Zheng Tan attendit mais personne n’arrivait. Frustré, il gratta la porte. Pas la sienne, bien sûr, mais celle de Qu, de l’autre côté du couloir. Il glissa sa patte entre les barreaux de fer et se mit à gratter comme un fou la porte en bois qui se trouvait derrière.
Cet otaku de Qu Xiangyang était sur son ordinateur et jouait à des jeux vidéo, son casque sur ses oreilles. Il n’entendait pas le bruit dehors. Lorsqu’enfin il le remarqua, sa porte était déjà sévèrement abîmée.
Zheng Tan attendait depuis près d’une heure lorsque Yi Xin arriva, couvert de sueur.
L’étudiant était en pleine expérience lorsqu’il avait reçu l’appel de son mentor. Même si ce dernier lui avait dit de terminer d’abord son travail, il savait d’expérience combien le chat du patron était irascible.
Sitôt qu’il eut terminé, Yi Xin jeta sa blouse de labo et se rua sur la porte. Il sauta sur le vélo d’occasion qu’il avait récemment acheté et pédala aussi vite qu’il le pouvait tout en essayant de retirer le bouchon de sa bouteille d’eau.
Lorsqu’il arriva enfin au quatrième étage, il ne fut pas surpris de trouver le chat noir meurtrier en train de l’attendre. Le bruit des griffes sur le bois lui donna la chair de poule.
Il regarda la porte, puis fixa l’animal dans les yeux et lui expliqua rapidement les raisons de son retard. Il n’oublia pas de préciser qu’il avait reçu l’approbation de son patron.
Zheng Tan n’avait aucune envie de l’écouter bafouiller. Il courut au salon et alla chercher le sac avec lequel Papa Jiao avait l’habitude de le transporter lorsqu’il l’emmenait au Département de la Santé.
Yi Xin ne fut pas étonné des actions du félin. Il avait été si surpris la dernière fois qu’il était maintenant immunisé. Suivant les instructions du Professeur Jiao, le jeune homme ouvrit le sac.
Zheng Tan bondit dedans sans que l’on ait eu à lui dire et regarda Yi Xin avec insistance dans l’espoir de le pousser à s’activer.
Ne pas pouvoir parler était un sérieux inconvénient. Lui qui, auparavant, avait peu de sympathie pour les sourds et les muets savait à présent ce qu’ils pouvaient ressentir. Après tout, la majorité des gens ne pouvaient pas lire dans les pensées.
Yi Xin ne comprit pas le regard de Zheng. Il se contenta de suivre les ordres et descendit, emportant le chat dans son sac. Il arrivait au rez-de-chaussée lorsqu’il réalisa qu’il aurait pu laisser l’animal descendre seul les escaliers, tout simplement.
Tous deux se dirigèrent vers l’hôpital de l’université.
Malheureusement, même à vélo, il pouvait arriver que les choses se passent mal.
À peine avaient-ils quitté les quartiers Est de quelques mètres que Zheng Tan entendit un bruit métallique. Aussitôt, le vélo ralentit.
En entendant jurer Yi Xin, il jeta un coup d’œil depuis le panier. Tout avait l’air normal. Il regarda alors derrière eux. Là, en plein milieu de la route, se trouvait une chaîne cassée.
ײIl faut vraiment que ce vélo soit en mauvais état pour que la chaîne casse ? P*tain!ײ
Il aurait fallu attendre un bon moment la navette scolaire qui, de toute manière, s’arrêtait bien trop souvent. Zheng Tan n’avait pas le temps d’attendre. Prendre un taxi ? Quand y en aurait-il un pour traverser le campus ? Y aller à vélo ? À qui pourraient-ils bien en emprunter un ? Le félin charbonneux ne savait pas ce qu’il ferait si Yi Xin prenait un autre vélo et que celui-ci les lâche à mi-chemin de l’hôpital.
Il se rappela soudain avoir aperçu le scooter de Papa Jiao dans le hangar en descendant. Il faisait bien plus frais depuis quelque temps aussi, lorsque le climat le permettait, Papa Jiao se rendait à son travail au pas de gymnastique.
Yi Xin ne savait pas quoi faire. Il était accroupi à côté de son vélo lorsqu’il vit le chat noir sauter du panier.
– « Hé! Où vas-tu ? Attends! » Son anxiété accrût. Il pourrait toujours s’acheter un nouveau vélo, mais comment pourrait-il affronter son patron s’il venait à perdre son animal ?
Le jeune homme abandonna le véhicule à pédales sur le côté de la route et courut après le félin. De toute façon, ce n’était qu’un vélo d’occasion. La chaîne étant cassée, il n’avait plus aucune utilité. Personne ne le volerait, les seuls qui risquaient de le ramassera étaient les éboueurs.
