– « Vraiment ? » Fit Linley, ému. Mais lorsqu’il vit l’expression de Beyrut qui le regardait, un léger sourire aux lèvres, il comprit. « Essayeriez-vous de me dire qu’il vaut mieux que j’évite d’affronter des Divinités d’un niveau supérieur au mien ? »
Beyrut caressa sa barbe en souriant :
– « C’est exact. »
Linley se sentit découragé. Il n’était vraiment pas certain d’être l’un de ces Demi Dieux exceptionnels dont parlait le sage, ni même que son adversaire soit un Dieu de faible niveau.
Si, en théorie, un Demi Dieu pouvait s’avérer capable de tuer un Dieu, les chances étaient très faibles, à moins que celui-ci ne soit blessé et au seuil de la mort.
Beyrut se leva et se dirigea vers la sortie.
La porte du bureau s’ouvrit d’elle-même et le vent nocturne s’engouffra dans la pièce, faisant voleter la tunique du maître.
Il parut hésiter puis se tourna vers Linley :
« Il y a des choses que j’aurais aimé vous dire lorsque vous avez gagné en puissance et comme je ne peux pas prédire si vous et Bébé resterez sur le continent Yulan, je préfère vous les dire tout de suite. Cela vous découragera peut-être mais au moins, vous ne prendrez pas la mauvaise direction. »
Linley se leva d’un bond.
Jamais il n’avait craint d’emprunter des chemins difficiles et depuis son plus jeune âge, il ne se souvenait pas avoir été découragé.
– « Parlez, je vous en prie, Seigneur Beyrut », dit-il respectueusement.
Ce dernier sourit :
– « Vous savez sans doute ce qui est requis pour devenir un Dieu Supérieur. »
– « Oui », acquiesça Linley. « Connaître tous les mystères que renferme une Loi donnée. »
« C’est exact. Lorsque vous vous serez fait une idée complète de tous les mystères, alors seulement vous pourrez prétendre au rang de Dieu Supérieur. Cependant, chaque Loi Élémentaire forme un tout, un peu comme vos mystères “Rapidité” et “Lenteur” lorsqu’ils fusionnent. Si une loi élémentaire renferme neuf profonds mystères, alors… »
Beyrut fixait Linley, les yeux brillants. « Vous pouvez les faire fusionner par deux, voire par trois…. En fait, tous les neuf peuvent fusionner en un. »
Tous ? Linley était sidéré.
– « Il est déjà très difficile de comprendre les neuf mystères profonds, alors que dire de réussir à les faire fusionner. »
– « La véritable voie de l’entraînement n’est pas nécessairement “plus on en sait mieux c’est” lorsqu’il s’agit de mieux comprendre les Lois. Ce serait plutôt : “plus on fait fusionner de mystères, mieux c’est”. Prenez pour exemple les aspects Rapidité et Lenteur du Vent, qui sont tous deux des mystères de niveau inférieur. Lorsque vous les fusionnez en Vérités Profondes de la Vélocité, vous obtenez un mystère de niveau supérieur. Donc si vous parvenez à faire fusionner trois de bas niveau, le pouvoir obtenu surpassera les mystères de rang supérieur. »
Les yeux de Linley brillaient.
« Lorsque vous serez en mesure de faire fusionner les neuf mystères d’une Loi en un, cela voudra dire que vous avez compris cette Loi dans son ensemble! C’est le plus haut niveau que puisse atteindre un Dieu Supérieur », expliqua Beyrut en changeant d’attitude.
Linley soupira.
Si le fait de découvrir les neuf mystères profonds pour devenir un Dieu Supérieur était loin d’être un exploit, le fait de tous les fusionner en un, pour le coup, en était un.
– « Neuf mystères en un ? » Murmura-t-il. « Seigneur Beyrut, combien y’a-t-il d’experts de ce niveau dans tous les plans de l’univers ? »
– « Combien ? » Beyrut se mit à rire. « Sur dix milliards de Divinités, une seule deviendra un Dieu Supérieur mais j’ignore totalement combien d’invincibles sortiront parmi ceux-ci. Je puis seulement vous dire que dans l’univers infini, le nombre d’experts de ce niveau peut être compté sur les doigts d’une main! »
– « Vraiment ? » Linley frémit à cette pensée.
L’univers existait depuis si longtemps que le nombre de Divinités produites par chaque plan d’existence était étonnamment élevé. Il était impossible de les dénombrer, surtout ceux des Plans Supérieurs et voilà que les Dieux Supérieurs parfaits se comptaient sur les doigts d’une main ?!
