Il s’avéra qu’en réalité, il y avait plusieurs ײratsײ.
Aussi, une fois de plus, Hache-de-Fer se posta devant l’un des captifs et le regarda, impassible :
– « Vous êtes la troisième personne à avoir tenté de s’échapper en sautant du navire. Les réfugiés nous ont confirmé que vous n’étiez pas de la Région de l’Est. Quelles sont vos dernières paroles ? Une confession ? »
Il avait suffi de leur couper un doigt à l’aide d’un poignard pour que les deux autres prisonniers confessent leurs origines et objectif.
Bien entendu, leurs cadavres finissaient tout de même dans le canal, car Hache-de-Fer n’était pas un tendre.
En luttant pour survivre à Iron Sand City, il avait appris une chose : lorsqu’un ennemi cachait sa tête et montrait sa queue, mieux valait lui couper les deux membres l’un après l’autre.
Cependant, il fut surpris de voir que le prisonnier, qu’il avait contraint de s’agenouiller et dont on avait attaché les mains dans le dos, semblait en pleine santé, à la différence de tous ces malades.
« Est-il possible qu’une autre faction l’ait envoyé ici pour mourir ? », se demandait-t-il.
– « Je ne suis pas votre ennemi », dit enfin l’homme en regardant Hache-de-Fer droit dans les yeux. « Mon nom est Hill Fawkes, Théo me connaît certainement! »
Comme Théo n’avait toujours pas quitté le quai, Hache-de-Fer le fit appeler. Il regarda Hill Fawkes, et dit : « C’est l’un des hommes de Black Hammer. »
– « Donc ce n’est pas l’un de vos hommes! » Confirma Hache-de-Fer.
– « Il n’a rien à voir avec moi. C’est un ײratײ des rues qui vient tout juste de se joindre à nous. »
– « Vous avez trompé Black Hammer et les Doigts de Squelette », s’écria soudain Hill : « Vous ne travaillez pas pour Timothy, mais pour le Seigneur du Territoire de l’Ouest, Son Altesse Roland Wimbledon! »
– « Il en sait trop », dit Théo, singeant le geste du coupage de tête à l’adresse de Hache-de-Fer : « Sa place est dans le canal »
Hill tenta de sauver sa vie et déclara :
– « J’ai entendu tout ce que le mercenaire a annoncé, je crois que nous pouvons coopérer! Je suis prêt à travailler pour Son Altesse Royale Roland! »
– « Son Altesse n’a que faire de l’allégeance d’un rat des rues », répondit Hache-de-Fer en sortant son épée.
– « Je ne suis pas un rat des rues, je suis… je suis un citoyen de la Cité du Roi! Et un ennemi de Timothy! » S’écria Hill.
– « Attendez », dit Théo à Hache-de-Fer. Il se dirigea vers Hill. Celui-ci leva la tête et regarda le garde droit dans les yeux. Il n’y avait nulle crainte dans son regard mais il était brûlant.
« Voilà… C’est exactement ce que j’ai vu dans ses yeux la première fois que je l’ai rencontré, mais je n’ai pas compris à l’époque », se dit Théo. « Ses yeux étaient remplis de haine, une haine si intense que même s’il s’efforçait de la cacher, il ne pouvait pas totalement dissimuler le feu de sa colère. »
– « Dites-moi : que comptez-vous faire pour Son Altesse ? »
– « Il est vrai que j’habitais le quartier nord de la ville et que je me rendais parfois à la « Caverne du Trompettiste » pour prendre un verre, mais je n’ai jamais perdu mes biens en jouant, pas plus que ma femme ne s’est enfuie avec un autre… » Hill serra les dents : « En vérité, c’est Timothy qui est cause de sa mort! »
Son histoire n’était pas très compliquée, et Théo comprit immédiatement la succession des événements.
À l’origine, Hill et son épouse étaient membres de la ײDove and Cylinderײ, une troupe acrobatique qui se produisait fréquemment au centre de la Cité du Roi. Cette troupe ne comprenait que sept membres entre lesquels il régnait une atmosphère extrêmement harmonieuse. Son épouse était la seule femme du groupe, aussi tous l’avaient courtisée à tour de rôle, mais pour finir, seul Hill avait gagné son cœur.
La vie conjugale qui s’en suivit fut très douce et en peu de temps, ils économisèrent ensemble suffisamment d’argent pour acheter une maison dans le centre-ville. Mais la chasse aux sorcières de Timothy vint détruire ce bonheur. Sous la direction de Langley, la patrouille, qui se comportait comme une bande de chiens enragés, saisissant sans réfléchir toutes celles qu’elle soupçonnait. Sa femme eu la malchance d’être capturées.
Hill Fawkes pensait que s’il payait une rançon, il parviendrait à faire libérer son épouse ou, si cela s’avérait impossible, obtiendrait au moins un droit de visite. Mais le gardien, qui avait accepté son argent, non seulement ne la libéra pas mais de plus refusa de le laisser entrer pour la voir. Il essaya seulement de l’apaiser en disant qu’il n’avait qu’à attendre un moment, et que si sa femme n’était pas une sorcière, elle serait libérée. Lorsque le gardien l’informa qu’il pouvait venir à la prison récupérer son épouse, il ne s’attendait pas à ce que les choses aient tourné au pire. Il la retrouva morte, le corps couvert de meurtrissures.
