Ling Sen et Lin Ming étaient complètement anormaux aux yeux de Liang Long. S’ils n’obtenaient pas la première place, il n’en restait pas moins convaincu qu’ils finiraient parmi les vingt ou trente premiers. Quant à lui, ce serait déjà un grand honneur de pouvoir retourner dans sa famille en ayant atteint le top cent. Mais il apparaissait désormais, vu ce qu’il venait d’apprendre, qu’il risquait de se retrouver tout au fond du classement.

Ce serait probablement la plus grande honte de sa vie de terminer quatre centième ou cinq centième. Comment pourrait-il l’expliquer une fois de retour chez lui ?

Les mots que Qin Ziya s’apprêtait à prononcer allaient achever de le démoraliser.

« Le Tournoi des Factions se déroulera dans les Montagnes Célestes des Sept Profondes Vallées. Avant le début à proprement parler du tournoi, il vous faudra franchir un obstacle éliminatoire ; pour vous donner une idée, soixante pour cent des candidats échouent généralement à le passer. Seuls ceux qui triompheront de cet obstacle pourront entrer dans les Montagnes Célestes. »

« Soixante pour cent ? » s’exclama Liang Long la bouche grande ouverte. Cela voulait-il dire qu’il ne pourrait même pas franchir la porte de la montagne ?

Il n’aurait plus le courage de se montrer devant sa famille s’il se rendait au Tournoi des Factions et qu’il restait bloqué sur le bas de la porte des Sept Profondes Vallées.

Ne deviendrait-il pas la risée de sa famille ? Sa position de futur chef des Liang ne serait-elle pas remise en cause ? Il ne manquait pas d’ennemis qui, par jalousie, seraient prêts à répandre toutes sortes de rumeurs sur son compte à la première occasion.

Il se tourna sur le côté pour regarder Zhou Yu, pour découvrir qu’il semblait tout aussi tourmenté que lui. Ils appréhendaient tous les deux de ne pas réussir à atteindre les Montagnes Célestes.

Leurs maîtres leur avaient toujours enseigné qu’il y avait des cieux au-delà des cieux, et des hommes au-delà des limites que vous imaginiez. Liang Long commençait seulement à comprendre ce que cela pouvait signifier ; certains monstres étaient encore plus forts que Qin Xingxuan !

« Maître de la Maison Martiale, dans ce cas…

     — Qu’y a-t-il ? » le pressa aussitôt Qin Ziya.

Liang Long s’apprêtait à dire qu’il ne souhaitait pas prendre part au tournoi. À quoi bon aller se ridiculiser s’il n’était même pas capable de franchir les portes des Montagnes Célestes ? Mais le regard impérieux de Qin Ziya lui fit perdre tout courage et il sentit sa gorge se bloquer.

Il déglutit nerveusement et demanda, résigné : « Quand partons-nous ?

     — Demain matin aux aurores. Profitez du temps qu’il reste pour vous préparer. Nous emprunterons les Aigles Vents Célestes pour nous y rendre. Y a-t-il d’autres questions ? »

Lin Ming qui était silencieux depuis un moment prit alors la parole : « J’ai une question, Maître Qin.

     — Mm ? Je t’écoute.

     — Quelles sont les récompenses ? »

Liang Long et Zhou Yu se grattèrent la nuque d’un air embarrassé. Ils se préoccupaient tous deux de savoir comment ils allaient réussir à franchir la porte des Montagnes Célestes pour rentrer chez eux la tête haute quand, au même moment, Lin Ming s’inquiétait de savoir quelles récompenses il y avait à remporter. L’état d’esprit et les ambitions, voilà ce qui les différenciait.

Qin Ziya jeta un regard radieux vers Lin Ming et dit : « Une Pilule Ouverture du Paradis sera remise au grand gagnant ! Du moins après qu’il s’engage dans une des sept factions de la secte et qu’il atteigne le sommet du Houtian… Je ne vais pas me répandre en détail inutiles, vous connaissez tous la valeur de la Pilule Ouverture du Paradis.

En plus de cette première récompense, il y a également plusieurs trésors du degré terrestre de grade bas de toutes sortes, offensifs comme défensifs. Pas de Pilule Ouverture du Paradis pour les quatre suivants, de la deuxième à la cinquième place, mais chacun d’eux recevra un trésor du degré terrestre de grade bas. Du sixième jusqu’au dixième, c’est une Pilule Esprit Céleste, une autre pilule de grande valeur. Quant aux onzième, douzième et treizième, ils recevront chacun un trésor du degré humain de grade supérieur ainsi qu’une Pilule Esprit Terrestre. »

Une pensée traversa aussitôt l’esprit de Lin Ming en entendant ‘trésor du degré terrestre’.

« Toutes sortes de trésors ? Ont-ils des lances ?

     — La valeur d’une lance est plusieurs fois supérieure à celle d’autres armes du même degré. Tu peux néanmoins être tranquille, la secte des Sept Profondes Vallées existe depuis si longtemps qu’elle a eu tout le loisir d’accumuler un héritage considérable. Ils auront naturellement des lances à proposer. »

Trésor du degré terrestre…

Lin Ming serra les poings.

