Quel était le symbole de l’ère industrielle ? Roland pensa d’abord à un train qui roule sur une voie ferrée en émettant des nuages de vapeur.
Le cylindre en fonte recouvert d’huile, le vilebrequin épais et robuste avec ces énormes roues de fer, son grondement et sa vibration rythmée ainsi que le sifflement de la vapeur était ce qui était associé à la machinerie des premiers trains à vapeur. Par rapport aux conceptions mécaniques des générations futures, qui cachaient la structure sous une coque, utilisaient un usinage de haute précision pour réduire les vibrations et un système mécanique qui mettait l’accent sur l’isolation phonique et l’absorption acoustique, les premiers moteurs étaient sans doute plus représentatifs de la puissance et de la beauté de l’industrialisation.
Il souhaitait également construire partout des voies ferrées afin que les trains qui remorquaient des wagons de marchandises et des personnes puissent aller et venir partout sur le Territoire occidental. Mais même si c’était un beau rêve, ce n’était encore qu’un rêve ; non pas qu’il fut impensable de fabriquer un train à vapeur, mais l’importante quantité d’acier nécessaire pour les voies dépassait de loin la capacité de production des fours de la mine du versant nord.
Par conséquent, les vélos, qui fonctionnaient par l’énergie humaine étaient la meilleure option de Roland. Plus les routes de son territoire étaient plates, plus les avantages du cyclisme seraient grands. De plus, par rapport à la structure relativement complexe des trains à vapeur, un vélo ne nécessitait pratiquement aucun entretien à l’exception du graissage occasionnel de la chaîne.
Si Roland voulait lancer une production en série de bicyclettes, il ne pouvait naturellement pas demander à Anna de les produire toute seule. Il devait d’abord ouvrir une usine et former un groupe de travailleurs spécialisés dans la production et l’assemblage. Étant donné que l’avenue du Royaume ne serait pas achevée avant le printemps suivant, il n’était pas nécessaire que l’usine produise pour le moment de grandes quantités. Pour cette raison, les travailleurs pourraient se familiariser peu à peu avec les pièces requises fabriquées par Anna et n’auraient à produire qu’une douzaine de bicyclettes le premier mois. L’une des pièces les plus exigeantes était la chaîne, chaque maillon devait être fabriqué avec une presse d’estampage et relié aux autres à la main.
Cependant, pour fabriquer les pièces en caoutchouc, comme les pneus et les freins, Roland devrait encore compter sur la capacité de Soraya. Lorsque les autres parties seraient prêtes, elle pourrait alors utiliser son crayon magique et en produire rapidement beaucoup plus. Même chose pour les roulements. Comme il ne pouvait pas produire de roulements à billes fiables, il dut se de contenter prendre une partie coupée dans une pièce de fer et l’utiliser comme un palier lisse. L’anneau intérieur fut recouvert d’un revêtement de miroir lisse, dont l’effet ne fut pas moins impressionnant.
Lorsque les premières bicyclettes seraient mises en vente, seule la noblesse serait en mesure de se permettre un véhicule aussi cher, mais afin de pouvoir en répandre l’usage cela auprès des masses et de créer un battage médiatique, Roland avait également l’intention de mettre en place un système de paiement par traites pour minimiser le poids des achats en achetant autant que possible. Bien entendu, seules les personnes en possession d’une carte d’identité pourraient se rendre à l’hôtel de ville et demander à bénéficier de ce mode de paiement.
Tous trois s’étaient entraînés tout un après-midi. Carter Lannis, digne du titre de Chevalier en Chef, fut le premier à maîtriser l’art du cyclisme, suivi par Hache-de-Fer qui fut le second à parcourir le jardin avec succès. Barov, par contre, tenta en vain plus d’une douzaine de fois. Il avançait en zigzag, manquant tomber. Pour finir, Roland demanda à Soraya de le peindre debout près de la bicyclette et tenant le guidon.
– « Cela vous convient? »Demanda la sorcière après avoir terminé la quatrième affiche de propagande.
– «Presque, il suffit d’ajouter quelques mots publicitaires.» Après avoir réfléchi un instant, Roland ajouta: «Au-dessus, écrivez ceci: Nouvelle ère de montures, j’en possède une et vous aussi pouvez en posséder une. En dessous, vous écrirez: L’usine de fabrication des bicyclettes recrute des travailleurs. Paiement généreux. Possibilité de recevoir en cadeau votre propre vélo. Ceux qui ont terminé leurs études primaires peuvent s’inscrire à l’Hôtel de Ville. »
Après s’être occupé de la publicité sur les bicyclettes, le Prince retourna à son bureau pour mettre à profit le temps qui lui restait avant le dîner et demanda à ses gardes d’appeler Kyle.
