– « Alors je peux participer au raffinage ? »  Demanda Yi Yun. 

Lian Chengyu approuva silencieusement. Il trouvait si triste de voir une personne mener une vie telle qu’il allât joyeusement à la mort. 

– « Merci jeune maître », s’écria Yi Yun, sincèrement ravi. 

Il craignait qu’en le voyant en vie, Lian Chengyu devienne fou et se remette à lui tapoter l’épaule suffisamment de fois pour s’assurer qu’il mourrait. 

Si cette méthode ne lui causait aucun tort, cela aurait de lourdes conséquences car si Lian pouvait penser qu’il avait commis une erreur lors de sa première tentative, cela ne manquerait pas d’attirer son attention en cas de récidive. 

Mais Lian Chengyu venait de lui donner sa chance de raffiner l’os de Créature Fabuleuse, ce qui lui laissait un temps de répit. La force de Yi Yun augmentait si vite que d’ici deux mois, les choses ne seraient plus du tout les mêmes!  

– « Yun-er, tu ne rentres pas manger ? » Demanda Jiang Xiaorou qui venait de terminer la préparation du repas. 

Mais en le voyant discuter avec Lian Chengyu, l’inquiétude la prit car leur dernière rencontre lui avait presque coûté la vie! 

Elle se précipita, craignant que Lian Chengyu ne fasse de tort à son frère et même si elle le haïssait, elle ne pouvait pas perdre sa dignité devant lui. 

– « Mais c’est le jeune maître Lian », dit-elle avec un sourire en tirant Yi Yun derrière elle.  

– « Jiang Xiaorou ? Je me souviens de toi », dit-il en la voyant faire. Décidément, cette fille lui était toujours aussi hostile!   

Complexé par les grandes tribus, Lian Chengyu détestait que les gens du peuple lui manquent de respect et s’efforçait d’asseoir son autorité auprès de ces pauvres gens qui n’avaient rien de comparable avec lui. 

Mais il était beaucoup plus tolérant envers Jiang Xiaorou qu’il admirait et qu’il finirait bien par apprivoiser. 

Ceci dit, il partit sans lui accorder le moindre regard ni lui adresser un mot. Il faisait partie de l’élite, tel un empereur qui propose mais ne chasse pas. Il attendrait que Jiang Xiaorou se retrouve dans une situation désespérée et enverrait Zhao Tiezhu s’occuper d’elle. 

Jiang Xiaorou le regarda s’éloigner et prit les petites mains de Yi Yun dans les siennes : 

– « Que s’est-il passé, Yun-er ? » Demanda-t-elle.  

– « Rien, Sœurette, ne t’inquiète pas », répondit le garçon.  

La jeune fille se sentit rassurée. Après tout, son frère n’avait pas hésité à lui dire la fois où Lian l’avait blessé. Depuis quelques jours, elle sentait que son frère n’était plus vraiment un enfant : il avait ses idées propres. 

Mais en y réfléchissant, Jiang perçut que quelque chose clochait : 

– « Tu n’as tout de même pas l’intention de te joindre au raffinage ?! Tu ne peux pas aller là-bas! »  

Yi Yun la regarda, surpris par sa surprenante perspicacité. Jiang Xiaorou ne connaissait pas les mystères que renfermait le processus de raffinage, mais elle savait que c’était dangereux. 

Le jeune garçon réfléchit :

– « Je ne suis pas aussi faible que tu le penses, Sœurette », dit-il. « Je ne suis plus le même depuis que je suis revenu d’entre les morts. Souviens-toi qu’il y a quelques jours, j’ai escaladé une falaise de vingt mètres de haut! »  

Certes, elle avait été stupéfaite de la vitesse avec laquelle il grimpait, mais depuis son plus jeune âge, Yi Yun aimait escalader la montagne et cueillir des herbes. Ceci dit, il était beaucoup plus agile en effet, et grimpait beaucoup mieux que la plupart des membres du camp de formation. 

À cette pensée, Jiang Xiaorou se sentit rassurée. Son frère, en effet, n’était plus le même. 

Il arrive parfois que survivre à un évènement réputé fatal pouvait être une grande chance.  Jiang Xiaorou avait entendu parler de personnes qui, frappées par la foudre, avaient survécu et développé des capacités spéciales. 

Était-ce le cas concernant Yun-er ? 

La nuit même, Yi Yun, en tant que nouvelle recrue, fut emmené sur les terres de séchage solaire fermées par des palissades de bois qui, depuis la “typhoïde”, avaient été surélevées pour empêcher quiconque de s’introduire dans les lieux. 

Environ trente personnes réparties en deux équipes étaient impliquées dans le raffinage de l’os. 