Qin Ziya remarqua son enthousiasme et ne put s’empêcher de penser : ce garçon ne pourra pas remporter le tournoi… Aussi talentueux qu’il soit, la première place est encore hors d’atteinte. Il ne pourra pas triompher de tous ces maîtres au milieu et au sommet de la Condensation de l’Impulsion. Comment un artiste martial au Façonnage Osseux pourrait-il remporter le Tournoi des Factions ?

Il ignorait toutefois que, depuis sa rencontre avec Mu Qianyu, aux yeux de Lin Ming, ces prétendus ‘génies’ des Sept Profondes Vallées n’étaient même pas dignes de mention.

Mu Qianyu avait atteint la Condensation de l’Impulsion à quinze ans, le Houtian à dix-sept, le Xiantian à vingt-deux, la limite du Xiantian quatre ans plus tard, et approchait désormais du Xuandan, le Noyau Circulaire.

De leur côté, les disciples des sept factions les plus talentueux s’apprêtaient, à l’aube de leur vingt-deuxième anniversaire, à attaquer les frontières du Houtian. À titre de comparaison, à leur âge, Mu Qianyu atteignait déjà le Xiantian !

La différence qui les séparait était incommensurable !

À quoi bon prétendre poursuivre le sommet des arts martiaux si Lin Ming n’était même pas capable de triompher de ces ‘talents’ ?

…

À des centaines de milliers de kilomètres de là –

La chaîne des Montagnes Célestes s’étendait tel un gigantesque dragon noir sur plusieurs dizaines de milliers de kilomètres au cœur du territoire des Sept Profondes Vallées. Son point culminant, le Pic de la Lame Tranchante, s’élevait droit dans le ciel à près de vingt mille mètres de haut. Abruptes et verticales, ses différentes faces ressemblaient à des épées perçant les cieux.

C’était le quartier général de la Faction des Épéistes de la secte. Douze sommets intermédiaires tournoyaient autour du Pic de la Lame Tranchante, comme une constellation d’étoiles portant la lune sur leurs épaules.

Un manoir immense et majestueux se dressait dans les nuages, ses murs recouverts de resplendissantes tommettes aux reflets bleutés. Une épée de soixante mètres de long transperçait la montagne en plein cœur de la salle principale.

Cette statue géante en acier noir pesait plusieurs centaines de milliers de jins ! Quelqu’un d’assez fort pour réussir à l’arracher du sol pourrait réellement s’en servir pour massacrer ses ennemis.

Le souverain de la Faction des Épéistes se tenait là, au pied de cette immense épée, les mains croisées derrière lui. Un jeune homme de dix-huit ou dix-neuf ans attendait face à lui. Ses sourcils, pareils à des cimeterres, se dressaient vers le haut et une aura impressionnante se dégageait de lui.

« Ouyang Ming de la Faction Acacia t’a vaincu lors du dernier Tournoi des Factions. Trois années sont passées, et sa cultivation se trouve désormais au sommet de la Condensation de l’Impulsion. Ce sera ton plus grand adversaire ! »

Le jeune homme resta silencieux un moment, avant de prendre la parole à son tour : « Non ! dit-il, Ouyang Ming ne sera pas mon plus grand adversaire.

     — Mm ? À qui penses-tu d’autres dans ce cas ?

     — Mon plus grand adversaire, c’est moi-même ! répondit-il avec une lueur dans les yeux. Qui suis-je pour prétendre devenir le plus grand bretteur si je suis incapable de vaincre les talents d’une simple secte de grade trois ? »

Plusieurs centaines de milliers de kilomètres les séparaient Lin Ming et lui, et pourtant, à ce moment précis et sans même se connaître, une pensée identique occupait leur esprit.

« Ha, ha ! Bien dit ! Tu es digne d’être mon fils ! Je n’ai qu’une seule attente pour ce Tournoi des Factions : que tu remportes la première place !

     — Oui, père ! »

…

Au même moment, à une centaine de kilomètres de là, sur le territoire de la Faction Acacia, un autre jeune homme d’une vingtaine d’années se tenait au-dessus du vide, le regard perdu dans la mer de nuages qui s’étendait entre les vallées, comme s’il méprisait le monde sous ses pieds.

Ce jeune homme était ni plus ni moins que celui mentionné par son condisciple de la Faction des Épéistes, Ouyang Ming.

« Mon chéri, tu es le disciple le plus talentueux que la Faction Acacia ait connu ces cent dernières années. Ce Tournoi des Factions est le dernier auquel tu peux participer. J’espère de tout mon cœur que tu atteindras la première place !

     — Merci, mère. »

La femme d’une grande beauté qui attendait derrière lui semblait avoir à peine vingt ans, alors même qu’elle était déjà âgée d’une cinquantaine d’années.

