume de Fenlai, était totalement désert. Depuis les Guerres de l’Apocalypse, il n’y avait plus âme qui vive à l’exception des Créatures Magiques. Pour exemple, la demeure ancestrale de Linley était devenue le repère de Loups des Vents.    

« Où sont donc mes camarades, mes oncles et mes tantes… » Linley revoyait les moments festifs et bruyants d’autrefois au Canton de Wushan.

Tôt le matin, enfants et adolescents se retrouvaient dans un champ désert non loin de la ville pour s’entraîner tandis que les adultes partaient travailler. La majorité de ces gens étant morts, cela faisait désormais partie du passé. 

« Wushan est de l’histoire ancienne », pensa Linley en soupirant. 

Il fronça les sourcils et, à l’aide de son Étincelle Divine, émit une puissante présence divine.

Bien qu’il utilisât son corps d’origine, son étincelle était toujours dans son océan spirituel et il pouvait très bien l’utiliser pour son clone divin. 

Tel un raz de marée, cette puissante présence divine balaya tout le Canton de Wushan et toutes les Créatures Magiques qui vivaient dans les environs s’agenouillèrent, tremblantes.  

– « Fichez-moi le camp! » Entendirent-elles toutes mentalement. 

Aucune d’entre elles n’osant résister, toutes quittèrent aussitôt ce lieu dangereux avec des plaintes et des grognements. 

– « Allons revoir ma demeure ancestrale », dit Linley à Bébé.  

– « C’est aussi chez moi », répondit celui-ci. 

C’était là, en effet, qu’il était né et avait fait la connaissance de Linley. Tous deux étaient des compagnons de longue date. 

Tranquillement, ils entrèrent dans la demeure délabrée et couverte de poussière. 

Si, des années auparavant, Doehring Cowart était mort dans la Ville de Hess, cette cité n’avait pas été conquise par les Créatures Magiques. Au contraire, elle ne s’était jamais si bien portée. 

Assis dans un petit coin tranquille d’un élégant restaurant de la ville, Linley et bébé commandèrent à manger et du vin. 

– « C’est plutôt savoureux », fit remarquer Bébé. 

– « C’est sans doute ce qui explique qu’ils aient autant de clients », répondit Linley. 

Soudain, Linley tourna la tête vers la porte et demeura stupéfait en voyant entrer une belle jeune femme aux cheveux pourpres. Les quelques taches de rousseur qui parsemaient son visage ne faisaient qu’ajouter à son charme. 

– « Belita! »

– « Enfin te voilà! Ton père boit un verre avec nous et voilà plusieurs fois qu’il regarde fixement la porte! » 

De toute évidence, cette jolie demoiselle avait beaucoup d’amis. 

– « Qui est cette jeune fille ? » Demanda un jeune homme qui était assis derrière Linley, intrigué.

– « C’est la fille du propriétaire », répondit l’homme qui lui faisait face. « Pour être plus précis, ce restaurant a été construit conformément aux dessins de Mlle Belita. »

– « Vraiment ? » Fit le jeune, un peu surpris.  

– « Le clan dont est issue Belita était à l’origine un clan noble, mais il est déchu à présent.  Tu vois ce type au gros nez là-bas ? C’est son père, un dur à cuire qui, malgré le déclin de son clan, persiste à vouloir vivre dans un beau manoir qu’il fait même entretenir par des serviteurs. Or il en faut de l’argent pour entretenir une telle demeure! Comme le père de Belita dépensait beaucoup mais ne gagnait rien, il a très vite été à court d’argent. Finalement, c’est sa fille qui a eu l’idée de faire de la partie avant de leur résidence ce restaurant. Si vous entrez par l’arrière, vous pénétrez dans sa maison, une vaste demeure dont Belita a la charge.  Par ailleurs, il paraîtrait que c’est une puissante Magicienne. Elle aurait déjà atteint le cinquième rang. »  

Linley, qui avait tout entendu, jeta un coup d’œil surpris à la belle jeune fille aux cheveux pourpres.

– « Cette Belita est vraiment impressionnante, Patron », fit remarquer Bébé. 

Selon Linley, la conception comme la décoration de cet établissement étaient plutôt une réussite, intérieurement comme extérieurement. C’était du reste pourquoi ils avaient choisi ce restaurant. Jamais il n’aurait pensé que tout ceci avait été conçu par une jeune femme qui apparemment, et malgré son jeune âge, dirigeait tout son clan. 

– « Je ne me sens pas très bien, Père, je vais rentrer et me reposer un peu », dit-elle au propriétaire qui était en train de boire. 

– « Va vite dans ce cas », répondit à la hâte l’homme au gros nez. 

Belita passa par la porte de derrière pour accéder à la demeure familiale. 

Soudain, Linley fronça les sourcils.