La lettre mentionnait également que Tilly tentait de traduire les documents et voulait savoir si l’Association de Coopération des Sorcières pouvait lui fournir des indices.
Roland décida qu’il lui ferait part des informations concernant les Démons et la Cité Sainte de Taquila dans la prochaine lettre qu’il lui adresserait à titre de réponse. En outre, il avait également l’attention d’y adjoindre l’image que Soraya avait faite des événements précédemment cités. Ces informations pourraient lui être de quelque utilité dans sa traduction. Elles ne pouvaient être dissimulées. S’il parvenait à savoir quel évènement inattendu s’était produit quatre cents ans auparavant, il pourrait préparer sa réponse. Ils seraient peut-être même en mesure de découvrir le point faible de l’Église. Si ces derniers n’avaient pas eu à s’inquiéter de quelque chose, jamais ils n’auraient été si loin pour enterrer le passé.
Il était évident qu’ils voulaient à tout prix empêcher que certaines choses soient découvertes.
De plus, il leur serait bénéfique d’envoyer quelqu’un pour explorer la tour de pierre dans la Forêt aux Secrets. L’accès aux ruines situées dans la Région des Vents de la Mer à l’Est était bloqué par l’Église, tandis que celles des Fjords étaient ensevelies sous la surface de l’océan la majeure partie de l’année. À part la pile de livres trouvée dans la chambre secrète, il ne restait presque plus rien là-bas. Il était rare de trouver des empreintes d’hommes dans les profondeurs de la Forêt aux Secrets. L’Eglise elle-même était incapable de l’atteindre si facilement. C’était peut-être là-bas qu’ils pourraient trouver des indices utiles.
Mais le rapport qu’avait fait Foudre au sujet du Démon qu’elle y avait rencontré avait effrayé Roland. Une telle exploration ne pouvait se faire sans les sorcières. Cependant, s’il les y envoyait et qu’il vienne à déplorer des pertes, il ne pourrait en supporter le sentiment de culpabilité. Après avoir tourné et retourné le problème dans sa tête, Roland décida d’attendre que la Première Armée au complet soit équipée de la nouvelle génération d’armes à feu. Il les enverrait alors dans la forêt accompagner les sorcières, avec l’assurance qu’ils seraient en mesure de s’occuper de tous les éventuels Démons qu’ils pourraient rencontrer.
Roland réprima l’agitation qui bouillonnait en lui et eut un sourire forcé :
– « Je comprends ce que Tilly essaie de faire. Je vais donc lui écrire une réponse, en lui faisant une bonne description de la situation. Il est cependant préférable que nous procédions d’abord au test de vos capacités. »
Après tout, profiter du temps de paix pour développer sa force autant que possible était une bonne décision. De cette façon, lorsque la guerre arriverait inévitablement, ils auraient au moins la capacité de continuer à se battre.
On sélectionna un nouveau site d’essais hors des murs de la ville. Afin d’empêcher quiconque d’y pénétrer, Roland avait mobilisé la Première Armée pour encercler les environs et bloquer toute personne qui tentait d’y entrer ou d’en sortir.
Lotus fut la première à passer les tests.
Elle avait le même âge que Rossignol, d’épais cheveux noirs coupés courts et un visage du style ײcharmante fille issue d’une humble familleײ. Globalement, elle était plutôt jolie. Avec sa petite taille d’environ un mètre cinquante et son corps mince, comparée à Rossignol qui était grande, elle ressemblait à une petite fille qui n’a pas terminé de grandir. Elle dégageait un sentiment de fragilité. Mais s’il y avait une chose qui ne pouvait être qualifiée de faible, c’était bien sa capacité. Dans une zone de cinq mètres, elle pouvait aisément changer la topographie des terres situées sous ses pieds.
La description qu’en faisait la lettre était très loin du choc qu’il ressentit en y assistant. Durant le test, Lotus fit s’élever verticalement la terre qui se trouvait près d’elle. On aurait dit qu’un ײpilier de terreײ poussait du sol vers le ciel. Ce ײpilierײ atteignit une hauteur de sept à huit mètres avant de s’effondrer en raison du terrain accidenté.
Selon Lotus, plus le terrain était meuble, moins elle avait besoin d’utiliser de magie pour le transformer. Mais parallèlement, si elle construisait de cette façon des maisons et des murs, leur qualité s’en ressentirait. Si l’élément principal du sol était du gravier, il serait également difficile de créer quelque chose de décent. De toute évidence, elle ne pouvait que modifier le terrain, et non la composition du sol. Bien sûr, ce problème pourrait être résolu en élargissant simplement le périmètre et l’épaisseur de la zone développée.
Roland lui fit démontrer une nouvelle fois son pouvoir en lui demandant de construire une maison. Mais le sol du Territoire de l’Ouest n’était visiblement pas aussi riche que celui de l’Île Dormante. Les murs de la maison de terre qui s’élevait du sol se pressèrent plusieurs fois les uns contre les autres avant de finir par former un bâtiment avec des espaces pour les fenêtres et une arche. Mais pour que cela soit possible, l’épaisseur finale des murs avait dû atteindre cinquante centimètres. La maison terminée, elle ressemblait à une grotte simple et brute et ne pouvait répondre qu’aux exigences les plus fondamentales pour un lieu de vie. Elle était bien en deçà de la disposition rendue possible par l’architecture compacte d’une maison de brique.
Mais encore une fois, vivre dans une maison-grotte était préférable à une cabane en plaque de bois avec des courants d’air partout. Au moins, en hiver, avec un brasero et un kang*, cette maison- grotte serait bien chaude. S’il ne parvenait pas à construire suffisamment de maisons de briques avant l’arrivée des Mois des Démons, le Prince pourrait utiliser temporairement ces maisons troglodytes.