Zheng Tan reprit la direction de son quartier. De retour à la maison, il trouva la seconde clé du scooter dans un coin du tiroir du bureau. Il la prit et sortit au moment même où Yi Xin, haletant, le rattrapait.
Le félin charbonneux le regarda puis sauta sur le scooter de Papa Jiao. Il tapota le siège avec sa patte et y déposa la clé.
Yi Xin : « … »
Bon, c’était officiel. Le chat du patron n’était pas comme les autres.
Le scooter était bien plus fiable que le vélo et Yi Xin avait moins d’efforts physiques à fournir. C’était une bonne chose qu’il n’ait plus besoin de pédaler. Il n’était pas certain d’en avoir encore la force.
Zheng Tan, quant à lui, n’était toujours pas satisfait. Un scooter était bien plus lent qu’une moto. C’était dans ces moments-là qu’il souhaitait vraiment que les Jiao aient leur propre voiture.
Sur le trajet menant à l’hôpital, le chat noir prit soin de mémoriser le chemin. Si quelque chose devait se produire à nouveau, il préférait ne compter que sur lui-même. Le fait de se reposer sur les autres n’était qu’une perte de temps et n’attirait que les ennuis.
L’hôpital affiliée à l’université de Chuhua ne se trouvait pas sur le campus, mais à deux arrêts de bus plus loin. C’était un hôpital de Première classe, de Niveau Trois1, qui servait également à la faculté de médecine pour l’enseignement et la recherche.
Dans la partie du bâtiment réservée aux soins, il y avait énormément de monde. Yi Xin gara le scooter, puis prit le chat caché dans son sac et suivit les indications détaillées du professeur, Les animaux étant interdits au sein des hôpitaux, Zheng Tan ne pouvait pas s’y pavaner.
Dans l’ascenseur, ils tombèrent sur Papa Jiao qui descendait acheter le déjeuner. Il semblait plutôt calme et sa voix n’était plus rauque et dépressive comme au téléphone tandis qu’il s’adressait à Yi Xin, De toute évidence, Mama Jiao allait s’en sortir.
Papa Jiao acheta cinq bentos, dont un en plus pour Yi Xin.
Ce dernier voulut acheter un fruit pour Mama Jiao mais lorsqu’il chercha dans ses poches, il ne trouva rien d’autre qu’une carte pour la cafétéria scolaire. Comme il était pressé, il avait oublié son portefeuille dans sa veste.
– « Hum, …Vous pensez qu’ils prennent les tickets restaurant au magasin de fruits ? » S’enquit-il, embarrassé.
Papa Jiao, Zheng Tan : « … »
– « Peut-être une autre fois. Aujourd’hui, de toute façon, elle n’aurait pas pu manger. Elle n’est pas encore réveillée », répondit le père qui lui expliqua ensuite ce qui s’était passé.
Mama Jiao enseignait au collège local, mais parfois elle se rendait au lycée associé. Elle avait l’intention de demander son transfert dans cet établissement car elle avait beaucoup de connaissances dans les deux écoles et était suffisamment compétente pour enseigner à des lycéens.
Son seul souci était le jeune âge de ses deux enfants. Lorsqu’elle n’avait plus cours au collège, elle allait aider au lycée. Elle était, en quelque sorte, professeur stagiaire dans cet établissement.
Le lycée affilié à l’université de Chuhua était l’un des meilleurs de la province, mais situé près du troisième périphérique, il était loin du centre-ville. Une navette, qui faisait quotidiennement le trajet entre l’université et le lycée, passait par le collège.
Ce jour-là, cependant, au détour d’un virage, alors que la navette venait de quitter le collège, elle fut heurtée par un camion qui transportait des portes vitrées. Le chauffeur du camion, qui était ivre, fut grièvement blessé. Il était toujours en salle d’opération et dans un état critique.
De nombreuses personnes à bord de la navette scolaire avaient également été touchées, donc six qui souffraient de blessures graves. On était encore en train de tenter de sauver deux des passagers.
Mama Jiao faisait partie des plus chanceux. On l’avait amenée à l’hôpital couverte de sang et c’est ainsi que Papa Jiao l’avait trouvée en arrivant. Des éclats de verre s’étaient logés à divers endroits de son corps. Trois des coupures étaient très profondes. Sa blessure à la jambe était telle que l’on pouvait apercevoir l’os. Néanmoins, ni ses os ni ses organes n’avaient été touchés. Elle paraissait juste en très mauvaise état. En vérité, elle pouvait s’estimer plus chanceuse que les six blessés graves.
