« Le nombre de Démons ne cesse d’augmenter, mais chaque jour nous sommes de moins en moins »
« La Cité Sainte de Taquila étant tombée aux mains de l’ennemi, la seule option qui nous restait fut de nous disperser dans toutes les directions. »
« Sur les montagnes, à travers les rivières. En essayant de fuir le plus loin possible des Portes de l’Enfer. »
« La prochaine fois, où pourrons nous aller ? »
– « Qu’en pensez-vous ? »
Dans son bureau, Roland referma la copie magique du Livre Ancien et se tourna vers Scroll pour recueillir son avis.
– « Si ce dont le Chevalier se souvint est la vérité, ce serait vraiment une coïncidence incroyable. » Scroll réfléchit un instant et ajouta : « Le contenu de cette carte au trésor est similaire à celui consigné dans le Livre Ancien, ce qui prouve que l’Eglise a pu pénétrer un jour dans ces Terres Sauvages pour construire un point de résistance contre les Démons. En outre, les points précisés sur la carte sont peut-être des tours de défense, des postes, des entrepôts ou toute autre construction qu’ils auraient pu ériger là-bas. »
– « Vous voulez dire… que ce n’est pas vraiment une carte au trésor ? »
– « Tout à fait. Après tout, l’Église n’est pas une bande de bandits ou de pirates; Ils n’ont pas besoin de cacher leurs trésors. Ils auraient pu laisser des plans à l’intention des générations futures. »
Roland hocha la tête :
– « Cette carte ne serait donc… que l’un de ces plans ? »
– « Bien que la raison pour laquelle l’Eglise s’est abstenue de consigner cette période dans l’histoire reste obscure, je crois que les ruines enterrées dans la forêt orientale ne sont pas les seules de ce genre », analysa Scroll. « Si les emplacements indiqués sur cette carte ne désignent que des installations, notre chance de trouver quelque chose au bout de tant de siècles est mince. En revanche, si l’Eglise possédait un entrepôt de stockage en sous-sol cela voudrait dire qu’il existait un site souterrain qui pourrait peut-être nous fournir quelques indices. »
– « Quel genre d’indices ? »
– « Par exemple la raison pour laquelle l’Église dissimule l’existence des démons! Pourquoi luttent-ils contre le diable mais prennent-ils toujours soin de le dissimuler ? »
Elle marqua une pause, avant d’ajouter d’une voix mal assurée : « et… pourquoi nous appellent-ils, nous les sorcières, des Messagers du Diable et pourquoi veulent-ils nous éliminer ? »
Roland ne savait pas comment la réconforter. Comme il ne trouvait pas de paroles adéquates, le Prince se tut un moment. Puis il reprit doucement :
– « Malheureusement, il ignore à quel point l’image est précise. Selon ses dires, la carte originale n’a pas été dessinée à la main. »
– « Voulez-vous que Rossignol se rende chez le chevalier ? »
– « Je ne crois pas que ce soit judicieux », répondit Roland, « La carte au trésor se transmet depuis des centaines d’années, par conséquent, il y a de grandes chances pour que la cave soit pleine de Pierres du Châtiment Divin ou autres pièges. »
Il désigna le symbole du triangle : « Pour le moment, cet endroit est hors d’atteinte, quoi qu’il en soit. Si ceci représente le secteur de notre mine du Versant Nord, l’emplacement désigné par l’étoile hexagonale se trouve au moins à 50 kilomètres de chez nous, ce qui est presque la distance séparant Border Town de la Forteresse de Longsong. À l’exception de Foudre, qui pourrait faire ce trajet en une journée, il nous faudrait deux à trois jours de marche pour y parvenir. Que ferions-nous si nous venions à rencontrer des Démons au cours du voyage… Je ne voudrais pas qu’il vous arrive malheur. »
– « Vous pourriez envoyer Foudre explorer la forêt depuis les airs. Peut-être découvrira-t-elle quelque chose… », suggéra Scroll.
– « C’est une option viable », dit Roland qui se leva aussitôt. « Dès qu’elle reviendra, je lui donnerai une nouvelle mission, mais pour l’instant je souhaiterais me rendre à la mine du Versant Nord pendant que vous vous préparez à donner votre leçon. S’il vous faut davantage de copies des livres, il faudra voir cela avec Soraya, elle s’en occupera. N’oubliez pas que vous devez leur faire un cours ce soir. »
Maintenant que Roland avait donné les premières leçons de son nouveau cours primaire, il pouvait confier à Scroll son poste de professeur. La sorcière savait lire et écrire phonétiquement et avec sa capacité à restituer le souvenir de tout ce qu’elle avait un jour lu ou entendu, le Prince était d’avis qu’elle était faite pour devenir un bon enseignant.
– « Bien, Votre Altesse », répondit Scroll qui salua et sortit.
La zone d’essai et de production située près de la mine du Versant Nord faisait à présent plus de deux fois sa surface initiale. On voyait encore dans le sol les deux cavités qui avaient servi à fabriquer le canon de douze livres. En arrivant, Roland aperçut immédiatement Anna qui pratiquait sa nouvelle capacité. Sur la table à côté d’elle se trouvaient deux produits finis qui ressemblaient en tous points à des tubes d’acier.