La dernière partie du test était un résumé de l’examen. La capacité de Lotus appartenait au type ײinvocationײ. Elle ne possédait aucun pouvoir dérivé et sa capacité à modeler le terrain restait efficace dans un rayon de cinq mètres. Lorsqu’elle projetait sa magie, elle était facilement affectée par la puissance de la Pierre du Châtiment Divin mais une fois que le terrain avait été modifié, il conservait sa forme.
– « Quel est son niveau magique ? » Demanda Roland.
– « Sa magie ressemble à un cyclone brun dont le centre est très dense. Comparé aux autres sorcières, son niveau magique est superbe », répondit Rossignol. « Il est relativement proche de celui de Leaves. »
– « Consommation ? »
– « Pour élever le niveau du sol, ce n’est pas mal », dit-elle en regardant le mur de pierre bombé au pied du Versant Nord de la montagne. « Cependant, lorsqu’elle utilise sa magie pour transformer la terre, celle-ci décline rapidement. J’ai bien peur qu’elle ne puisse la maintenir que durant une heure ou deux. »
Roland hocha la tête. En ce qui concernait la quantité de pouvoir magique pour les sorcières de l’Association, Leaves arrivait troisième, juste derrière Anna et Soraya. Avoir assez de pouvoir magique était la prémisse à toujours utiliser sa capacité. Bien entendu, il y avait également des cas comme Rossignol et Foudre dont les capacités ne nécessitaient qu’une faible consommation d’énergie. Même avec une petite source magique, elles pouvaient activer leur capacité toute la journée sans rencontrer aucune difficulté.
Après avoir consigné l’information dans un registre, Roland entreprit de tester la seconde sorcière.
– « Qui veut être la prochaine ? »
– « Moi! Moi! Moi! », s’écria Honey en levant la main.
Devant son enthousiasme, Roland sourit.
– « Entendu. Montrez-moi d’abord vos capacités. »
La jeune fille nommée Honey était presque de la même taille que Lotus. Peut-être même un peu plus petite. Sa tête était couverte de cheveux courts et bruns qui frisaient. On aurait dit des torsades de pâte frite. Sa peau était légèrement plus sombre et autour du cou, des poignets et des chevilles, elle portait des chaînes faites de dents d’animaux.
Sa capacité principale, appelée ײlangue de bêteײ, lui permettait d’apprivoiser tous les animaux, de toutes espèces, qui se trouvaient dans sa portée d’action. Ensuite, ceux-ci exécutaient ses ordres. Cependant, l’ordre donné ne devait pas excéder la capacité de l’animal et une fois la tâche accomplie, l’effet d’apprivoisement disparaissait aussitôt. Elle pouvait également, de sa propre initiative, supprimer cet effet plus tôt.
Honey possédait également une capacité dérivée fascinante : ײl’Animal Messagerײ. Ce pouvoir lui permettait de faire passer l’ordre d’apprivoisement d’un animal à l’autre jusqu’à ce qu’elle atteigne l’animal cible. Par exemple, s’il n’y avait qu’un oiseau près d’elle, la jeune fille pouvait lui commander de chercher un animal plus puissant pour la servir. Ce pouvait être un chat adulte, un aigle féroce… Il lui était impossible de contrôler ce processus, ce qui fait que le résultat final était quelque peu incertain.
Cependant, sa capacité primaire comme sa capacité dérivée étaient influencées par la Pierre du Châtiment Divin. En particulier les animaux messagers. La Pierre libérait immédiatement l’animal de l’instruction qu’il avait reçue. Et plus l’animal qu’elle tentait d’apprivoiser était grand, plus elle devait dépenser de magie. Selon ses propres dires, elle pouvait contrôler une douzaine d’oiseaux en même temps. Par contre, si sa cible était une vache, elle ne pouvait en gérer que deux ou trois à la fois.
La troisième sorcière à être testée fut Evelyne. Elle avait environ vingt-cinq à vingt-six ans, et l’accent typique des gens de la Cité du Roi, ce qui lui conféra immédiatement une impression familière.
Selon la liste de Tilly, Evelyne était capable de transformer entièrement la saveur et le style d’un vin de piètre qualité en fonction de ses préférences, à partir du moment où elle l’avait déjà goûté. Au départ, la raison pour laquelle Roland avait choisi cette sorcière était évidente. Il voulait obtenir de l’alcool pur. Puisqu’elle pouvait transformer une bière diluée en un vin délicieux ou en un vin fruité, les spiritueux ne devaient pas être un problème pour elle!
À cet égard, Roland avait soigneusement préparé quelques bouteilles de bon vin, avec une concentration de 5o% jusqu’à 95%. Même s’ils étaient un peu épicés et brûlant, mais du moment que l’on n’en buvait qu’une ou deux gorgées, cela ne posait guère de problème.
Le point crucial était de lui faire admettre que ce liquide transparent qui brûlait la gorge était bien une sorte de vin.
Mais ici, en pleine campagne et sous le soleil brûlant, ce n’était pas l’endroit idéal pour goûter le vin. Ils n’avaient pas accès aux délicieux plats d’accompagnement. Pas de glace ni de coupe de cristal. De plus, s’il sortait directement la liqueur blanche avec son fort parfum brûlant, la sorcière pourrait se méprendre et penser que c’était du poison. Pour toutes ces raisons, le Prince se dit qu’il serait plus subtil d’agir au cours du dîner. Roland se contenta donc de poser quelques questions simples à Evelyne puis passa directement à la sorcière suivante.
NT : Le Kang est une sorte de plateforme d’environ deux mètres de long, faite de briques ou de terre cuite, chauffée de l’intérieur et qui sert aux diverses activités de la vie courante (lit, bureau, etc…) dans le Nord de la Chine où les hivers sont très froids.