Roland prit une gorgée de thé et annonça :
– « En outre, j’ai l’intention de mettre en place un système d’éducation primaire à la Forteresse de Longsong. Ce projet sera pour vous un examen dont l’issue décidera si je vous garde comme administrateur ou non. »
En entendant le mot “examen”, les oreilles de Petrov se dressèrent :
– « Un Système d’éducation primaire ? »
– « Oui », acquiesça Roland avec un sourire. « Maintenant que l’église a été détruite, ses forces réduites de moitiés et le Souverain Sacrificateur tué, le moment est venu de commencer à combattre les positions idéologiques. »
Le Prince ne s’attendait pas à pouvoir transformer tous les croyants qui rencontraient ses idées en travailleurs potentiels. Il espérait seulement affaiblir davantage l’influence de l’Église. Si jamais la Cité Sainte voulait se mêler des affaires de la Forteresse, Roland avait envisagé plusieurs moyens de les éloigner. Il ne fallait surtout pas qu’ils puissent envisager de construire une nouvelle église en ces lieux.
– « L’éducation primaire devra être accessible à tous les résidents de la Forteresse de Longsong âgés de moins de quarante ans, qu’ils soient hommes ou femmes. La formation inclura la lecture et l’écriture, quelques bases de calcul, la diffusion des connaissances naturelles et l’éducation idéologique. »
Roland agita la main pour rejeter toute question de la part de son interlocuteur : « Rassurez-vous », reprit-il, « le coût de la formation sera déduit de la taxe payée à Border Town. Dès le mois prochain, vous ne payerez plus que 20% de taxe. Les 10% restants serviront à couvrir les frais d’éducation. Avec cette somme, vous pourrez engager quelques érudits de la Cité du Roi, des nobles locaux, des chevaliers ou des écuyers, mais ces gens ne vous coûteront pas une telle somme. 10% de votre taxe représentent au moins 1000 Royals d’or, aussi devrez faire beaucoup plus que simplement embaucher des gens. »
Petrov réfléchit un instant et demanda :
– « Votre Altesse, suggérez-vous que je devrais utiliser cet argent pour motiver les gens du peuple à suivre les cours d’éducation ? »
« Ce garçon a l’esprit vif », pensa Roland. Il se mit à rire :
– « Tout à fait. À l’exception des enfants, la plupart des gens doivent gagner leur vie durant la journée, c’est pourquoi les cours qui leur sont destinés doivent avoir lieu le soir afin de leur permettre d’effectuer leur travail le jour. Mais ces personnes, qui n’ont pas arrêté de la journée, n’ont aucune envie de venir pour entendre les autres leur casser les pieds au lieu de se reposer, encore moins faire usage de leur cerveau pour apprendre à lire et à écrire. »
« Pour cette raison, vous devrez utiliser divers moyens pour les motiver à suivre ces cours. Vous pouvez par exemple leur offrir un repas contenant de la viande, ou bien les récompenser financièrement s’ils parviennent à accélérer le processus d’apprentissage et ainsi de suite. Il est également important que la salle de classe soit spacieuse et lumineuse. » Il marqua une pause : « En bref, il vous faudra user de tous les moyens à votre disposition pour généraliser la participation aux cours et y inciter tous les habitants de la Forteresse. Comme je vous l’ai dit, ce projet est également l’occasion de faire vos preuves : d’ici un an, je veux qu’au moins la moitié de la population soit alphabétisée. »
– « Mais Votre Altesse Royale… » Petrov hésita. « Les érudits ou les nobles n’ont aucune expérience de base pour enseigner aux gens du peuple la lecture et l’écriture. À plus forte raison la connaissance naturelle ou l’éducation… Idéologique », dit-il en reprenant le parchemin pour citer ces derniers termes compliqués. « Si moi-même j’ai du mal de comprendre ces mots, j’ai bien peur que vous n’obteniez jamais le résultat attendu si nous employons ce genre de personnes. »
– « Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà pris tous ces détails en considération », répondit Roland. « Je vous enverrai quelques fonctionnaires appartenant à l’Hôtel de Ville de Border Town pour vous aider dans la réalisation de ce projet. En outre, je vous fournirai également tous les manuels nécessaires à l’enseignement. Ces personnes d’expérience formeront le personnel que vous allez recruter à l’art de l’enseignement et ensuite seulement ils seront aptes à faire la classe aux résidents. Lorsqu’ils seront sur place, vous verrez avec eux pour régler les détails spécifiques. »
De cette façon, si Petrov voulait garder le contrôle sur la Forteresse de Longsong, il serait contraint de travailler de concert avec le personnel du Prince. Et en plaçant ses aides à des postes clés au sein du Ministère de l’Education, Roland serait immédiatement averti de tout ce qui parvient ou se passe à la Forteresse.
