Lehman et ses chevaliers chevauchaient dans les rues de la Forteresse de Longsong.

Depuis la fin des combats, les habitants de la ville se terraient dans leurs maisons, portes closes. Les rues étaient désertes, froides et sans joie et on ne voyait pas âme qui vive.

– « J’espère, Sir Lehman, que  votre  bras  va  mieux », dit  Sir  Levin, un  Chevalier  surnommé ײBouclierײ.

– « Ce n’est pas un problème », répondit Lehman Hawes en haussant les épaules, « du moment que je peux encore le bouger. »

Cependant, le petit mouvement qu’il fit suffit à le faire grimacer.

La nuit passée, l’opération visant à prendre d’assaut la porte s’était passée comme prévu. Les gardes postés à la Porte Est, qui n’étaient qu’au nombre de vingt-cinq, ne s’attendaient absolument pas à être attaqués de l’intérieur.  

Ils avaient eu le temps de sonner la corne, cependant il fallait un quart d’heure aux renforts pour se rendre sur place, aussi les quinze mercenaires, renforcés par les pilules, eurent largement le temps de parvenir au sommet de la porte. Ils tuèrent les gardes les uns après les autres et Lehman, aidé de ses Chevalier, put alors ouvrir.

Mais dans l’obscurité, il n’avait pas remarqué une porte latérale située dans la muraille. Deux chevaliers en sortirent et l’un d’eux, armé d’un marteau, se jeta littéralement sur lui.

Afin de réduire l’impact lié au mouvement du marteau, il fallait encaisser le coup avant qu’il n’atteigne sa taille. Dans l’urgence, Lehman utilisa son bras en guise de parade tandis que de sa main libre il tirait son épée et l’enfonçait dans le ventre du garde. Sous l’effet de ce coup fatal, le marteau perdit de sa puissance, cependant il parvint tout de même à laisser une marque bien visible sur l’armure de Lehman, à l’endroit de son bras.

Le Chevalier ne ressentit pas tout de suite la douleur, mais après avoir pris le contrôle de la porte, il remarqua qu’il avait quelque difficulté à lever le bras. Il retira son armure et s’aperçut que son avant-bras était terriblement enflé.

– « J’espère que nous trouverons une herbe analgésique dans l’église », déclara Levin. « Ces gens-là préparent souvent des choses étranges. »

– « Comme ces pilules, par exemple », ajouta Duane, un autre chevalier qui se trouvait à proximité.

Bientôt, les chevaliers atteignirent la porte de l’église où une troupe d’une centaine de miliciens les attendait, le regard brûlant d’envie.

– « Distribuez-leur des pilules », ordonna Lehman en descendant de cheval.

Il s’assura que tous avaient pris la drogue, puis, suivi de ses hommes, se retourna et gravit l’escalier qui menait à la salle principale.

– « Halte », s’écrièrent deux gardes. « Cet endroit est une Terre Sacrée. Les armes sont strictement prohibées en ces lieux. »

Levin sortit son épée et la prit à  deux  mains comme pour la tendre au garde.

– « Nous en sommes conscients, je dois vous remettre ceci, c’est exact ? »

Alors que le croyant tendait les mains, prêt à recevoir l’arme, Levin, par un coup de maître, saisit la poignée de l’épée en donna un rapide coup tranchant vers le haut. Les deux mains du garde tombèrent sur le sol.

Avant même que le croyant n’ait le temps de pousser un cri de douleur, le Chevalier l’avait déjà transpercé de la pointe de son épée.

Levin avait peut-être pour surnom ײBouclierײ, cependant la rapidité de ses réflexes à l’épée était sans pareille.

L’imitant, Duane trancha la gorge du second garde ecclésiastique et Lehman ouvrit la porte d’un coup de pied.  Froidement, il pénétra dans la salle.

– « Qui êtes-vous ? », s’écria un prêtre d’âge moyen vêtu de la traditionnelle robe bleue et blanche. Il s’approcha, nullement impressionné par l’épée sanglante pointée vers lui : « Impertinents ! Vous osez vous introduire ainsi dans une église! Mes enfants, emparez-vous de ces hommes! »

Lehman ricana. A cette heure,  la plupart des gens étaient chez eux. Il n’y avait donc pas plus de vingt ou trente croyants dans cette église. Face à ses chevaliers rompus au combat, toute tentative de rébellion de leur part serait une cause perdue d’avance.

Sans attendre ses ordres, Duane tira son épée avec un rire diabolique et abattit un croyant qui se ruait sur eux. D’autres se joignirent aussitôt à la bataille et l’église devint le théâtre d’un véritable chaos.

À cette vue, le prêtre s’écria :

– « Mes enfants, prenez vite la sainte médecine afin que Dieu vous donne le pouvoir de vaincre l’assaillant! »

« Sa Majesté Timothy avait vu juste », pensa Lehman, « ils avaient vraiment des pilules stockées ici! »

Il vit en effet les yeux des croyants rougir et des veines bleues saillir de leurs visages. Cette drogue permettait à toute personne normale de surpasser les limites de force et de rapidité du corps humain. En outre, plus le terrain était réduit, plus il serait difficile d’en venir à bout.

« Malheureusement pour eux, ils ne sont pas les seuls à posséder cette drogue », pensa-t-il, « Ils vont pouvoir apprécier sa puissance! »

– « Sortez vite! » Cria-t-il, « Laissez les miliciens les affronter! »

À ce cri, les miliciens, qui étaient restés en retrait, ne se firent pas prier pour avaler leurs deux pilules colorées et se précipitèrent sur les croyants.  

Devant ce spectacle, le prêtre devint blême :

– « Comment se fait-il que vous soyez en possession de la… !»

