– « C’est alors qu’elle ramassa l’épée du Juge, poignarda Faria et coupa en deux son comparse, ainsi que son épée. Mais le sifflet avait alerté tout le monastère. Une armée de gardes portant des lampes à huile se dirigeaient vers nous. La jeune fille dépouilla Faria de ses vêtements et les enfila, puis elle s’empara de l’arme que portait l’un des hommes et marcha seule en direction des gardes qui se précipitaient.
Je m’assis un moment dans cette pièce au désordre sanglant afin de me reprendre. Je me rendis compte que l’homme chargé de garder les clés du monastère était parmi les morts. M’approchant, je fouillais ses vêtements épars à la recherche des clés. Dans le même temps, j’en profitais pour leur arracher les pierres qu’ils portaient autour du cou. J’ignorais leurs effets. Je n’avais qu’une idée : elles ressemblaient à des cristaux, aussi pensais-je pouvoir les vendre contre un peu d’argent. Profitant de ce que l’attention des religieuses, des gardes et des Juges était focalisée sur cette jeune femme, je parvins à une porte cachée à l’arrière de la salle sans être remarquée. Là, je dus essayer plusieurs clés avant de trouver la bonne, ouvrir la porte et m’enfuir.
Par la suite, je ne pus vendre qu’une seule pierre car les autres m’avaient été arrachées. Il me fallut donc me contenter des dix Royals d’argent que je venais de gagner pour toute la durée de mon voyage. Deux ans plus tard, j’atteignais la région du Vent de la Mer et fus contrainte de m’arrêter. C’est à ce moment que se produisit mon éveil. »
Wendy s’interrompit un instant avant de conclure : « Voilà toute mon histoire »
Silencieuse, Rossignol serra longuement les mains de Wendy. Enfin elle demanda :
– « Qu’est-il arrivé aux autres femmes de l’Eglise ? »
– « Soit elles sont mortes, soit elles sont parvenues à s’échapper, tout comme moi. J’ai tenté de me renseigner, mais tout ce que j’ai pu apprendre est que le bruit courait qu’un incendie s’était déclaré au monastère et qu’ils avaient dû l’éteindre. Personne n’avait l’air de savoir, et pire, personne ne se souciait de ce qui était arrivé aux jeunes filles. On les avait tout simplement abandonnées. »
Rossignol, qui tenait Wendy dans ses bras, dit d’une voix apaisante :
– « A présent nous sommes là. Tout va bien sa passer. Dormez maintenant. »
Un long moment plus tard, elle entendit un doux soupir.
Le lendemain matin, Roland entra dans son bureau en bâillant. Il aperçut Rossignol, assise comme de coutume auprès de sa table de travail, mais cette fois son visage était grave.
– « Allons bon, que s’est-il passé ? »
– « Avez-vous déjà entendu parler de quelque chose que l’on appelle ײextraordinaireײ ? » Demanda-t-elle.
Voyant que le prince secouait négativement la tête, Rossignol lui fit par du récit que Wendy lui avait fait la veille.
– « A moins qu’elle n’ait vécu son réveil, je ne peux imaginer qu’une jeune femme puisse décapiter un juge lourdement armé avec autant de facilité », conclut-elle.
« Une sorcière qui ne serait pas influencée par la Pierre du Châtiment Divin… »
Après avoir écouté attentivement, Roland repensa à la classification qu’il avait lui-même établie concernant les capacités des sorcières :
– « Peut-être appartenait-elle à la catégorie « auto-renforcement ? »
– « Comment ? La catégorie des… »
Roland sortit de son tiroir une feuille de papier qu’il lui tendit :
– « J’ai établi un classement de base de vos capacités en fonction de la façon dont vous utilisez votre magie. La catégorie « auto-renforcement » concerne les sorcières qui, usant en permanence de leur pouvoir magique, deviennent plus fortes. Même si toutes voient leur condition physique améliorée par la magie, une sorcière autonome est beaucoup plus puissante sous cet aspect. Si je ne me trompe pas, Scroll devrait également appartenir à la catégorie des ײextraordinairesײ, telle que l’Eglise la conçoit. »
– « Scroll ? », s’exclama Rossignol qui ne pouvait le croire, « Mais elle… »
– « Elle n’est pas douée pour le combat, c’est vrai », acheva Roland, amusé. « Cette classification ne juge pas de la force personnelle d’une sorcière. De plus, il n’est pas certain qu’elle soit correcte, ce ne sont que mes idées et spéculations personnelles. En tant que sorcière issue de la catégorie « auto-renforcement », elle serait capable de causer de nombreux problèmes à l’Église. Sans la protection de la Pierre du Châtiment Divin, elle pourrait facilement anéantir un escadron de Juges ou détruire seule l’église d’une petite ville. Mais en fin de compte, la puissance d’une personne est toujours limitée et le rapport des sorcières s’éveillant à une capacité dite d’auto-renforcement est nettement inférieur à celui des deux autres types. Dans le cas contraire, celles-ci auraient déjà éradiqué tous les croyants de l’Église. »
Le Prince s’exprimait avec une facilité déconcertante, cependant, il ressentait un vague malaise à la pensée des pilules rouges et noires.
Au cours du siècle passé, très peu de sorcières s’étaient révélées comme faisant partie des ײextraordinairesײ. Pas plus d’une douzaine, pensait-il. Mais s’il en existait ne serait-ce que deux ou trois, elles pourraient aisément semer le chaos dans l’Eglise. En profitant par exemple des Mois des Démons annuels. Durant cette période, l’Église concentrait toute son énergie à défendre Hermès : il serait facile pour elles d’attaquer leurs structures dans d’autres villes, comme les lieux de cultes et de massacrer prêtres et religieuses. Si ceci se produisait sur plusieurs années consécutives, le nombre d’adeptes diminuerait considérablement.
