Roland était occupé à concevoir un modèle de médaille pour la cérémonie du lendemain. Depuis longtemps ce travail, qui n’était pas particulièrement compliqué, aurait dû être achevé.
En réalité, c’était à cause du baiser de Rossignol.
Depuis longtemps, le Prince avait perçu de vagues signes mais puisqu’elle n’agissait pas, il n’avait jamais pris l’initiative d’en parler lui non plus. A présent, il n’y avait plus de place pour le doute. Comment devait-il se comporter face à ses sentiments ?
Cette question lui permit de comprendre qu’il était loin d’être indifférent à Rossignol. Une femme belle et touchante, d’une nature calme et avec laquelle il passait le plus clair de son temps.
La raison pour laquelle Roland était incapable de lui répondre positivement résidait dans ses vingt années d’héritage idéologique ainsi que dans cette question existentielle à laquelle il se trouverait confronté… l’opinion d’Anna.
Ce dernier point le préoccupait. Il n’avait pas le droit de se comporter en égoïste et d’ignorer Anna.
Peut-être que seul le temps pourrait lui apporter la réponse qu’il cherchait.
Soudain, un bruit de cliquetis lui parvint de l’autre côté de la porte.
– « Entrez, ce n’est pas fermé », cria Roland, surpris. Qui donc pouvait bien lui rendre visite à cette heure ?
C’était Anna. Elle poussa la porte et entra dans la pièce, tenant un plateau contenant deux assiettes et une jarre en terre cuite. Avant même qu’elle ne puisse ouvrir la bouche pour parler, Roland avait déjà senti les arômes alléchants.
– « De la cuisine ? »
– « Oui », répondit Anna en laissant échapper un petit rire. Elle posa le plateau sur la table, enleva le couvercle du pot et découvrit une sorte de soupe blanche et laiteuse.
– « Voici des champignons rôtis au miel. J’ai personnellement préparé ce plat et Rossignol a fait l’autre. Dans ce pot, c’est de la soupe aux champignons, assaisonnée avec quelques herbes. »
– « Ça a l’air délicieux », dit Roland, « Venez-vous asseoir, nous mangerons ensemble. »
Anna acquiesça et s’assit en face de lui.
– « Comment se fait-il que Rossignol ne vous ait pas accompagnée ? »
– « Elle a dit… Qu’elle ne savait plus comment se comporter vis-à-vis de vous », répondit Anna. « Je ne comprends pas très bien pourquoi cela l’inquiète. »
« Alors c’est ça. » Roland soupira intérieurement. « Elle a beau se montrer audacieuse et me confier avec une certaine confiance qu’elle ne ressent pas le moindre regret, elle a beau avouer sans la moindre honte : “Vous n’y êtes pour rien, j’ai agi de ma propre initiative “, en vérité, sa capacité à faire appel à son courage pour quitter sa grotte et explorer le monde ne surpasse pas celle d’un écureuil. Mais enfin, qui est-elle ? Audacieuse ou timide ? … »
– « Dans ce cas, mangeons », dit le Prince.
Il prit un morceau de champignon et le porta à sa bouche : le miel fondait sur sa langue et en un éclair, répandit sa douceur, immédiatement suivi par le jus du champignon. Dépourvu de glutamate monosodique, il était si riche et si savoureux que Roland en resta muet… une touche de sel augmentait encore sa fraîcheur et avec la texture moelleuse du champignon, d’une exquise tendreté, le goût en était tout simplement parfait.
– « Ce ne sont pas des champignons ordinaires, n’est-ce pas ? »
Roland lui posa aussitôt des questions sur l’aspect de ce repas qui le démarquait largement de tous les autres aliments. D’une manière générale, les champignons étaient délicieux lorsqu’ils étaient cuits au barbecue, gardant ainsi leur fraîcheur. Mais comment pouvaient-ils être aussi juteux ? On aurait dit qu’ils étaient remplis de soupe.
– « On ne les trouve que dans la Forêt aux Secrets. Les gens de la ville les appellent des ײBecs d’Oiseauxײ, répondit Anna en souriant. Elle lui raconta l’histoire du champignon et conclut : « C’est pourquoi je voulais que vous les mangiez. »
Roland goûta ensuite la soupe aux champignons. Cuite lentement, elle était d’une saveur inégalable, les jus étant encore plus riches. Cela lui faisait globalement penser au tangbao
En outre, en mâchant, il ressentait la sensation du croquant.
Avant l’apparition du glutamate monosodique, les chefs n’avaient d’autre recours pour améliorer la saveur de leurs plats que d’utiliser des moyens indirects, comme par exemple des os de poulet entiers, des champignons et du soja avec lesquels ils réalisaient le bouillon. Les générations précédentes de cuisiniers préféraient la saveur authentique qui leur permettait de montrer leur talent culinaire. Cependant, même un mauvais chef ou un novice pouvait, en ajoutant du GMS, augmenter considérablement la saveur de ses plats.
En supposant que les champignons dits ײBecs d’Oiseauxײ soient naturellement très riches en jus et en saveur, ils seraient le matériau parfait pour extraire du GMS. Ils poussaient tout au-dessus des arbres, ce qui rendait la cueillette difficile, c’est pourquoi ils n’étaient pas très répandus. Mais pour Roland, ce n’était pas du tout un problème.