Lorsque Hill, fou de rage, alla trouver Langley pour demander une explication, le directeur de la prison et ses gardes furent simplement condamnés à dix coups de fouet et à une amende de vingt-cinq Royals d’argent, tandis que lui-même recevait trois Royals d’or à titre d’indemnisation. Ce jugement étant inacceptable aux yeux de Hill, il alla jusqu’à rencontrer le plus haut responsable, Sir Weimar, également connu sous le nom de ײChevalier au Cœur d’Acierײ, mais en vain. Sir Weimar se contenta de lui dire que Langley était de connivence avec Timothy et que les nouveaux membres de la patrouille étaient tous ses laquais. En outre, la chasse aux sorcières étant un ordre émanant de Sa Majesté en personne, même Sir Pail, le Ministre de la Justice, n’avait pas le pouvoir de s’y opposer.
Hill décida alors que le nouveau Roi allait payer. Il ne s’attendait pas à ce que ses anciens partenaires de la troupe acrobatique le soutiennent. Cependant, ils n’étaient qu’un groupe d’acrobates qui n’avait ni expertise de combat, ni richesses, ni personne sous son commandement, aussi leur était-il quasi impossible de mener à bien une vendetta contre le Roi. Le seul moyen de lui nuire, selon Hill, était de collecter des renseignements sur Timothy et de les transmettre à ses ennemis, comme par exemple la reine de Clearwater, Garcia Wimbledon. Pour ce faire, ils rejoignirent différents groupes de rats des rues et décidèrent de rassembler tous les indices qu’ils pourraient trouver concernant le nouveau Roi.
C’était aussi la raison pour laquelle il surveillait discrètement tous les mouvements de Théo. Si jamais Timothy envisageait de se débarrasser des réfugiés, il ferait tout son possible pour les arrêter. Mais il fut trop lent à agir : la peste démoniaque éclata et Théo suspendit le transport des réfugiés.
Ce jour-là, Hill venait de s’apercevoir qu’ils avaient relancé l’opération. Afin de pouvoir enquêter, il s’était littéralement déguisé en réfugié et avait réussi à se mêler à la foule. C’est ainsi qu’il avait découvert qu’en vérité, Théo était au service de Roland Wimbledon, quatrième Prince du Royaume de Graycastle, qui, à n’en pas douter, en sa qualité de concurrent qualifié pour le trône de Graycastle, était lui aussi un ennemi de Timothy.
« Si cela pouvait lui permettre de tuer le nouveau roi, je suis sûr que Hill n’hésiterait pas à travailler pour le Diable en personne », se dit Théo.
– « D’accord. Dernière question : en vous mêlant à la foule pour vous renseigner discrètement, ne vous est-il jamais venu à l’esprit que vous pourriez être contaminé ? » Demanda Théo, intéressé : « Je n’aurais jamais imaginé qu’une personne animée d’un esprit de vengeance ferait si peu cas de sa vie. »
– « J’ai l’antidote » confessa Hill. « Il est caché dans une poche de mes sous-vêtements. Tous les partenaires de ma troupe sont près à dépenser la plupart de leurs biens familiaux pour me l’acheter au marché noir. »
Théo tendit la main et, le fouillant, il attrapa un flacon transparent rempli d’un liquide bleu. Il le passa à Hache-de-Fer et dit :
– « Ce doit être le Saint Élixir de l’Église. Je pense que ceci va beaucoup intéresser Son Altesse Royale. »
– « cet homme… », demanda Hache-de-Fer en s’emparant de la fiole, « Qu’avez-vous l’intention d’en faire ? »
– « Eh bien », répondit Théo en se palpant le menton, « Puisque nous ne pouvons pas vérifier l’authenticité de ses paroles, il y a quelqu’un dans le camp qui pourra nous dire s’il dit la vérité. Je vais demander à Mlle Rossignol de s’en charger. »
Plus tard dans la soirée, Théo retourna à la ײCaverne du Trompettisteײ
Black Hammer n’avait pas vraiment le moral : avec la propagation de la récente épidémie, son activité avait chuté si bas qu’elle était quasiment gelée. Et comme si cela n’était déjà pas suffisamment sérieux, Silver Ring et Pots avaient eux aussi été infectés, ce qui le rendait infiniment plus nerveux.
Hill, comme si de rien n’était, se tenait, un peu rigide, en face de Théo.
Ce dernier eut un léger sourire et lança à Black Hammer une bourse pleine de Royals d’or :
– « Vous n’avez vraiment pas de raison d’être à ce point déprimé. J’ai de bonnes nouvelles pour vous et également une proposition d’affaires. »
Black Hammer compta les pièces, les rangea et dit faiblement :
– « En ce moment, nous ne faisons plus d’affaires. La peste démoniaque est hors de contrôle, qui serait assez fou pour sortir ? Tout cet argent ne suffirait même pas pour acheter le Saint Élixir. Avez-vous une idée de ce que coute un flacon de ce remède, ne serait-ce qu’au marché noir ? Au moins vingt-cinq Royals d’or! »
– « Quelle coïncidence! » répondit Théo en riant. « En fait, l’affaire dont je vous parle a justement quelque chose à voir avec l’achat d’un remède. » Il marqua une pause, « …un remède spécial pour faire face à la peste démoniaque. »