Cependant, en dehors de cette rencontre de Wendy avec une ײextraordinaireײ, Roland n’avait jamais entendu parler d’une sorcière qui ait osé contre-attaquer l’Eglise. De plus, le lieu où Wendy avait passé son enfance fut incendié, on ignorait où se trouvaient à présent ces religieuses et toutes ces jeunes filles.
« L’Église ne renoncera jamais », pensa-t-il, « Sans doute ont-ils déjà trouvé des moyens de se protéger de classe dite ײextraordinaireײ. Peut-être même que ces deux pilules en font partie. »
Quoi qu’il en soit, il fallait d’abord tester ces pilules.
Roland appela l’un de ses gardes et l’envoya quérir un prisonnier ainsi que Carter.
Il décida que les essais auraient lieu à l’extérieur de la ville.
Par précaution, Roland envoya quatre membres de la Première Armée pour surveiller le site d’essai, bien armés et alertes en permanence.
Outre Rossignol et lui, Anna et Nana étaient également postées sur le mur. Etant donné que le sujet ne portait pas de Pierre du Châtiment Divin, le feu vert d’Anna suffirait à garantir leur sécurité et Nana pourrait soigner d’éventuels blessés.
– « Tout va bien se passer, n’est-ce pas ? » demanda Roland en se penchant vers l’avant au bord du mur, a demandé à Carter, qui lui se tenait au bas du mur « Ne regardez pas votre adversaire. »
– « Votre Altesse, je suis chevalier, ce n’est pas seulement pour faire bien », répondit Carter en mettant son casque, « De plus, mon adversaire ne pourrait pas me blesser avec son épée de bois. »
Le sujet du test était un homme condamné à mort pour meurtre et vol, mais malgré cela, Roland n’était pas très chaud pour l’utiliser comme cobaye. C’est pourquoi il avait offert au prisonnier de payer cinq Royals d’Or à sa famille s’il acceptait de prendre part au test. Son interlocuteur n’hésita qu’un court instant avant d’accepter la proposition du Prince.
Carter avait espéré que son adversaire porterait également une armure et une épée de fer afin que le combat soit équitable, mais Roland refusa sans l’ombre d’une hésitation. Armer ce meurtrier reviendrait à augmenter les risques, et s’il venait à trancher la tête de Carter, Nana serait impuissante à le sauver. S’il ne portait aucune armure, c’était afin de vérifier si la pilule noire augmentait réellement la tolérance à la douleur.
Le prisonnier avala les deux pilules. Aussitôt, son expression changea, les veines sur son front et ses bras devinrent bleus, sa respiration s’accélérait tandis que sa peau virait au rouge profond. Il saisit l’épée de bois, attendant calmement que le chevalier réagisse, puis soudain, se précipita. Sa vitesse était comparable à celle d’un loup et chaque pas qu’il faisait laissait des petits trous dans le sol.
En voyant cela, Carter parut surpris mais sans hésiter, il fit un pas sur le côté accompagné d’un coup d’épée transversal .Ce mouvement obligea son adversaire à changer de direction, afin de protéger sa cage thoracique.
Mais ce dernier n’était rien d’autre qu’un vicieux meurtrier, non formé au combat. Pris par surprise, il ne put parer le coup et se retrouva avec une profonde entaille dans la région de la poitrine, de laquelle jaillit un flot de sang. Une telle blessure aurait suffi à affecter l’activité de la partie supérieure de son corps, mais il ne semblait pas s’en soucier. Il se tourna vers le chevalier et tenta d’appliquer la même tactique que précédemment mais cette fois, le condamné procéda différemment. Au moment même où les deux hommes se croisaient, il tendit le bras vers la main de l’épée du chevalier. Cette position gênante ne lui permettait pas d’utiliser beaucoup de puissance, mais au moment où Carter s’apprêtait à balayer la zone de son épée, il aperçut l’ombre du meurtrier et instinctivement, prit une position de défense. Un coup porté avec une force phénoménale le fit reculer de deux pas. L’épée de bois s’abattit sur celle du chevalier et se brisa en morceaux.
– « Cela m’a demandé un peu plus d’efforts », dit Carter en secouant sa main engourdie, « Donnez-lui une autre épée, afin qu’il puisse poursuivre le combat. »
Au lieu de saisir l’épée qu’on lui tendait, le prisonnier se retourna tout à coup et se précipita en direction de la Forêt aux Secrets. En un clin d’œil il fut hors de portée de Carter. Sa vitesse était comparable à celle d’un cheval au galop, et nul ne semblait pouvoir l’arrêter. Les bras tendus, l’assassin se rua sur un soldat prêt à tirer et le poussa sur le côté.
Le soldat poussa un cri misérable tandis qu’il l’envoyait voler. Ses compagnons tirèrent sur la gâchette et atteignirent le prisonnier. Ce dernier ne ralentit pas pour autant : il fonça à travers les soldats qui tentaient de lui faire barrage et en quelques secondes, l’homme avait déjà parcouru plusieurs dizaines de mètres, laissant quelques traces de sang derrière lui.
– « Ne le laissez pas s’enfuir ! », cria Carter, « Que l’on m’apporte mon cheval! »
Mais avant qu’il n’ait eu le temps de l’enfourcher, le prisonnier s’arrêta brusquement et regarda son ventre, incrédule. Celui-ci avait été tranché horizontalement et ses intestins en sortaient.
L’homme se retourna lentement et aperçut une femme, toute de blanc vêtue, qui tenait un poignard d’argent à la main. Il se demanda d’où celle-ci avait bien pu surgir aussi soudainement.