Devant eux, le couloir était rempli d’épais brouillard rose et l’on n’y voyait rien.
La robe de terre dissimulait encore la majeure partie du corps de Linley et une membrane jaune ocre recouvrait son visage, son cou et ses mains. On ne voyait plus que ses yeux.
Tous les Dieux de l’escouade avaient compris que ces flèches pouvaient couvrir toute la zone. Par ailleurs, elles se déplaçaient si rapidement qu’ils n’avaient pas le temps de réagir, aussi leur seule option était-elle de se protéger entièrement.
Les quatre-vingts personnes que comptaient le groupe s’avancèrent sans bruit dans le couloir où l’on entendait parfois les aboiements de Crompton :
– « En avant, plus vite! ».
Dans tout le reste du château, il régnait un silence de mort.
Soudain, on entendit des cris misérables doublés d’injures et de cris de rage.
La troupe de Linley s’arrêta.
« Voilà une autre équipe prise dans une embuscade », pensèrent-ils.
« C’est donc dans cette optique que le maître du château a libéré ce brouillard empoisonné », se dit Linley qui, pas plus que les autres, n’osait utiliser son sens divin pour fouiller le brouillard de crainte que son âme ne soit contaminée, ne serait-ce que légèrement.
Même s’ils ne devenaient pas fous, leurs performances au combat en seraient affectées.
Leurs ennemis non plus n’utilisaient pas le leur, cependant, ils connaissaient très bien la structure de ce château. Peut-être s’étaient-ils cachés dans des recoins, ce qui désavantagerait considérablement le camp de Linley.
– « Avancez! Dépêchez-vous! » Cria un Démon depuis l’arrière. « Vous avez les jambes en coton ou quoi ?! »
Les personnes qui se trouvaient au premier rang étaient furieuses. Se dépêcher alors que c’étaient eux qui couraient le plus grand danger ? Ces Démons voulaient-ils leur mort ?
Cependant, ils n’osaient pas désobéir à ces Dieux Supérieurs.
– « Tournez maintenant! »
Le groupe, arrivé à un tournant, suivit le couloir jusqu’à un embranchement.
Cachés dans l’obscurité, dix gardes en robe d’or se tenaient prêts.
– « Ils ont passé le tournant », chuchota le Capitaine des gardes en tenue dorée « Préparez-vous! »
– « Compris, capitaine », répondirent ses hommes, les yeux brillants, arcs bandés, flèches à la main, prêts à les décrocher par groupe de cinq. Leur précision en serait affectée mais les couloirs étant rectilignes, il leur suffisait de tirer en ligne droite.
– « Quel gaspillage! » s’exclama le Capitaine qui, lui, n’avait qu’une seule flèche.
– « Celui que vous toucherez, capitaine, mourra assurément. »
L’homme eut un sourire.
Pour tout dire, les renseignements que détenait le Château du Démon n’étaient pas tout à fait exacts. Le château du Lac de la Lune comprenait bien des “gardes en robe noire” et des “gardes en robe d’or”, mais s’il était vrai que les premiers étaient d’assez puissants Dieux Supérieurs, les seconds en revanche, n’étaient pas tous des Dieux.
Leurs capitaines, en effet, étaient des Dieux Supérieurs, qui, s’ils n’avaient pas reçu pour mission de diriger les équipes, seraient devenus des gardes en robe noire. Tous les hommes sous leur commandement étaient de même niveau et ils recevaient leurs ordres de dix gardes en robe noire.
Celui qui tendait l’embuscade au groupe de Linley était donc bien un Dieu Supérieur, cependant, il avait atteint le niveau Divin en fusionnant avec une étincelle.
– « Je vais ouvrir le mur », dit-il. « À mon signal, tirez immédiatement! »
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, tout un pan de mur disparut, révélant les dix gardes en robe d’or qui se trouvaient derrière. Mais à cause du brouillard rose, Linley et son groupe ne pouvaient pas déceler leur présence.
