L’hiver 10034 du calendrier Yulan fut extrêmement mauvais pour l’empereur Gaffney [Prononcer Jia’fu’ni] de l’empire Rohault.
– « Votre Majesté Impériale », salua sa favorite, un mage d’affinité Eau, âgée de dix-huit ans, en s’allongeant sur lui dans l’intention de masser son corps tendu de guerrier de neuvième rang.
En temps normal, il aurait probablement déjà retourné cette jolie jeune femme pour s’allonger sur elle à son tour mais ce jour-là, il n’était pas d’humeur.
– « Bon sang, fiche moi le camp », dit-il, agacé en la repoussant.
La belle brune recula de deux pas, puis se forçant à sourire, elle s’inclina et se retira.
Sur le point de perdre son empire comment aurait-il eu le cœur à faire des cabrioles avec une femme, aussi jolie soit-elle ?
– « Fichez-moi tous le camp! Tous! » Rugit Gaffney en envoyant voler d’un geste furieux tous les livres, documents et bibelots qui se trouvaient sur la table.
Effrayés pas sa colère, les serviteurs et servantes du palais se retirèrent respectueusement.
« L’Empire Baruch a du culot! Un fichu culot! » pensa-t-il, le regard flamboyant et le front couvert de sueur.
Il était à la fois furieux et totalement démuni.
« Pourquoi, bon sang, pourquoi ? » Se demandait Gaffney, en proie à la panique et en même temps résigné. « Pourquoi tous les Saints de l’empire Rohault se sont-ils volatilisés ? Auraient-ils peur de ce Linley, qui n’est pourtant célèbre que depuis quelques décennies ? »
Les maudire, c’est tout ce qu’il pouvait faire car face aux multiples incursions de l’Empire Baruch, il n’avait pu trouver un seul Saint. D’un seul coup de queue, un Lézard-Tyran de niveau Saint avait réduit en miettes le seul qui s’était toujours montré loyal envers la famille impériale.
« Que faire ? Que faire ? L’empire Rohault va donc être détruit ? »
Depuis qu’ils avaient appris que les Empires Yulan, O’Brien et Baruch s’étaient alliés, tous les Saints, conscients de ce qu’une telle coalition représentait, avaient disparu.
Une alliance entre le Dieu de la Guerre, le Grand Prêtre et Linley!
Si la majorité des gens l’ignorait peut-être encore, presque tous les Saints savaient que, peu de temps auparavant, Linley avait détruit l’Île Sacrée, siège de l’Église Radieuse, et l’institution elle-même, dont les racines étaient pourtant anciennes et profondes.
Sachant que toute tentative de résistance les conduirait inévitablement à la mort, aucun d’entre eux n’était disposé à rencontrer l’Empereur et encore moins à lui obéir.
L’empire Rohault n’ayant plus de Saints, il y avait de fortes chances que Linley remporte la bataille.
« Est-il possible que cet Empire, qui existe depuis des milliers d’années, s’effondre précisément sous mon règne ? »
Gaffney souffrait le martyre. En effet, l’après-midi même, il avait appris que l’Empire Baruch venait de conquérir une nouvelle ville, et ce malgré tous les efforts de l’armée pour tenter de la défendre.
L’ennemi possédait trois Dragons de niveau Saint, qui, d’un simple survol et sans trop d’efforts, avaient tué trois des dirigeants de l’empire Rohault. À leur vue, bon nombre de soldats, terrifiés, avaient les jambes en coton et le moral de l’empire s’était littéralement effondré.
Comment combattre dans ces conditions ?
Soudain, une voix enrouée résonna dans son bureau :
– « Vous êtes Gaffney, n’est-ce pas ? »
L’Empereur, qui donnait libre cours à sa colère, en fut si effrayé que son cœur se serra. En effet, la porte de son bureau était fermée et des gardes postés à l’entrée. Or, elle n’avait pas été ouverte et pourtant, quelqu’un était entré!
Réprimant sa terreur, il se retourna pour voir d’où venait la voix.
Deux hommes se tenaient là, minces et revêtu de chemises à manches courtes.
Gaffney ne fut pas surpris de les voir habillés ainsi en plein hiver, car en tant que guerrier de septième rang, il pouvait également le faire. Mais ce qui le stupéfia, ce fut de voir le regard féroce de ces deux hommes qui, quoi qu’ils n’eussent encore rien fait, saturaient la pièce d’une aura froide et cruelle.
– « Comment… comment êtes-vous entré ?» Demanda-t-il, terriblement effrayé.