Maintenant qu’il avait opéré une percée pour créer de l’acide mercurique, le développement d’une nouvelle génération d’armes devait être mis à l’ordre du jour. À l’ère des armes à feu, ceux qui avaient le plus gros calibre deviendraient la justice, ceux qui auraient un taux de tir plus rapide obtiendraient la liberté, le pouvoir leur apporterait l’honneur, les tourelles l’égalité… Cependant, il restait un problème embarrassant. Le laboratoire seul ne serait pas en mesure de produire les deux acides en quantité suffisante pour suivre la consommation.
S’il voulait augmenter la cadence de tir, il lui faudrait réduire les restes de poudre noire et d’utiliser le pyroxyl dans le propulseur sans fumée, ou une sorte de mélange de pyroxyline et de nitroglycérine. Il en allait de même pour les explosifs de grande puissance. S’il ne pouvait pas produire du trinitrotoluène (TNT), il pourrait utiliser du nitrostarch qui, à l’exception de sa faible stabilité, serait beaucoup plus puissant que le TNT.
Quelle que soit la méthode utilisée parmi celles mentionnées précédemment, il aurait besoin de beaucoup d’acide nitrique fumant à concentration élevée. Cependant, la purification de l’acide nitrique exigeait des quantités d’acide sulfurique concentré que le laboratoire à lui seul ne pouvait pas fournir. En d’autres termes, il n’y avait aucun moyen de produire les deux acides à des quantités industrielles. Même s’il développait des armes encore plus efficaces, il n’aurait jamais assez de balles pour les utiliser.
Lorsque le chef alchimiste entra dans le bureau, Roland lui dit :
– « J’ai une nouvelle mission à vous confier. »
– « N’hésitez pas à m’en faire part », répondit Sichi en haussant les épaules. « Du moment que je n’ai pas à assister à une autre cérémonie d’honneur et de récompense. »
– « J’ai besoin de beaucoup plus d’acide, mais pour l’instant, le laboratoire de chimie à lui seul est incapable de répondre à mes besoins. Votre nouvelle tâche consistera donc à concevoir un système de production chimique capable de produire les deux acides efficacement et facilement. »
– « Un système de production chimique… »
En entendant ces mots inconnus, Sichi sembla un peu perplexe.
– « Oui, il faudrait créer un appareil qui puisse mélanger plusieurs liquides et les faire réagir, de sorte qu’il vous suffirait d’y introduire les matières premières pour qu’il produise un flux constant du produit fini. » Roland lui expliqua brièvement la nature de la production industrielle, « je ne sais pas grand-chose à ce sujet, aussi vous devrez compter sur vous-même pour trouver progressivement une solution.
Cela étant dit, le Prince savait que c’était une tâche très difficile et il était tout à fait possible que, même après des années d’étude, il n’obtienne pas nécessairement des résultats. Après tout, Kyle ne pouvait compter que sur les principes de base de la réaction et sur les équations chimiques issues de “La Chimie Élémentaire”.
– « Je comprends », acquiesça Sichi. « Vous avez toujours des idées motivantes. »
– « Peu importe si tu peux le faire ou non, j’ai désespérément besoin des deux acides. » Roland marqua une pause : « Ainsi, le mois prochain, je prévois d’agrandir le laboratoire de la rivière Redwater de trois pièces supplémentaires et de recruter parmi les citoyens des candidats qualifiés pour le poste de technicien de laboratoire. Si vous n’avez pas le temps de leur enseigner personnellement, il vous suffira de confier la tâche à quelques-uns de vos apprentis. Quant au système de production industriel d’acide, c’est un projet de recherche sur le long terme. »
– « Bien Votre Altesse », répondit Sichi sans hésiter, vraisemblablement en raison de son attrait pour la “Chimie Intermédiaire”.
Après le départ de Kyle Sichi, Roland soupira.
Si jamais le système industriel de production d’acide s’avérait impossible à réaliser, il lui faudrait apprendre à Lucia à purifier l’acide. Cela fait, lorsque la prochaine guerre arriverait, il lui faudrait trouver des armes encore plus puissantes pour que Border Town puisse remporter la victoire.
Roland ouvrit le tiroir, avec l’intention de manger du poisson séché pour dissiper l’ennui. Il découvrit que les encas qu’il y avait rangés, avaient tous disparu.
Bouche bée de stupéfaction, il leva les yeux et vit que l’on tendait un poisson vers sa bouche.
– « C’est ça que vous cherchiez ? » Demanda avec un sourire la femme blonde qui se tenait en face de lui.
Roland mordit dans le poisson séché et ne put s’empêcher de sourire :
– « Je pensais que vous resteriez dans le brouillard pour le reste de votre vie. »
– « Ce ne serait pas plus mal. Au moins vous ne pourriez pas me voir mais moi si », répondit Rossignol avec une moue.
Sans qu’il s’en aperçoive, son humeur, à l’origine plutôt sombre, avait déjà beaucoup changé. Maintenant qu’il revoyait l’apparence familière de son interlocutrice, il ne put s’empêcher de souffler de soulagement :
– « Il y a quelques jours, vous avez dit que vous ne saviez plus quelle attitude adopter… »
– « Ouais ? »
– « Eh bien, je pense que celle-ci est plutôt bonne. »