Constatant que Petrov n’exprimait aucune objection, le Prince exposa ensuite son dernier projet :
– « Enfin, je prévois de faire construire une route entre la Forteresse et Border Town afin de réduire la durée du trajet séparant ces deux villes, tant pour les piétons que pour les caravanes. »
– « Votre Altesse Royale, n’en avons-nous pas déjà une ? » Demanda Petrov, surpris.
« Un chemin de terre créé par des piétons à force de marcher peut-il être considéré comme une route ? Cette voie fait moins de deux mètres de large, lorsqu’il pleut, elle est pleine de boue. Avec toutes ses ornières, elle ne sera jamais praticable pour des chariots et carrosses qui sont beaucoup plus rapides », pensait le Prince.
Il secoua la tête :
– « Je veux construire une route de la largeur de deux attelages. Une route bien droite et plate, qui ne deviendra pas un lac par temps de pluie. Une route comme celle que j’ai faite construire à Border Town. »
– « Vous voulez dire une route de pierre ? » demanda le Duc par intérim, quelque peu surpris, « Le coût de construction est plutôt élevé. Il faut d’abord faire tailler les pierres et ensuite le maçon devra choisir celles dont la taille permet l’assemblage… Construire une route de pierres jusqu’à Border Town vous coûterait au moins cinq mille Royals d’or et, avec tout le respect que je vous dois, Votre Altesse, nous n’aurons jamais assez d’argent pour ce projet si nous n’augmentons pas les taxes. »
– « La Forteresse n’aura à se préoccuper que de fournir la main-d’œuvre », répondit Le Prince sans ambages : « Vous allez publier un avis de recrutement dans tout le Territoire Occidental, pas seulement à la Forteresse mais également sur toutes les terres appartenant à la noblesse. J’offre six Royals d’argent par mois. Avec un pareil salaire, m’est avis que les candidats ne manqueront pas. »
– « C’est un salaire plutôt élevé pour un ouvrier » fit remarquer Petrov en hochant la tête. « Puis-je savoir combien de personnes vous souhaitez engager ? »
– « Au moins deux mille », répondit Roland.
« Il est de la plus haute importance de construire une route de grande qualité entre la Forteresse et Border Town », pensait le Prince. « Ceci non seulement facilitera le commerce entre ces deux territoires, c’est également une condition indispensable au déploiement rapide des forces armées. Si le trajet pose problème, même si l’on parvient à m’avertir au plus vite d’une attaque contre la forteresse, il me faudra trois jours pour me rendre sur place et d’ici là, la bannière de l’ennemi flottera déjà au sommet de la plus haute tour. »
– « Je comprends », dit Petrov.
– « À présent, vous voilà occupé pour un moment. Pour ma part, je ne vais pas tarder à rentrer à Border Town. Je compte sur vous pour me faire du bon travail, “Mr. L’Ambassadeur”, ne me faites pas faux bond. »
– « Que comptez-vous faire des détenus, Votre Altesse ? » Demanda Petrov après un moment de silence.
Pour la première fois, Roland réfléchit un instant avant de répondre :
– « Gardez les enfermés, de toute façon, ils ne vont pas tarder à mourir. »
Le Prince monta sur le “Little Town” en vue du voyage de retour.
– « Vous semblez préoccupé », fit remarquer Rossingol qui venait d’apparaître près de lui. « Est-ce à cause de ces hommes du peuple ? »
– « Tout ceci est la faute de Timothy », soupira Roland. « Si ces hommes n’avaient pas pris ces pilules, jamais ils ne se seraient comportés comme des larbins et ne seraient pas aujourd’hui condamnés à mourir seuls en terre étrangère. »
– « Vous n’y êtes pour rien », dit Rossignol en posant sa main sur son bras.
– « Évidemment », répondit Roland sans hésitation, « Si je ne les avais pas arrêtés, Border Town aurait été victime de la soif de pouvoir de Timothy. Quant à l’Église qui a fabriqué ces pilules, elle est tout aussi coupable. »
– « C’est la raison pour laquelle vous allez l’anéantir et mettre fin aux conflits, et que les gens cessent de s’entretuer pour des raisons absurdes, n’est-ce pas ? » Demanda Rossignol avec un sourire. « Qu’il s’agisse de personnes normales ou de sorcières, tous mèneront une vie heureuse sous votre règne. »
Roland regarda Rossignol dont les yeux brillaient et hocha doucement la tête :
– « Je vous en fais la promesse. »