– « Seigneur Beyrut, avez-vous rencontré des experts de ce type à la Prison Planaire de Gebados ? » Demanda-t-il, curieux. « J’ai entendu dire qu’il y avait là-bas cinq puissants Rois. »
– « Aucun », répondit Beyrut. « Absolument aucun! Les Rois eux même n’ont réussi à faire fusionner que quelques-uns des mystères contenus dans leur Loi. Il y a fort peu de chances qu’un expert exemplaire fasse son apparition sur l’un des plans d’existence. »
– « Vous en êtes certain ? » Demanda Linley, un peu surpris.
Ce qui l’étonnait n’était pas que les cinq Rois eux-mêmes n’aient pas atteint la perfection, c’était plutôt de constater à quel point Beyrut semblait sûr de lui. Avait-il la capacité de connaître la force des gens ?
– « Évidemment! » Répondit ce dernier en souriant. « Les Souverains eux-même se disputeraient le droit de proposer à un Dieu Supérieur ayant réussi à faire fusionner tous les mystères d’une Loi. Ces experts sont le sommet de la Divinité, la crème des Dieux Supérieurs. À eux seuls, ils viendraient à bout de centaine, voire d’un millier d’autres Dieux Supérieurs. »
Linley frémit à la pensée de ces présences invincibles qui se tenaient au sommet de la pyramide des Dieux Supérieurs.
– « Proposer ? Un Souverain ? Sont-ils donc si puissants que même les Souverains les craignent ? »
« Vous ne comprenez pas », répondit Beyrut en souriant. « Certes, les Souverains sont puissants, bien plus puissants que les Dieux Supérieurs mais…Vous savez sans doute que dans l’univers, la grande majorité des plans, y compris celui sur lequel se trouve notre continent Yulan, sont des plans matériels. Ils sont la base de l’univers.
« Or les Souverains ne peuvent pas se manifester sans précaution sur l’un de ces plans, car leur présence divine est telle qu’ils le détruiraient! » Expliqua gravement Beyrut.
« Or ce sont les Lois de l’Univers qui ont créé ces plans et nul n’a le droit de les détruire. Les Quatre Dieux Suprêmes sont très stricts sur ce point. Si cela se produisait, le coupable, fut-il un Souverain, serait réduit en cendres. Non seulement les Souverains n’osent pas, mais ils ne peuvent pas entrer dans un plan matériel c’est pourquoi, après eux, ces Dieux Supérieurs dont nous parlons sont considérés comme invincibles. S’ils décident de fuir vers un plan matériel les Souverains ne pourront rien leur faire mais si ces derniers parviennent à en recruter un, celui-ci pourra accomplir beaucoup de choses qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes. »
Linley commençait à comprendre.
– « Mais bien sûr, vous en êtes encore très loin », conclut Beyrut en riant. « Si je vous dis tout cela, c’est dans l’espoir que vous puissiez, en vous entraînant, ressentir les similarités et la capacité à fusionner deux mystères, puis d’un troisième… votre seul espoir est de vous entraîner de cette manière car il est beaucoup trop difficile de comprendre d’abord tous les mystères et de les faire fusionner d’un coup », expliqua-t-il d’un ton sérieux.
Un peu comme lorsqu’on augmente lentement la température d’une marmite pour finir par cuire une grenouille vivante sans même qu’elle ne s’en aperçoive.
Linley hocha la tête, admiratif : « Avant de pouvoir faire fusionner les aspects Rapidité et Lenteur du Vent, j’ai dû percevoir leurs similitudes. C’est déjà très difficile de faire fusionner deux mystères alors trois, voire quatre… » Cette seule pensée le faisait frissonner.
Faire fusionner tous les mystères d’une Loi lui semblait plus difficile encore que de s’élever jusqu’aux cieux.
