Linley, Fain, Harry et le Roi des Rats Pourpre et Or volaient à très grande vitesse en ligne droite. Ils eurent tôt fait de quitter la Forêt des Ténèbres et de franchir les frontières de l’Empire Baruch.

– « Volez un peu plus vite, Harry », demanda Linley, visiblement nerveux.  « Je crains que ces deux hommes en robe d’argent ne fassent un massacre avant notre arrivée. »

En effet, une ville entière avait été massacrée et le pire n’était pas les morts mais la terreur que cet évènement amenait dans le cœur des gens du peuple.

Si la mort d’un million de personnes au combat n’effrayait pas vraiment les citoyens d’un empire, en revanche, cinq cent mille décès dans une seule ville et sans raison apparente, cela dépassait l’entendement.

– « Ne nous pressons pas, tout va bien », répondit Harry.  

– « Harry, volez un peu plus vite. Je sais combien vous êtes rapide », renchérit Bébé.

– « Très bien », fit Harry, résigné, en jetant un coup d’œil à la Créature Magique.  

Sur ce, le Roi des Rat Pourpre et Or accéléra à une vitesse spectaculaire. Linley et Fain s’empressèrent de le rattraper et tels des rayons de lumière, les trois experts filèrent dans le ciel nocturne, survolant ville après ville.  

– « Ne vous inquiétez pas, Linley », dit Harry, totalement confiant. « Il est à peine neuf heures du soir. À cette heure, beaucoup de gens sont encore à l’extérieur, en train de boire et de manger. Ils vont certainement attendre que la nuit soit avancée avant d’agir. »  

Linley était si inquiet quant à ce problème qu’il n’avait même pas eu l’occasion d’y réfléchir.

En entendant les propos d’Harry, il se remémora soudain ce que lui avait dit Wharton au sujet de la “ville fantôme”.  Presque tous les habitants de la Cité du Lion Bleu avaient été tués chez eux. Les morts trouvés dans la rue pouvaient se compter sur les doigts d’une main.

La plupart des restaurants ne fermant leurs portes qu’après minuit, Linley se sentit aussitôt apaisé.

– « Vous dites, Harry, que ces hommes n’agiront sans doute que tard dans la nuit. N’avez-vous pas dit que ce sont ces mêmes experts qui ont attaqué les Dix-Huit Duchés du Nord ? Pourquoi, dans ce cas, ont-ils attaqué si tôt ? » Demanda Fain, perplexe.

– « Idiot! » répondit Harry, amusé, avec un rire sonore. « Les Dix-Huit Duchés du Nord sont parmi les endroits les plus froids du continent Yulan. Or, nous sommes en hiver. La nuit est si glaciale que si vous crachiez par terre, votre salive gèlerait avant de toucher le sol! »  

Linley se dit qu’il avait entièrement raison.  

« Par ce temps, la plupart des habitants préfèrent rester chez eux le soir près du poêle, en particulier dans les petites villes. Personne n’oserait sortir la nuit pour affronter le froid. Les rues sont désertes », soupira Harry. « Pensez-vous que dans de telles circonstances, ces hommes à la robe d’argent soient contraints d’attendre minuit avant d’agir ? »

Fain avait compris.

– « Nous y sommes presque. Plus qu’une centaine de kilomètres », s’écria soudain Harry, tout excité.  

Linley et Fain se sentirent aussitôt animés d’une légère envie de meurtre.

En effet, les “villes fantômes” découvertes au sein des Empires O’Brien et Baruch les avaient vraiment mis en colère, ces actes de sauvagerie reflétant un mépris évident pour les deux empires et leurs Saints.

– « Arrêtez-vous », dit soudain Harry.

Linley et Fain obtempérèrent aussitôt.  À quelques kilomètres de là, ils pouvaient apercevoir une petite ville encore toute éclairée où de nombreuses silhouettes se promenaient dans les rues. Tout semblait paisible.

Linley, qui n’osait pas utiliser son énergie spirituelle pour localiser les deux experts de crainte qu’ils ne le repèrent et s’enfuient, demanda aussitôt :

– « Savez-vous où se trouvent ces deux hommes en robe d’argent ? »

– « Vous ne le savez pas ? » Harry se mit à rire si fort que même ses moustaches se relevèrent. « Ils se trouvent à environ six kilomètres au sud, en pleine nature, visiblement en train de méditer. Ils attendent sans doute le moment de passer à l’action. »  

Linley et Fain regardèrent dans la direction indiquée, une région désolée et sauvage, et échangèrent un regard, devinant aussitôt l’intention de l’autre.