« Cette fois, la première place m’est acquise. C’est mon destin ! Dommage que Su Ran ne puisse plus participer, j’aurais vraiment aimé l’affronter. »

La limite d’âge pour le Tournoi des Factions était fixée à vingt ans pour les disciples des sept factions, soit deux ans de moins que pour les disciples extérieurs à la secte. Ce Tournoi des Factions serait le dernier pour Ouyang Ming.

« Empare-toi déjà de la première place. Tu finiras de toute manière par combattre Su Ran, et tu le vaincras. Cette frustration ne doit pas rester dans ton esprit !

     — Je comprends, mère.

     — Ne baisse pas ta garde et ne sous-estime aucun de tes adversaires. Qin Wuxin de la Faction de la Cithare a elle aussi atteint le sommet de la Condensation de l’Impulsion. Méfie-toi toujours des disciples de la Faction de la Cithare, leurs techniques sont particulièrement difficiles à contrer. Il y a aussi Han Yanluo de la Faction des Forgerons. Leur souverain a dépensé des sommes considérables pour forcer un Esprit de Feu à l’intérieur de son corps. Tu ne peux absolument pas te permettre de le regarder de haut !

     — Je sais, mère. »

Les sept factions avaient beau être historiquement réunies au sein des Sept profondes Vallées, elles le restaient avant tout par intérêts communs, et des conflits internes survenaient régulièrement. Ils se battaient pour accroître leur pouvoir, accaparer davantage de trésors, de ressources, de manuels, de pilules, de talents et toute autre chose permettant d’accroître leur développement.

De véritables combats survenaient parfois. Et le Maître des Sept Profondes Vallées ne pouvait lui-même rien y faire. Sans son excellent niveau de cultivation et le soutien de l’Ancêtre dont il jouissait, personne ne prêterait attention à ses paroles.

La secte avait déjà suffisamment de soucis à gérer pour ne pas aller en plus interférer dans les conflits entre les factions. D’autant plus que ces conflits se résolvaient généralement avec le temps. Le rôle central de la secte en tant qu’entité se résumait principalement à organiser la collecte et l’affectation des ressources à travers son territoire.

Le Maître des Vallées décréta, il y a deux cents ans de cela, qu’un tournoi représentant toutes les forces de la secte aurait lieu tous les trois ans. La répartition des ressources se ferait ensuite selon les résultats obtenus par les disciples. Ainsi, personne ne pourrait contester quoi que ce soit.

C’est pour cette raison que les sept factions investissaient des fortunes pour encourager l’avancement de leurs meilleurs disciples. Afin que ces derniers puissent briller au cours du Tournoi des Factions et assurer par cette occasion le plus de revenus possible à leur faction pour les trois prochaines années.

Le Tournoi des Factions était presque systématiquement remporté par un disciple direct des sept factions. Et quand ce n’était pas le cas, le gagnant appartenait quand même aux sept factions.

À ce jour, aucun disciple extérieur à la secte n’était parvenu à s’emparer de la première place ! Sans compter la première place, il n’y en avait jamais eu un seul dans le top dix. Aux yeux des disciples des sept factions, ces soi-disant ‘talents’ des trente-six pays et des familles de cultivateurs martiaux de grade deux n’étaient rien de plus que des péquenots.

Les disciples directs des Sept Profondes Vallées, descendants des fondateurs de la secte, avaient toujours considéré qu’ils concouraient uniquement entre eux ; les disciples extérieurs ne trouvant aucune grâce à leurs yeux.

…

Le Royaume du Grand Avenir se trouvait à deux cent mille kilomètres des Montagnes Célestes. Cela ne représentait pas moins d’une dizaine de jours de vol à dos d’Aigles Vent Céleste !

Qin Ziya arriva avec un petit groupe aux écuries de la Maison Martiale des Sept Véritables. De nobles Aigles Vent Céleste attendaient déjà, harnachés pour un long voyage. C’étaient probablement les plus belles montures du royaume. Leur vitesse de vol n’avait rien à voir avec celle d’Aigles Vent Céleste ordinaires.

« Allons-y ! »

Lin Ming grimpa aussitôt sur le dos de l’un d’eux au signal de Qin Ziya. L’oiseau s’élança dans le ciel en criant avec majesté, laissant une traînée de flocons tourbillonnants dans son sillage.

Le vent froid sifflait dans les oreilles. Les aigles s’élevèrent de plusieurs centaines de mètres dans les cieux en quelques secondes à peine. En regardant vers le bas, on pouvait apercevoir la Ville du Grand Avenir recouverte d’un voile blanc. Cette couverture de neige blanche s’étendait à perte de vue. Ce paysage poignant procurait un sentiment de solitude, de pureté et de magnificence.

Ils se déplaçaient à une vitesse telle que les flocons leur frappaient le visage comme de petits cailloux. Lin Ming s’entoura d’un bouclier de véritable énergie pour se protéger.

Les Aigles Vent Céleste filaient à travers le ciel. Un cri clair de joie se perdit entre les frontières du ciel et de la terre…