– « “Sainte Médecine?” Son épée à la main, Lehman contourna la mêlée et s’approcha de son interlocuteur : « C’est votre Église qui nous en a fait cadeau, et si vous ne vous étiez pas évertués à nous faire obstacle, Sa Majesté Timothy aurait depuis longtemps unifié le Royaume de Graycastle. »

– « Sa Majesté ? » Le prêtre ouvrit de grands yeux : « Êtes-vous Timo… »

L’épée du Chevalier venait de lui transpercer la poitrine, pénétrant son cœur et ses poumons.

Cette lutte inégale prit rapidement fin. Les quelques vingt croyants gisaient morts sur le sol. Les effets de la drogue commençant à s’estomper, les soldats haletaient. Ils furent si soulagés de pouvoir enfin se reposer qu’ils s’assirent à même le sol, indifférents au sang qui ruisselait.  

Lehman lui aussi sentit son bras devenir lourd, son dernier coup d’épée lui avait causé une douleur déchirante. Le Chevalier était parfois tenté d’avaler lui aussi cette pilule noire afin de ne plus ressentir la fatigue, mais à chaque fois qu’il constatait les effets désastreux de cette drogue, il oubliait aussitôt cette idée.

Il connaissait parfaitement les effets causés par ces deux pilules vendues par l’église. Chez une personne en bonne santé, l’efficacité ne durait que le temps de trois prises. La première fois, cela durait un quart d’heure, et les effets allaient décroissants au fuir à mesure des prises. Cette drogue occasionnait de plus une forte dépendance et si une personne la consommait sur une longue période, son corps s’affaiblirait de jour en jour jusqu’à la mort.

Profitant de cette caractéristique, il fit prendre une pilule à chacun de ses soldats afin d’unifier la milice, les forçant ainsi à obéir à ses ordres. Cette drogue était capable de transformer jusqu’au plus faible fermier en une bête sanguinaire. Les cents soldats ayant déjà pris deux fois cette pilule, ils ne pourraient plus la prendre qu’une seule fois.

Cependant, il s’était bien gardé de leur expliquer que même s’ils continuaient à la prendre par la suite, cela ne ferait que ralentir le processus. Il n’y avait aucun moyen d’inverser les dommages. En d’autres termes, prendre ne serait-ce qu’une fois cette pilule revenait à mettre le premier pied dans la tombe.

Nul doute que la médecine secrète à deux couleurs était liée à un complot au sein de l’Église. Apparemment, Sa Majesté Timothy en était conscient, c’est la raison pour laquelle il avait interdit à tous ses Chevaliers de la prendre. Cependant, c’était également une arme qu’il pouvait, ou plutôt qu’il devait, utiliser pour unifier le royaume. Sans elle, jamais Sa Majesté ne pourrait avoir le dessus sur Garcia qui l’utilisait aussi.

À l’époque où Sa Majesté avait abordé le sujet pour la première fois avec lui, Lehman eu peine à le croire. À ses yeux, il était inconcevable que l’Eglise pût soutenir simultanément deux membres de la famille royale qui se faisaient concurrence pour le trône. Mais après une série d’événements imprévus, il avait été contraint de se rallier au jugement de Sa Majesté. Et à présent qu’il avait pu constater que l’Église établie sur  le Territoire occidental était elle aussi en possession des pilules, cela ne faisait plus aucun doute pour lui.  L’Église n’avait jamais eu l’intention de soutenir aucun des Princes ou Princesses dans leur lutte pour le trône. Non, ce qu’ils voulaient, c’était régner en maîtres sur la totalité du Royaume de Graycastle.

– « Nous avons trouvé ces pilules au sous-sol, il y en a quatre grandes boîtes et chacune d’entre elles en contient des milliers », dit Levin avec enthousiasme en revenant de son pillage.  « J’ai également trouvé des Royals d’or, des bijoux et bon nombre d’autres choses. Ce sont certainement des dons offerts par les fidèles. »

– « Emportez ce qui peut l’être et brûlez le reste », ordonna Lehman. « Si quelqu’un vous demande quoi que ce soit, répondez que Roland Wimbledon a tenté une rébellion. Nous n’avons fait que venir au secours de l’Église. »

« Il faut absolument que nous puissions poursuivre nos relations avec l’Église si nous voulons pouvoir nous procurer leur drogue secrète. Nous ne pouvons couper totalement les ponts avec elle. Mieux vaut alors en faire accuser le Prince, de toute façon, c’est déjà un homme mort. »

Afin d’éviter tout soupçon de la part de l’Église, Sa Majesté elle-même était restée dans le Nord, prétendant se conformer à leur fausse instruction. Il avait secrètement envoyé un petit groupe de Chevaliers chargés de recruter le plus grand nombre possible de miliciens pour s’emparer du Territoire de l’Ouest.

« Actuellement, toutes les forces militaires de l’Église sont concentrées dans le Royaume de Wolfsheart. Il nous faut absolument unifier au plus vite le Royaume de Graycastle, c’est le seul moyen pour nous d’être suffisamment forts pour résister à l’assaut de l’Église. Sa Majesté Timothy est d’avis que celle-ci ne tardera pas à attaquer notre royaume, ce n’est qu’une question de temps. Avant que cela n’arrive, il nous faut absolument nous procurer le plus de pilules possibles. Le Roi a également demandé à l’Association des Alchimistes de sa Cité, de faire des recherches sur les ingrédients contenus dans cette drogue afin de pouvoir la reproduire. »

« Maintenant que nous sommes en possession des pilules, il ne nous reste plus qu’à passer à la phase suivante : éliminer Roland Wimbledon. »