Sans hésiter, les deux Premiers Saints prirent une apparence floue et s’approchèrent discrètement du lieu où se tenaient les deux hommes. Quant à Bébé, qui ne voulait pas perturber l’offensive et avait toute confiance en Linley, il sauta de son épaule et les suivit aux côtés de Harry.

En effet, comment un expert qui avait vaincu une multitude de Démons à Lames des Abysses pouvait-il craindre ces hommes à la robe d’argent ?

Le vent soufflait dans les herbes sauvages qui se balançaient tandis que les deux experts, assis en posture de méditation, demeuraient totalement immobiles. Si quelqu’un s’approchait d’eux, à moins de prêter une attention particulière à leur environnement, ils auraient pu penser qu’il ne s’agissait que de deux blocs de pierre blanche.

Soudain, les deux hommes ouvrirent simultanément les yeux et scrutèrent les environ, le regard aiguisé comme des couteaux.

Se sachant découverts, Linley et Fain, qui se rapprochaient doucement, n’hésitèrent plus.

« Tuons-les! »

Ils accélérèrent autant qu’il était possible. Fain se transforma en un éclair déchirant le ciel tandis que Linley, atteignant les limites de sa vitesse, disparut dans la nuit noire. Il était devenu le vent, invisible et sans forme.  

Mais sitôt qu’ils s’étaient aperçus d’une présence ennemie, les deux hommes à la robe d’argent avaient immédiatement couvert les environs de leur énergie spirituelle, capable de déceler le moindre mouvement de leurs adversaires.  

« Qu’il est rapide! » Pensèrent les deux experts, stupéfaits de la vitesse à laquelle se déplaçait Linley, presque trois fois supérieure à celle de Fain qui était déjà terrifiante.

En un instant, il fut devant l’un des deux hommes qui, sans hésiter, prit l’apparence d’une traînée de lumière argentée et battit en retraite à une vitesse comparable à celle de Fain.

– « Crève! » Lui lança Linley avec un regard glacial.  Puis, tel un dieu devant un mortel, il donna un simple coup d’épée, faisant apparaître un Décapiteur Dimensionnel bleu-pâle. L’espace se fissura et se déchira sous l’attaque, et l’homme à la robe d’argent, qui n’avait aucune chance d’y échapper, se retrouva coupé en deux.  

D’un geste de la main, Linley fit apparaître une multitude de couteaux de vent extrêmement aiguisés, réduisit la tête de l’expert en un amas de chair et détruisit son âme.

Il ne lui avait fallu qu’un instant pour éliminer son ennemi!

À quelque distance de là retentit alors un énorme bruit de collision. Fain et le second expert se séparèrent et une onde d’énergie terrifiante éclata dans toutes les directions. Comme tranchée par des couteaux, une bonne partie de l’herbe environnante s’envola, formant un cercle net.

Linley fronça les sourcils. Tel le vent, il rejoignit en un instant l’homme à la robe d’argent.

Celui-ci voulut fuir, mais il était beaucoup plus lent que son adversaire. Avec une puissance énorme, la jambe droite de Linley s’abattit sur son dos, l’envoyant voler en direction de Fain.  

Saisissant l’opportunité, ce dernier fonça droit sur l’expert. Grièvement blessé, celui-ci poussa un rugissement furieux et envoya un grand coup de poing dans la poitrine de son adversaire.

Mais Fain, ignorant complètement l’attaque, lui envoya en retour un violent coup sur le crâne.

Il y eut un craquement sourd.

L’homme à la robe d’argent, qui avait enfoncé son poing dans la poitrine de Fain, retomba sur le sol, impuissant tandis que son adversaire, qui possédait une Perle de Vie, se rétablissait presqu’aussitôt.

Les deux Saints se rapprochèrent.

– « Vous êtes de plus en plus puissant, Linley », soupira Fain, étonné. « Sans vous, j’aurais sans doute dû faire appel à mon énergie spirituelle et utiliser mon attaque ultime. »  

Linley se mit à rire :

– « Allons voir qui sont ces deux experts. Leur robe d’argent les recouvre entièrement. »  

– « Entendu », répondit Fain qui, lui aussi, avait envie de savoir.  

Tous deux se posèrent près d’une moitié du corps de celui que Linley avait tué, écartèrent la longue robe d’argent et découvrirent avec stupéfaction qu’il était recouvert d’écailles blanches et serrées, comme celles d’un poisson.  