Aussitôt, le Prince s’en empara pour les regarder de plus près. Ces tubes d’acier étaient parfaitement circulaires et leur surface était totalement lisse, sans aucune aspérité. Ils étaient percés à diamètres égaux des deux côtés et la lumière du soleil passait sans aucun problème. Roland y introduisit ses doigts et constata que l’épaisseur des parois était exactement la même.
Il ne put s’empêcher d’admirer le travail d’Anna :
– « Comment avez-vous fait pour réaliser ceci ? »
– « Regardez. »
Anna prit une barre d’acier fraîchement coupée, la posa bien à plat sur sa main et y mit à l’une de ses extrémités un fil émanant de sa flamme noire qu’elle fit ressortir de l’autre côté. Ensuite, la sorcière tourner le fil autour du centre en formant un cercle, et en peu de temps, la barre devint creuse.
« Quelle capacité extraordinaire », pensa-t-il, « Elle est capable de réaliser des découpes à fil chaud avec sa magie, et pour ne rien gâcher, sa précision et son contrôle sont incomparables. A elle seule, Anna pourrait relever le niveau de production industrielle de Border Town. »
S’efforçant de contenir son excitation, il déclara :
– « Procédons d’abord à quelques tests de base. »
Ces tests consistaient à vérifier l’étendue, la puissance et la durée de ses capacités.
Rossignol était là elle aussi. Sortie de son brouillard, la sorcière fut chargée de repérer les éventuelles modifications de la magie dans le corps d’Anna.
Les résultats démontrèrent que, malgré une augmentation substantielle de la puissance de sa capacité et de la durée sur laquelle elle pouvait projeter sa magie, la jeune femme ne pouvait toujours pas utiliser sa flamme à plus de cinq mètres. Il lui fallait opérer dans un rayon de trois mètres pour pouvoir la contrôler avec précision.
En outre, sa magie, qui appartenait toujours à la catégorie de l’invocation, était encore sensible à la Pierre du Châtiment Divin. Lorsqu’Anna ordonnait à sa flamme noire de pénétrer dans le champ d’action de la pierre, elle disparaissait soudainement.
À moins qu’elle ne puisse évoluer au point d’accéder directement à sa magie, la sorcière ne pourrait jamais dépasser cet obstacle.
Cependant, les nouvelles capacités d’Anna appartenaient toujours à la catégorie des changements terrestres. Avec sa flamme noire, il serait beaucoup plus facile de produire des machines industrielles, et sa capacité à fabriquer toutes sortes d’outils pourrait être considérée comme le moyen de porter le traitement de la machine à un niveau supérieur.
Cependant, il n’était pas possible de ne compter que sur une seule personne pour réaliser une production industrielle à grande échelle. Par exemple, Karl avait déjà achevé l’un des fours qu’il devait construire sur les collines près de la mine du Versant Nord. Cependant, au moment des essais, on s’était aperçu qu’il puisse être utilisé pour fabriquer des briques d’argile destinées à faire du ciment, ce four n’avait pas le niveau de tolérance à la température nécessaire. Par conséquent, ils ne pourraient compter que sur Anna pour produire le ciment requis. Heureusement, depuis le jour de sa majorité, elle n’avait plus besoin de s’enfermer dans une pièce poussiéreuse pour opérer le processus de calcination.
Ce n’est pas que Roland ne puisse trouver une solution à ce problème de température. Par exemple, il aurait pu utiliser la machine à vapeur pour créer suffisamment de vent afin d’améliorer la température du four et laisser circuler l’air chauffé pour minimiser la perte de chaleur. Mais sans Anna, il ne pouvait fabriquer de nouvelle machine à vapeur. Elle seule était capable de procéder à la soudure des composants essentiels.
En d’autres termes, la création de machines industrielles reposait sur les épaules d’Anna. S’ils venaient à la perdre, la révolution dite industrielle ne serait rien de plus que le reflet des fleurs dans un miroir ou de la lune dans un lac.
Durant les mois des démons, Roland avait fait tout ce qu’il pouvait pour survivre, et maintenant qu’ils n’étaient plus menacés par les bêtes démoniaques et que la Forteresse de Longsong leur avait fourni suffisamment de population et de capitaux supplémentaires, il avait à cœur de transformer la situation présente.
– « Commençons par les bases. »
Le Prince chargea Anna de découper une plaque d’acier de deux doigts de long sur un millimètre d’épaisseur. Ensuite, il mesura un centimètre et répéta l’opération jusqu’à obtenir une règle de dix centimètres de long. Puis la flamme noire d’Anna monta sur la plaque d’acier et créa des marques verticales à distance régulière. La sorcière la contrôla si bien que la distance séparant chaque marque verticale était presque exactement la même.
Dans l’esprit de Roland, cette règle n’était qu’un début. Par la suite, il souhaitait créer différents types d’outils de mesure destinés à réaliser des échantillons en vue d’obtenir des poids et dimensions uniformes. Ces unités standard seraient alors définies comme des normes et consignées dans des manuels, devenant ainsi une part indissociable de son enseignement.