– « Tirez! » Ordonna alors le capitaine par le biais de son sens divin. Comme c’était lui qui avait ouvert le mur de pierre, il serait le dernier à tirer.
Aussitôt, une grêle de flèches parcourut le couloir, après quoi le mur de pierre se referma. Personne, de l’extérieur, n’aurait pu dire qu’il était mobile.
Linley, qui avançait avec précaution en regardant attentivement devant lui, blêmit tandis que ses pupilles rétrécissaient.
La pluie de flèches fendait l’air en direction du groupe. Elles étaient si rapides que lorsqu’ils les aperçurent, elles ne se trouvaient plus qu’à quelques dizaines de mètres d’eux. Ils n’auraient pas le temps d’esquiver!
Linley n’eut que le temps d’étendre ses bras et de se placer devant Délia pour la protéger de son corps.
Bien qu’il y eût du monde devant lui, deux flèches le frappèrent comme la foudre mais ne purent pénétrer son armure de terre composée d’ondulations de pouvoir divin.
Bébé aussi fut touché. On entendit un bruit métallique. La pointe de la flèche se brisa et celle-ci retomba au sol.
– « Trop faible », dit-il en riant.
« Tout le monde va bien », pensa Linley, soulagé mais aussitôt, son visage se crispa : il venait d’apercevoir, dans sa ligne de mire, une flèche effrayante.
C’était la dernière, une flèche Tueuse de Dieux décrochée par le Dieu Supérieur, qui émettait une sinistre lumière noire et faisait onduler l’espace. Linley n’eut pas le temps de réagir : elle le frappa droit à la poitrine.
Les innombrables ondulations de son armure de terre tentèrent bien de réduire sa capacité de pénétration mais hélas, celle-ci était trop importante et la flèche traversa légèrement.
Impuissant, Linley tomba à genoux.
– « Patron! » S’écria Bébé qui se trouvait à proximité, en train de rassembler les cadavres. Délia, qui venait à peine de se sentir soulagée, en resta stupéfaite.
« Enfin, il est mort sans que j’aie eu besoin de le tuer », pensa Compton qui, depuis tout ce temps, gardait l’œil sur Linley.
Il était ravi.
Le plus terrifiant était le poison dans lequel la pointe de la flèche avait été plongée.
Un courant d’énergie grise attaqua immédiatement le cerveau de Linley, fila droit vers son âme et se heurta à la membrane transparente, l’artefact Souverain qui la protégeait et qui, mise à part la brèche, était toujours aussi efficace.
La collision dispersa plus de la moitié de l’énergie grise mais ce qui restait se divisa en points de lumière qui recouvrirent toute la membrane, brèche inclue. On aurait dit que cette énergie était intelligente. Or Linley avait scellé cette brèche par une sorte de bandage issu de son énergie spirituelle.
« Qu’est-ce que c’est ? » Se demanda-t-il, stupéfait de constater que les points gris semblaient dotés d’un esprit.
Comme s’ils avaient repéré la zone faible de sa membrane protectrice, ils l’attaquèrent sauvagement et s’infiltrèrent par la brèche pour converger vers l’océan de sa conscience. Là, ils se divisèrent en trois et ces trois vagues d’énergies, bien que plus faibles, s’en prirent à son Etincelle Divine, à son clone d’affinité Vent et à son corps d’origine.
« Elle attaque toutes mes âmes en même temps! » Pensa Linley, stupéfait.
Ceci dit, comme il n’avait pas perdu le contrôle de l’énergie spirituelle présente dans l’océan de sa conscience, il créa aussitôt une Défense Pulsatile, générant une suite d’ondes spirituelles qui vinrent éteindre les points gris. Cela dit, il avait utilisé plus de la moitié de son énergie spirituelle.
Réalisant à quel point il l’avait échappé belle, Linley poussa un soupir de soulagement. Le processus n’avait pris en tout et pour tout qu’une ou deux secondes.