– « Facile! » Répondit l’un des deux hommes, un chauve, en ricanant. « Nous avons tué les gardes, puis ouvert et refermé la porte. C’est aussi simple que cela. »
Gaffney n’en croyait pas ses oreilles. Il n’avait pas vu la porte s’ouvrir ni se refermer.
Terrifié par l’aura meurtrière qui émanait de ces deux hommes, il se demanda :
« Seraient-ils venus me tuer sur ordre de Linley ? »
À ses yeux, en effet, seul le légendaire Linley était capable de charger des experts à la fois suffisamment puissants et volontaires de venir l’assassiner.
– « Écoutez-moi bien, Gaffney », dit l’homme chauve avec un rire froid. « Notre visite, est une chance pour vous! »
« Une chance ? Mon œil! C’est affreux plutôt », maugréa intérieurement l’Empereur. Mais il ne laissa rien voir de son mécontentement, craignant que s’il se mettait en colère, ces deux hommes ne le tuent aussitôt.
Le second, aux cheveux courts, dorés, et visiblement aussi durs que des ongles, lui lança un regard froid :
– « Nos conditions sont très simples. Conférez-nous le rang de Ducs et donnez-nous une pléthore de servantes et de serviteurs que nous utiliserons à notre guise. En retour, bien sûr, mon frère et moi vous débarrasserons de ces trois agaçants Dragons de niveau Saint. »
Stupéfait, Gaffney se frotta les yeux et regarda les deux hommes.
– « Vous n’avez pas entendu ? » Aboya le jeune chauve, furieux.
Ces deux frères avaient passé des milliers d’années enfermés à la Prison du Plan de Gebados et mené une vie pire que celle d’un chien. Les Saints de haut niveau étant les créatures les plus faibles de la prison, ils avaient vécu entre le combat et la peur, craignant chaque soir d’être tués le lendemain. En effet, à Gebados, il n’y avait pas d’essences élémentaires, aussi ne pouvaient-ils pas régénérer l’énergie dépensée à moins de tuer d’autres experts et d’absorber la leur.
De ce fait, les Saints se massacraient continuellement les uns les autres et lorsqu’ils croisaient une Divinité, ils étaient contraints de lui obéir, terrifiés, sans quoi celles-ci les auraient anéantis sans leur laisser la moindre chance de se défendre.
Par ailleurs, l’environnement naturel de la prison étant particulièrement dangereux, il fallait se montrer très prudent si l’on voulait rester en vie.
Une vie pire que celle d’un chien, des combats permanents et l’esprit tendu à craquer!
Dylin, pourtant expert de niveau Divin, y avait énormément souffert mais pour les Saints, c’était une véritable torture.
Enfin, ayant eu la chance de trouver une faille dimensionnelle à peine perceptible au sein de l’immense prison, ils étaient parvenus à s’enfuir et à retourner dans le royaume des mortels. Si ces cinq mille ans de cauchemar étaient enfin terminés, ils les avaient rendus fous.
Leur plus grand désir, désormais, était de régner sur les autres, de les plier à leurs volontés et de mener la vie que tout homme était supposé vivre.
– « Mes Seigneurs, si je comprends bien, il me suffit de vous donner des Duchés, quelques milliers de serviteurs et de servantes et vous me débarrasserez de ces créatures ? »
C’était à peine croyable! Les cieux lui enverraient-ils un miracle servi sur un plateau ?
– « C’est exact. Pourquoi ? Vous ne voulez pas ? » Demanda le chauve en fronçant les sourcils.
– « Bien sûr que si! Comment pourrais-je refuser ? » S’empressa de répondre Gaffney. « Soyez tranquilles, Mes Seigneurs! Vous me demandez quelques serviteurs et servantes ? Ce ne serait pas un problème quand bien même vous m’en demanderiez dix mille! Un Duché ? Je peux même vous donner une Principauté si vous le souhaitez! »
Bonté divine! Alors que son empire, dévoré chaque jour un peu plus, était sur le point de disparaître, voilà que deux experts venaient lui proposer leurs services. Que n’abandonnerait-il pas pour les employer!
Quand bien même il lui faudrait se rendre sur un marché aux esclaves pour leur procurer les dix milles serviteurs et servantes requis, c’était pour lui bien peu de choses.
– « Excellent », répondirent en souriant les deux hommes.
– « Mais il faut que vous sachiez, Mes Seigneurs, que derrière ces trois Dragons extrêmement puissants se cache un Saint non moins impressionnant du nom de Linley », dit-il en observant attentivement leur réaction, craignant qu’ils ne soient pas en mesure de vaincre le camp du Guerrier au Sang de Dragon.
Ses exploits, en effet, étaient impressionnants, en particulier la destruction de l’Île Sacrée.