Yi Yun fut désigné pour rejoindre l’équipe de nuit, constituée d’une douzaine d’homme qui, quoiqu’ils ne fussent pas aussi costauds que les guerriers du camp de formation, étaient tous de grande taille. Au milieu d’eux, le jeune garçon, qui ne leur arrivait pas à la poitrine, était comme une petite poule parmi les cygnes. 

En le voyant arriver, ces hommes demeurèrent stupéfaits : comment avaient-ils pu choisir un enfant aussi mince pour le raffinage ? 

D’une part il ne semblait guère fort et d’autre part, il était si petit que même debout sur un tabouret, il n’atteindrait pas la bouche du chaudron. Comment pourrait-il y ajouter de l’Eau de Feu Li ? 

– « Toi ? Raffiner l’os ? Mon garçon, tu te moques de moi! » 

– « Que pourrais-tu faire avec une si petite taille ? Tes jambes ne sont pas plus épaisses que le bois de chauffage! »

Tous les hommes avaient des opinions bien arrêtées, très mécontents que ce jeune puisse recevoir du bacon sans rien faire.  

Yi Yun ne se donna pas la peine de répondre. Il s’assit près de la pile de bois, les laissant discuter entre eux.  

– « Le repas est servi! » Annonça un guerrier du camp de formation en apportant un seau de porridge.  

En effet, les hauts responsables avaient décidé de nourrir ceux qui travaillaient au raffinage de l’os afin qu’ils aient suffisamment de forces pour mener à bien leur tâche.

Aussitôt, les yeux des hommes s’illuminèrent et ils se précipitèrent. En un instant, il ne resta plus rien pour Yi Yun, qui se trouvait derrière. 

Démuni, il se dit que la phrase “Un mauvais environnement génère de mauvais citoyens” prenait tout son sens, non pas que les gens issus d’un environnement défavorable manquassent de moralité, mais celle-ci ne leur permettait pas de vivre. 

– « Au travail! Au travail! » Crièrent les hommes du camp de formation. 

L’heure étant venue de prendre la relève de l’équipe de jour, quelques hommes se dirigèrent vers le grand chaudron.  

Yi Yun traînait derrière, les yeux fixés sur le récipient. 

Les autres eurent l’impression qu’il était stupéfait par la taille de ce chaudron de bronze que léchaient des flammes pourpres et dont il n’atteignait même pas la seconde poignée.  

Mais en réalité, Yi Yun avait les yeux pleins de légers points de lumière, semblables à des lucioles qui voleraient dans la nuit. 

Ce pouvoir mystique, qui provenait de l’énergie de l’os, était le légendaire Pouvoir des Créatures Fabuleuses.  

Ce flot incessant enthousiasma Yi Yun car jusque-là, l’os étant loin, le Cristal Pourpre ne pouvait absorber qu’une petite partie de son énergie. 

Rien de comparable avec le Ginseng de Jade Pourpre et le Champignon Noir. Le jeune homme était aussi excité qu’aurait pu l’être une personne habituée à manger des plats simples devant un repas somptueux, un voleur dans une tombe impériale ou encore une belette dans un poulailler! 

Toute l’énergie de l’os était maintenant à lui.  

– « Qu’est-ce que tu lambines, gamin ? va donc couper du bois! » S’écria un homme en déposant une hache devant lui. 

Yi Yun sortit de sa léthargie et obtempéra joyeusement. 

« Ce garçon a un problème mental! », dit l’homme d’un ton insultant avant d’aller lui aussi couper du bois.  

Essentiel au feu, ce bois, extrêmement résistant et lourd, demandait la force et les efforts de plusieurs hommes. Et si ces hommes travaillaient dur, c’est parce qu’ils espéraient devenir contremaître et obtenir plus de bacon et de nourriture. 

Néanmoins, Yi Yun, qui savait pertinemment que la fameuse typhoïde avait quelque chose à voir avec le raffinage, ne se laissa pas emporter par la joie. Il devait en chercher la cause et si le Cristal Pourpre ne trouvait pas la solution, il prendrait la poudre d’escampette, quelles que puissent être les récompenses promises. 

Tout en coupant machinalement le bois, il observa attentivement le chaudron chauffé au rouge et peu à peu, il comprit d’où venait le problème.  

Les points lumineux qui fusaient du récipient étaient de deux couleurs différentes. La majeure partie était de couleur pourpre et semblaient voler au hasard, mais Yi Yun s’aperçut que s’il se concentrait, ils affluaient vers lui.  

Son cœur ayant fusionné avec le Cristal Pourpre, il comprit qu’il pouvait contrôler la quantité absorbée par celui-ci depuis qu’il avait atteint le second niveau de Sang Mortel. 

Il pouvait même choisir et n’absorber que ce qu’il voulait. 

Quant aux autres points lumineux, ils étaient d’un bleu glacial…