Il entendit alors Bébé et Délia qui l’appelaient et rouvrit les yeux :
– « Je vais bien », dit-il avec un léger sourire.
Son épouse et Bébé en furent grandement soulagés mais Linley était plutôt sombre :
« Ce poison est vraiment étrange et effrayant », pensa-t-il. « Pas étonnant que l’employée du Château du Bourgeon Rouge ait affirmé que cette flèche pouvait tuer n’importe quel Dieu. »
En effet, ce poison diabolique avait une volonté propre qui lui permettait, même s’il n’avait pas la capacité de penser, d’éviter les points forts de l’ennemi et de rechercher ses faiblesses.
S’il avait eu cette capacité, le poison se serait concentré sur une seule de ses âmes au lieu de quoi il avait attaqué les trois simultanément.
Voyant qu’il se relevait, Crompton, resté à l’arrière, écarquilla les yeux et devint furieux.
« Toujours pas mort ?! » Pensa-t-il. « Je serais curieux de voir combien de temps il pourra survivre car même s’il n’a pas succombé à l’atteinte de la Flèche Tueuse de Dieux, il a dû épuiser la majeure partie de son énergie spirituelle. »
– « Dépêchez-vous! » Hurla-t-il.
Après deux embuscades consécutives, il ne restait plus dans le groupe de Linley qu’une soixantaine de Dieux et ce dernier était, cette fois, tout à fait à l’avant.
– « Il faut faire cesser ça, Patron », dit Bébé qui commençait à s’inquiéter.
– « Je sais. »
Qui sait ce que l’ennemi leur réservait. Comme ils étaient continuellement en position défensive, une fois leur ligne de défense affaiblie, ç’en serait fini pour eux.
– « Nous sommes au second étage! » S’exclama l’un des Dieux alors qu’ils s’engageaient lentement dans les escaliers. « Soyez prudent, car il y aura certainement plus de danger qu’au premier! »
Pendant ce temps, dix gardes en robe d’or descendirent dans une grande salle vide à l’aide d’un passage secret.
– « Notre maître est devenu fou! » S’exclama l’un d’eux, particulièrement excité. « Il a sorti les Golems du Dieu de la Mort! Or comme ils ne sont que vingt, nous avons de la chance d’en avoir au moins un avec nous. »
– « Je n’ai pas besoin de ce Golem », dit le capitaine qui, en tant que Dieu Supérieur, était bien plus puissant que le Golem. « Si vous voulez, Eric [Ai’rui], vous pouvez en prendre le contrôle. »
Le troisième étage était extrêmement vaste et la configuration du château si chaotique qu’il était très facile de se perdre. De ce fait, ils allaient un peu au hasard.
« Il faut mettre fin à cela », pensait Linley tout en marchant.
À cause du brouillard, ils ne pouvaient pas prévoir ce qui pouvait surgir à tout moment devant eux.
– « Halte! » Entendirent-ils soudain. « Fuyez mes frères! »
Des bruits chaotiques résonnèrent partout dans le château, laissant les quelques soixante Dieux abasourdis.
Le visage de Linley s’éclaira et il étendit aussitôt son sens divin sur les quarante ou cinquante personnes qui se trouvaient à l’avant :
– « Il faut fuir », dit-il, « et nous séparer de manière à ce que les habitants du château ne puissent nous prendre tous ensemble! » Puis il s’écria d’une voix forte :
– « Fuyons, mes frères! »
Comme s’ils avaient été entraînés ensemble, tous les Dieux se précipitèrent vers les salles voisines, s’enfoncèrent dans la brume ou dans les différents passages…
En un clin d’œil, tous disparurent.
Crompton et ses deux sbires en restèrent cois.
– « Qui poursuivons-nous ? » Demanda-t-il en regardant les deux autres Démons.
– « Le vent! » Répondit l’un d’entre eux, agacé.