Cendres était assise au sommet du château et attendait l’arrivée du jour de la compétition.
Au cours des jours précédents, ses tentatives pour persuader les autres sorcières s’étaient avérées vaines. Leurs entêtements surpassaient largement ce à quoi elle s‘attendait. Des plus âgées comme Scroll aux plus jeunes comme Lily, toute avaient refusé son invitation. Les seules choses qui les différenciaient étaient le motif de leur rejet ainsi que leur façon de l’exprimer.
Certaines voulaient rester à cause de Roland, tandis que d’autres ne voulaient pas quitter l’Association de Coopération des Sorcières. Finalement, les dix sorcières s’avérèrent unies comme un morceau de fer impossible à briser. Quant à Anna et Nana, toutes deux originaires de Border Town, Cendres n’était pas d’humeur à tenter de les appâter. Surtout que lorsqu’elle se trouvait face à Anna, la magie qu’elle ressentait était totalement différente de tout ce qu’elle connaissait jusque-là. Elle donnait l’impression d’être aussi dure que l’acier, mais en même temps douce et intense. On aurait dit qu’un mur de fer la séparait de Cendres.
Parmi les nombreuses sorcières que Tilly avait réussi à rassembler, aucune ne lui avait jamais fait cette impression. En interrogeant les autres sorcières à ce sujet, elle avait appris que la façon dont Anna contrôlait sa flamme était en fait assez unique. Mais comment était-il possible que même lorsque sa flamme était invisible, elle ait toujours cette sensation d’une véritable barrière ? Cendres ne parvenait pas à se l’expliquer.
Quant à Border Town, elle était très différente des villes et villages que la sorcière avait pu voir jusqu’ici. Si elle devait retranscrire son impression, Cendres aurait dit que cette ville lui semblait pleine de vitalité et que les habitants s’accrochaient chaque jour à un objectif.
Depuis l’endroit où la jeune femme était assise, tout en haut du château, elle avait une vue panoramique parfaite sur toute la ville. Pour l’heure, l’endroit qui lui semblait présenter la plus forte affluence, était le secteur où se trouvaient les maisons neuves. Le nouveau district, un site de forme carrée, où chaque maison semblait identique à l’autre.
Des chariots défilaient sans cesse, apportant de nouveaux lots de briques en provenance du nord de la ville tandis que les maçons creusaient les fondations d’une douzaine de nouvelles maisons de forme similaire. Dans peu de temps, ils pourraient commencer à monter les murs, ce qu’ils faisaient avec une rapidité étonnante. En un jour, les murs atteignaient déjà la hauteur d’un enfant.
En regardant vers le nord-est, elle voyait de la fumée s’élever en permanence vers le ciel. Cette fumée n’était pas due à un incendie de montagne, mais au fonctionnement des fours à briques. Plusieurs tours de briques épaisses avaient en effet été érigées et de loin, on aurait dit une forêt aux énormes troncs rouges.
Du côté de la rivière, elle pouvait voir certains des nombreux voiliers qui accostaient chaque jour à Border Town depuis son arrivée. La plupart venaient de la Forteresse Longsong et étaient si chargés que les marchandises auraient pu remplir la quasi-totalité du chantier naval.
Une troupe de gardes patrouillait en permanence autour de la cour, tenant à la main d’étranges piques de bois. Contrairement aux gardes de certaines garnisons qui se contentaient de faire une courte ronde, marchant avec langueur et disparaissant dès qu’ils avaient trouvé un endroit où se cacher pour faire la sieste, ceux-ci marchaient toujours en ligne droite entre le terminal et la cour, parfois même prenaient l’initiative de se proposer pour aider à décharger les navires. Cendres ne se souvenait pas avoir déjà assisté à pareil spectacle.
Par quel genre de sortilège Roland Wimbledon avait-il réussi à communiquer à ces gens un tel enthousiasme pour construire cette nouvelle ville sur une terre aussi aride et désolée ?
Soudain, Cendres entendit dans les airs le bruit que ferait une nuée d’oiseaux. Elle leva la tête et vit comme un énorme pigeon descendre du ciel et s’approcher de son épaule.
– « Enfin, je vous ai trouvée », dit l’oiseau tout contre de sa joue.
– « C’est Tilly qui vous envoie ? »
Cendres prit des grains de blé dans sa poche et les lança sur le toit.
Le Pigeon piqua droit dessus, puis réalisa soudain :
– « Je ne suis pas un oiseau! »
– « Lorsque vous aurez repris forme humaine, nous pourrons discuter. »
– « D’accord, c’est parti! »
A peine la voix s’était-elle tue que les plumes du pigeon s’allongèrent soudain. Une lumière blanche jaillit entre celles-ci. Sa tête se mit à grandir tandis que son corps se développait rapidement. Simultanément, ses plumes se mirent à rétrécir et se transformèrent en une masse de longs cheveux blancs.