– « Les génies de ce type sont très prisés par les Souverains », reprit Beyrut qui, en sa qualité d’émissaire d’un Souverain, connaissait de nombreux secrets. « Mais ils sont trop peu nombreux alors qu’il y a sept de chaque affinité, soit 49 pour les Sept Lois Élémentaires. Ils doivent donc s’affronter mutuellement dans le seul but d’acquérir les services d’un Dieu Supérieur. »
Linley en resta sans voix. « On doit être fier de soi lorsqu’on atteint un tel niveau », pensa-t-il. « Ce sont les seuls vrais experts de haut rang. »
– « Si vous commencez par apprendre à ressentir dès le départ la capacité à fusionner de deux mystères, vous accomplirez des choses formidables », dit Beyrut. « Moi-même, je ne savais pas toutes ces choses et lorsque, devenu Dieu Supérieur, j’ai voulu réaliser la fusion, c’était trop tard. Il est beaucoup trop difficile de faire fusionner neuf mystères entre eux simultanément. »
Linley se sentit reconnaissant envers Beyrut de lui ouvrir une nouvelle voie, même s’il ne lui avait donné que de légères orientations. Si l’on a deux chemins devant soi pour parvenir à un point donné et qu’on s’engage sur le mauvais, on constate à l’arrivée qu’on s’est terriblement éloigné du but. S’il continuait ainsi, une fois atteint le rang de Dieu Supérieur, il serait comme Beyrut, incapable de réaliser la fusion.
– « Bon, je vous quitte à présent », dit ce dernier en souriant. « C’est votre chemin, vous seul pouvez le parcourir. »
– « Merci, Seigneur Beyrut » dit Linley en s’inclinant avec gratitude.
Il le regarda partir, le cœur brûlant. Lorsqu’il était jeune, le Dieu de la Guerre était pour lui invincible et voilà que se dressait dans son esprit un nouveau sommet : celui de ces invincibles Dieux Supérieurs qui avaient réussi à faire fusionner tous les mystères d’une Loi en un.
C’était désormais son nouvel objectif.
Le temps passa en un éclair et arriva l’année 10046, une année très enrichissante pour Linley qui, fort de son nouveau but, s’était remis à l’entraînement dans le plus grand sérieux. Le Château du Sang de Dragon était en constante effervescence avec toutes les Divinités qui s’y réunissaient. Quant au Seigneur Beyrut, il était depuis longtemps reparti pour la Forêt des Ténèbres en compagnie de Harry, l’aîné des trois Rats des Rats Pourpres et Or tandis qu’Hart et Harvey préféraient rester au château. Comme ils aimaient les endroits bruyants et vivants, c’est avec joie que Linley les avait accueillis.
L’automne tirait à sa fin.
Le palais impérial de l’Empire O’Brien était si spacieux qu’outre la résidence d’Adkins et celle des quatre Dieux, Ojwin et les autres bénéficiaient eux aussi de leur propre domaine privé.
Parmi les gens au service d’Adkins, Barnas, qui était extrêmement puissant, arrivait en tête et avait toute sa confiance. Il était occupé à peindre sur une longue feuille de papier lorsqu’Ojwin, Hanbritt et un homme aux cheveux d’or s’approchèrent doucement.
Barnas, en effet, détenait un artefact Divin de niveau Dieu Supérieur, cadeau d’Adkins. Même en unissant leurs forces, Ojwin et les deux autres ne pourraient rien contre lui.
– « Qu’y a-t-il ? Je vous écoute! » Dit Barnas sans cesser de peindre.
Comme Hanbritt et Ojwin n’osaient pas dire un mot, l’homme aux cheveux d’or prit la parole :
– « M. Barnas, vous savez qu’Ojwin a perdu son fils qu’il aimait énormément et aussi son clone divin, détruit par l’ennemi. Cette humiliation est rude pour lui mais jamais il n’en a parlé au Seigneur Adkins car il ne voulait pas l’ennuyer. Ces derniers temps, j’ai pu me rendre compte que frère Ojwin était un ami méritant aussi j’ai pris la décision de l’accompagner demain et de l’aider à se venger. »
– « Gatenby… » Soupira Barnas en posant son pinceau.
S’il méprisait Hanbritt et n’aimait pas Ojwin, dont il pensait qu’il manigançait trop, en revanche il appréciait Gatenby.
Barnas regarda Ojwin.
– « M. Barnas », dit ce dernier d’un ton humble.
Il avait fait beaucoup d’efforts durant deux ans dans l’intention de convaincre Gatenby de l’aider.
– « Je suis au courant de vos affaires. Mais si jamais vous échouez encore, vous risquez de déshonorez le Seigneur Adkins. J’irai donc avec vous et nous déracinerons le Château du sang de Dragon. »
Ojwin se sentit fou de joie. À ses yeux, Barnas, avec son artefact, était bien plus puissant que Tarosse.
– « Je veux me rendre compte par moi-même de la puissance de ce Dieu. »