– « Il y a beaucoup de champignons comme ceux-ci ? »
– « Je n’en suis pas certaine… mais je suppose que oui », répondit Anna en prenant une autre petite bouchée. « Maggie m’a dit que rien qu’en contournant la forêt elle aurait pu m’en cueillir un énorme sac. »
– « Je suis heureux de l’entendre. »
Roland termina tous les champignons qu’Anna avait rôtis et tendit ses baguettes vers la seconde assiette :
– « J’avais peur que ce soit encore de la viande trempée dans du miel ou du poivre. Je suis plutôt las d’en manger – pff. »
– « Qu’est-ce qui ne va pas ? »
– « Rien, rien… »
Son cœur se souleva : « Pour l’amour du ciel, c’est beaucoup trop salé. Rossignol l’aurait-elle fait tomber accidentellement dans le pot de sel ? »
Il avala tout de même le champignon.
Roland s’aperçut ensuite que d’autres morceaux n’étaient pas complètement cuits, certains étaient même brûlés d’un côté et cru de l’autre. Heureusement, les Becs d’Oiseaux étaient délicieux par eux-mêmes, ce qui compensait dans une large mesure sa mauvaise cuisine.
– « Je… je suis rassasié », dit le Prince en posant ses baguettes. Il avait eu bien du mal à terminer la seconde assiette et avait même bu toute la soupe. Son ventre commençait déjà à gonfler. « Je vous remercie », dit-il.
– « N’oubliez pas Rossignol », dit Anna en riant. Elle avait l’air si adorable que Roland ne put s’empêcher de tendre la main pour lui pincer le nez. Elle poussa un petit gémissement puis embrassa le Prince sur la joue.
– « Bon, je vais faire la vaisselle, n’oubliez pas de vous coucher tôt. »
La sorcière partie, Roland soupira.
– « Je ne veux pas ignorer les pensées d’Anna… mais il y a des choses dont il n’est pas facile de parler », se dit-il, démuni. « Je pense que c’est à cause de mon ancienne vie. Durant toute ma scolarité, j’avais rarement eu affaire au sexe opposé. Et lorsque, diplômé, j’ai été admis dans cet institut de design et de recherche à grande échelle avec un bon salaire, ma situation n’a guère changé à cet égard.
Heureusement, il reste encore un long chemin à parcourir avant que l’Église ne soit complètement détruite. Cela me laisse suffisamment de temps pour réfléchir à ce que je ferai par la suite. Pour l’instant, mieux vaut rester concentré sur le travail qui m’attend. »
Le lendemain matin, Roland monta sur une plate-forme en bois érigée temporairement sur la place de la ville remplie d’une foule de gens.
Border Town actuelle, comparée à la ville pauvre et désolée qu’il avait connue au début, était comme le jour et la nuit. C’était un tout autre monde.
Les vieilles maisons éparses de la ville avaient été démolies. Des chantiers de construction et des maisons de briques étaient éparpillés un peu partout. En outre, ces dernières avaient été construites conformément à un plan de développement d’ensemble, et étaient soignées et bien rangées. Elles n’occupaient qu’un tiers des terres de la ville mais offraient assez d’espace pour les deux mille habitants locaux.
S’ils commençaient à construire des maisons à trois ou quatre niveaux et à créer de nouveaux quartiers, de plus en plus de gens pourraient habiter au même endroit. Border Town était actuellement la seule ville à compter plus de vingt mille habitants et une armée professionnelle d’environ six cents hommes. Cependant, Roland avait l’intention d’attendre jusqu’au printemps suivant avant de promouvoir officiellement sa ville.
Aidé de la capacité d’Echo, la voix de Roland réclama très vite le silence.
– « C’est aujourd’hui le jour du prix et de la cérémonie d’honneur de Border Town. Nous allons profiter de l’occasion pour récompenser et encourager les personnes qui ont apporté une contribution majeure à chacun d’entre nous. Voilà six mois que je suis arrivé ici. Nous avons vaincu les bêtes démoniaques, vaincu le duc et donné à cette ville son apparence actuelle. De nombreuses personnes, dont des gens remarquables, ont dû faire de grands sacrifices. Ce ne sont ni des nobles ni de riches marchands. Avant d’entrer à mon service, ce n’étaient que des personnes ordinaires, comme vous! »
Il observa un moment les réactions de la foule puis dit à voix haute : « Aujourd’hui, les voici généreusement récompensés! Je leur ai personnellement confectionné une médaille et ils ont obtenu cent royal d’or et cinq acres de terre! »
À l’annonce de cette nouvelle, la foule se mit à crier des vivats d’enthousiasmes. À elle seule, l’annonce de cent royal d’or était une somme attrayante.
– « À partir de ce jour, nous organiserons cette cérémonie chaque année. Peu importe votre statut social, tous ceux qui auront fait preuve de mérites exceptionnels obtiendront les plus hautes distinctions. »
À peine Roland eut-il achevé de parler, que l’imitation d’un salut de canon retentit. Hache-de-Fer, Kyle Sichi et Nana Pine, escortés par la Première Armée, montèrent sur l’estrade.