– « Linley ? Qui est Linley ? » Demanda l’homme aux cheveux dorés d’un air méprisant.
– « Serait-ce un Saint ? » S’enquit son frère.
– « Tout à fait. Les seules Divinités humaines existant ici sont le Dieu de la Guerre et le Grand Prêtre », répondit Gaffney qui ne savait pas encore que César avait atteint le niveau Divin.
– « Pfff… ne vous inquiétez pas », dit le premier, confiant. « Si ce n’est qu’un Saint, nous nous en débarrasserons. »
S’ils avaient survécu cinq mille ans dans ce lieu de guerre et de massacre constant qu’était la Prison du Plan de Gebados, c’est dire à quel point ils devaient être forts car là-bas, les faibles ne faisaient pas long feu. Ces Saints étaient les premiers à n’avoir cessé d’acquérir de nouvelles connaissance tout en combattant.
Aussitôt, les yeux de Gaffney s’illuminèrent :
– « Dans ce cas, Mes Seigneurs, je vous invite à passer la nuit au palais. Comptez sur moi pour prendre toutes les dispositions requises », dit-il d’un ton particulièrement humble.
– « Très bien », répondirent les deux experts, satisfaits, avec un léger signe de tête.
En effet, après avoir vécu une vie terrifiante pendant toutes ces années, ils appréciaient beaucoup le respect que leur témoignaient les gens. Cela leur conférait un sentiment de supériorité.
Divisée en deux, l’armée de l’Empire Baruch avait déjà pénétré au cœur des villes de l’Empire Rohault.
Un Lézard-Tonnerre de plus de cent mètres de long, qui serpentait dans les airs, poussa un rugissement à faire trembler le monde et dont le son se répercuta dans toute la cité. Les guerriers ennemis tremblaient de tous leurs membres.
Quant aux soldats de l’Empire Baruch, l’enthousiasme se lisait sur leurs visages souriants.
En effet, avec l’aide d’un Dragon de niveau Saint, attaquer et conquérir ces villes devenait beaucoup plus facile.
Soudain, un homme mince et chauve vêtu d’une tunique blanche et or s’éleva au-dessus de la ville et s’approcha de la créature. De sa personne émanait une aura cruelle :
« Un Lézard-Tonnerre de niveau Saint ? »
Surpris, le dragon le regarda avec des yeux aussi grands que des roues :
« Un expert de niveau Saint ? » Pensa-t-il à son tour.
Cela faisait bien longtemps qu’il n’en avait pas rencontré.
Il observa attentivement l’expert et, légèrement mal à l’aise devant l’aura inquiétante qui émanait de lui, se dit qu’il fallait se montrer prudent.
N’importe qui, après avoir passé cinq mille ans à se tenir en permanence prêt à se battre et à tuer, aurait généré ce type d’aura.
– « Allez dire à Linley qu’il faut qu’il reconnaisse ses propres limites. Qu’il se montre un bon garçon et rappelle ses armées, sans quoi… je tuerai tous les Saints que je trouverai sur ma route! » Dit l’homme d’une voix tonitruante.
De toute évidence, il n’avait pas le moindre respect pour Linley.
– « Taisez-vous! » Rugit le Lézard Tonnerre, furieux.
Les soldats de l’empire Baruch étaient en colère eux aussi, car à leurs yeux, Linley était invincible.
L’homme laissa échapper un rire froid, puis se transforma en traînée de foudre et fonça droit sur le dragon.
Le Lézard-Tonnerre poussa un rugissement, et, à son tour, prit l’apparence d’un éclair bleu avant de se précipiter sur l’expert. Sa vitesse, en effet, était son point fort. Il était aussi rapide que Bébé.
L’homme et la Créature Magique se percutèrent en plein air.
« C’est ridicule! » Entendit-on sur un ton méprisant.
Semblable à un couteau géant, la jambe droite de l’expert frappa violemment la queue du dragon. On entendit un bruit d’os brisés et l’énorme créature, telle une météorite, s’écrasa sur le sol qui se fissura, créant du même coup un énorme cratère.
La terre trembla sous l’effet de l’impact.
– « Crève! » Cria l’homme en se précipitant sur lui.
Une lumière jaillit du corps du Lézard-Tonnerre. Aussitôt, il prit son essor et s’enfuit en direction du nord, la queue en sang.
Debout dans le cratère, l’expert le regarda s’éloigner.
– « Il est plutôt rapide! Quel dommage qu’il soit si faible! Il n’est même pas en mesure d’encaisser un seul de mes coups! » Dit-il d’un air furieux.
Il avait massacré tant de Saints dans la Prison du Plan de Gebados que ce dragon au faible pouvoir lui semblait insignifiant.