Les médecins eurent recours à la chirurgie pour retirer les morceaux de verre mais ne trouvèrent aucune fracture. Cependant, elle devait rester encore quelque temps en observation.
Lorsque Papa Jiao avait reçu l’appel de Zheng Tan, Mama Jiao venait juste de sortir du bloc opératoire. Il ne s’était pas encore remis de l’avoir vue en sang, c’est pourquoi il semblait si chamboulé. A présent, le professeur avait retrouvé son calme.
Il avait demandé à Tante Ling d’aller chercher les enfants, au cas où la situation s’aggraverait, pour que leur mère puisse les voir une dernière fois.
Relativement parlant, la situation de Mama Jiao n’était pas grave. Après l’opération, elle fut envoyée directement en soins généraux car l’USI² était pleine.
En vérité, cette soi-disant « salle commune » n’était, à proprement parler, pas vraiment “commune”. L’hôpital, en effet, offrait aux membres de la faculté et à leur famille des avantages supplémentaires dont des chambres spéciales à un autre étage.
À la différence des autres salles de l’hôpital, les pièces y étaient séparées par des murs au lieu de rideaux. Il y avait quatre petits compartiments. Les cloisons étant plutôt minces, il n’était pas recommandé de parler fort mais c’était beaucoup mieux que d’être les uns sur les autres. La salle d’à côté n’étant pas divisée, les patients avaient le choix mais la plupart de ceux qui, comme Mama Jiao, venaient de subir une opération chirurgicale préféraient les chambres séparées.
C’étaient de petites chambres de moins de dix mètre carrés. Il suffisait de quelques personnes pour qu’elles soient très vite bondées.
Mama Jiao n’était toujours pas réveillée mais en apprenant qu’elle était hors de danger, toute la famille Jiao se sentit soulagée.
Jiao Yuan et Gu Youzi étaient assis sur un banc dans le couloir. Gu Youzi avait les yeux rouges et enflés à force de pleurer. Même chose pour Jiao Yuan.
Yi Xin ne resta pas longtemps. Comme il avait du travail à terminer, Papa Jiao le renvoya.
– « Pas assez de gens disponibles! » Soupira ce dernier en regardant le jeune homme s’éloigner « Je devrais prendre davantage d’étudiants de troisième cycle l’année prochaine. »
Zheng Tan se demanda ce que Yi Xin en penserait s’il l’avait entendu.
Le jeune félin mangea son bento dans le compartiment de Mama Jiao pour ne pas être vu par les autres. A l’arrivée d’une infirmière venue s’assurer de la santé du patient, il se cacha à l’intérieur du cartable de Jiao Yuan. Les livres en avaient été retirés et mis dans un sac en plastique.
Personne n’informa les parents de Mama et de Papa Jiao au sujet de l’accident. Ils n’étaient plus jeunes et faire un aller-retour depuis leur ville d’origine leur aurait été bien trop pénible.
Zheng Tan et les deux enfants restèrent là tandis que le père retournait à la maison pour aller chercher des vêtements, des fournitures ainsi que la petite table en bois décorée de motifs en forme d’échiquier chinois qui pourrait servir de table de chevet, de bureau pour les devoirs des enfants et de table pour manger.
Papa Jiao avait l’intention de rester deux jours. Il y avait une chaise pliable dans le compartiment afin que la famille du patient puisse se reposer. Elle était un peu petite, mais il se disait que ce n’était que pour quelques jours.
Ce jour-là, les enfants Jiao ne retournèrent pas en classe. Ils attendaient avec leur père. Mama Jiao se réveilla dans l’après-midi, dit quelques mots, puis se rendormit. Même si son visage était pâle, son réveil les rassura tous les quatre.
Aux alentours de cinq heures, Papa Jiao alla acheter le dîner. Le repas terminé, il renvoya les enfants à la maison afin qu’ils ne prennent pas le bus dans le noir.
Au départ, le père avait prévu d’emmener les enfants chez Tante Ling ou chez un ami de la famille pour la nuit, mais ils refusèrent fermement : ils étaient bien assez grands pour se débrouiller seuls et de plus, ils ne pourraient jamais dormir ailleurs que chez eux.
Papa Jiao finit par céder. Il regarda Zheng Tan dont la tête dépassait du cartable de Jiao Yuan, et dit :
– « Charbon, occupe-toi d’eux. Aide un peu à la maison. »
– « Ahou » acquiesça le jeune chat. Il n’avait pas besoin que l’on le lui dise. Il se voyait déjà comme leur grand frère.