À coup sûr, celui-ci n’était pas humain.  

Sans hésiter, ils se dirigèrent vers la victime de Fain et firent de même. Son corps était de couleur métallique mais ses caractéristiques ressemblaient beaucoup à celles d’un homme.

« Lui non plus n’est pas humain », se dirent Linley et Fain, à présent certains qu’ils avaient vu juste.

Cette mystérieuse Divinité comme ses serviteurs venaient d’un autre plan.

Harry et Bébé, qui jusqu’ici étaient restés cachés le plus loin possible, les rejoignirent.

– « Hé Linley! Votre pouvoir s’est un peu amélioré », dit Harry en souriant. « Cependant, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer. »

À ces mots, les deux experts frémirent.

Une mauvaise nouvelle ?

– « Laquelle dois-je vous annoncer en premier ? » Demanda Harry, l’air aussi pervers qu’un diablotin.

– « La mauvaise d’abord », répondirent simultanément Fain et Linley.

– « Vous semblez plutôt bien vous accorder tous les deux », dit Harry. « Je vais donc vous le dire. Je vous ai menti le jour où je vous ai dit que la Divinité ne saurait jamais que vous avez tué ces hommes. A l’heure qu’il est, elle le sait. »

Les deux experts firent la grimace.  

Quoique puissants parmi les Saints, une Divinité aurait tôt fait de les piétiner.

– « Harry, vous… »

Linley ne trouvait plus ses mots.

– « Comment vous sentez-vous ? Furax ? Auriez-vous eu le courage de les tuer si je vous avais dit la vérité ? » Demanda Harry, visiblement satisfait de lui.

Bébé, quant à lui, était très mécontent.  

– « Vous oubliez la bonne nouvelle », s’empressa d’ajouter Harry, observant attentivement leurs visages. « Je ne vous ai pas menti en vous disant que la Divinité en question avait été grièvement blessée et était, de surcroît, trop occupée pour chercher à se venger. À votre avis, n’est-ce pas une bonne nouvelle ? »

Les deux experts hésitaient entre le rire et les larmes.  

– « Vous dites que la Divinité est très occupée actuellement. Mais pour combien de temps selon vous ? Lorsque sa mission sera terminée, n’aura-t-il pas tout le loisir de se mettre à notre recherche et de se venger ? » Demanda Linley.

Harry demeura un moment silencieux.

– « C’est difficile à dire », répondit-il enfin. « À mon avis, il lui faudra trois ou quatre ans. »

– « Un peu plus de quatre ans, j’espère », dit Fain.

En effet, cela faisait déjà près de six ans que le Dieu de la Guerre, le Grand Prêtre et les autres étaient partis pour la Nécropole des Dieux. Dans un peu plus de quatre ans, ils seraient sans doute revenus.

Soulagé, Linley soupira intérieurement. D’ici là, il devrait avoir atteint le niveau Divin.

– « Bien sûr, ce ne sont que des spéculations », ajouta Harry.

Voyant les regards pleins d’espoir de Linley et de Fain, il eut un sourire si large que ses petits yeux se plissèrent au point de ne plus être que de joyeuses fentes.

Pendant ce temps, dans la sombre pièce souterraine, son globe de cristal flottant devant lui, le personnage squelettique était toujours en posture de méditation. L’énergie brumeuse tourbillonnait encore, mais on aurait dit qu’il y avait davantage de gouttelettes d’argent au centre de celle-ci.  

« Encore deux morts ? » Pensa le vieil homme tandis que ses yeux s’éclairaient d’une vive lumière verte. Aussitôt, les images de Linley et de Fain apparurent dans son esprit.

Juste avant de mourir, les deux experts à la robe d’argent avaient eu le temps de voir les visages de leurs assaillants et les avaient immédiatement transmis mentalement au Grand Sorcier.  

Si lui-même ne connaissait pas personnellement Linley et Fain, d’autres si!

– « Avez-vous déjà vu ces deux hommes ? » Demanda le sorcier en transférant les images dans l’esprit de Yale.  

Ce dernier, qui était en train de faire une sieste, ouvrit brusquement les yeux.

– « L’homme aux longs cheveux bruns est Linley, un bon ami à moi, Grand Sorcier. Quant à l’autre, celui aux cheveux bleus et courts, je l’ai rencontré une fois, chez lui justement. Il s’appelle Fain et c’est le premier disciple du Dieu de la Guerre », répondit-il télépathiquement.