Cendres, qui avait maintes fois assisté à ce spectacle, était toujours aussi étonnée. La capacité de Maggie qui lui permettait de prendre l’apparence de toutes sortes d’oiseaux, outre le fait qu’elle était plutôt grosse sous cette apparence, était un don merveilleux et charmant. La jeune femme aurait même parfois préféré posséder cette capacité plutôt que d’être une extraordinaire qui n’avait pas à craindre le pouvoir de la Pierre du Châtiment Divin. Elle aurait tant voulu avoir la possibilité de voyager d’un endroit à un autre. Avec cette capacité, si elle désirait voir Tilly, Cendres pourrait la rejoindre immédiatement, quel que soit l’endroit où celle-ci se trouvait.
– « Même en suivant votre trace, il n’a pas été facile de vous localiser. »
Maggie tremblait de tout son corps comme si elle séchait ses plumes. « Vous étiez si loin que ma statuette de pierre magique ne captait même pas le flux de magie émanant de votre personne. Heureusement qu’Ombre a pu m’indiquer approximativement où vous vous trouviez. Ce n’est que lorsque j’ai survolé la Crête du Dragon Déchu que la pierre magique s’est enfin mise à réagir. »
Outre ses cheveux blancs symboliques, Maggie surprenait par sa petite taille. Elle était supposée être adulte, mais n’arrivait qu’à la ceinture de Cendres et avait gardé une apparence de petite fille. Lorsqu’elle détachait ses cheveux blancs ceux-ci lui recouvraient presque tout le corps.
– « Tilly est-elle en sécurité dans les fjords ? »
Cendre se rassit et tapota les tuiles à côté d’elle. L’autre, telle un oiseau, obéit et s’approcha.
– « Elle a pris « l’Impératrice des Mers » et son voyage s’est très bien passé, mais au cours du second périple, un fort vent du nord a précipité le navire contre le rivage. Heureusement, aucune sorcière n’a été tuée. Quand au troisième et au quatrième navire, ils sont toujours en mer. Lorsque j’ai entendu parler de votre voyage, je suis aussitôt venue vous chercher. »
– « Très bien. »
Cendres se sentit enfin soulagée. Même si elle était dégoûtée en voyant le visage du Prince, il avait dit quelque chose qui n’était pas faux : le voyage entre le Royaume de Graycastle et les Fjords était vraiment dangereux. En mer, le temps était beaucoup plus changeant que sur terre et pouvait s’avérer plus violent. Un ciel totalement bleu et des vents agréables pouvaient faire place à une tempête en un clin d’œil. Face à ces vagues écrasantes, son extraordinaire pouvoir semblait négligeable.
– « Vous parlez comme Tilly », poursuivit Maggie. « Ombre a dit que si vous ne les aviez pas accompagnées, c’est parce que vous aviez l’intention de recruter de nouvelles sorcières à Border Town. Lady Tilly n’a pas demandé de détails, elle s’est contentée de dire : « Très bien. » Elle marqua une pause et regarda autour d’elle : « Où sont nos nouvelles compagnes ? »
– « Elles ne veulent pas partir », répondit Cendres avec un soupir de regret.
Elle entreprit de raconter son histoire. « De toute évidence, elles préfèrent croire le Seigneur de Border Town, qui est le frère de Tilly, plutôt que moi. »
– « Lady Tilly était disposée à nous accepter et à présent, voilà que son frère est également prêt à nous accueillir… Je n’ai pas l’impression que ce soit une mauvaise chose ». Elle se pencha vers Cendres : « Cela étant, ne devriez-vous pas être en route pour les Fjords ? Sans votre aide, Lady Tilly ne pourra pas entreprendre le programme de nettoyage. »
Cendres secoua la tête :
– « Je dois encore attendre, je partirai aussitôt après la fin du duel. »
– « Mais vous venez de dire que même si vous gagnez, le Prince n’acceptera pas votre proposition », murmura Maggie, « Alors, pourquoi donner suite à ce test ? »
– « Si je n’avais ne serait-ce qu’une chance, je veux la tenter », répondit calmement Cendres. « Le programme de nettoyage ne prendra pas effet immédiatement, par contre si je parviens à ramener au moins une sorcière avec moi, celle-ci viendra certainement augmenter la puissance de Tilly. »
– « Eh bien », fit Maggie en hochant la tête, « dans ce cas, je vais rester ici et vous attendre. Nous pourrons rentrer ensemble, mais il y a une chose à prendre en compte. En survolant la Crête du Dragon Déchu, j’ai aperçu une troupe de cavaliers battant la bannière de l’Église. Ils étaient à peu près dix, des hommes forts. »
– « Ce n’est pas beaucoup… S’ils hissent leur drapeau, cela doit signifier qu’ils appartiennent à l’armée des Juges », répondit froidement Cendres. « Ils sont sans doute en route pour Border Town. Je ne vois pas d’autre endroit où l’Eglise pourrait envoyer ses cavaliers. Leur nez est aussi sensible que celui d’un chien.
C’est parfait. Nous garderons cette information pour nous jusqu’à ce que j’aie triomphé de leur chevalier. Ensuite, je lui annoncerai que l’Église approche. Roland Wimbledon sera contraint de se rendre compte de la terrible erreur qu’il a commise. Ce sera génial. »