L’autre équipe n’arriva pas avant la fin de la bataille.

Roland s’enduisit le visage de boue, déchira ses vêtements et s’allongea sur le tas, feignant d’être blessé comme les autres en attendant que l’Association Martialiste vienne le sauver.

Fort heureusement, même si Line avait appuyé par mégarde sur le bouton « parler » du talkie-walkie, la communication n’était pas ouverte à toutes les équipes. Fei Yuhan était donc la seule à avoir entendu leur conversation et comme elle avait perdu conscience, Roland pourrait attribuer l’étrange communication qu’elle avait surprise à son esprit perturbé par ses blessures et l’en convaincre.

Quant à savoir pourquoi le monstre avait disparu sans laisser la moindre trace, il pourrait simplement affirmer qu’il s’était évanoui avant que l’incident ne se produise. Il attribuerait ainsi la victoire aux mérites de ce génie de Fei Yuhan et s’en laverait les mains.

Comme il s’y attendait, l’officier de liaison n’ayant pas été témoin de l’évènement, il ne prit guère au sérieux sa déclaration. L’Association, en revanche, accordait une attention particulière à l’Érosion. En effet, la découverte d’une nouvelle Érosion d’origine humaine éclipsa totalement les six morts, y compris celle de deux Martialistes célèbres, sur les douze qui participaient à la mission.

Une chose, cependant, surprit Roland. À l’arrivée de son équipe, Garcia sauta la première dans le trou et il sentit une vague de chaleur l’envahir en la voyant fouiller frénétiquement parmi les victimes et l’appeler pour tenter de le retrouver. Lorsqu’elle réalisa qu’il était vivant, un sourire éclaira son visage mais presqu’aussitôt, elle reprit son attitude indifférente et le poussa dans l’ambulance en disant :

– « C’est une bonne chose que vous ayez survécu. »

C’est ainsi que s’acheva cette mission.

Lorsqu’il revint à son appartement, Phyllis exprima son inquiétude quant à l’avertissement de la créature magique. De toute évidence, le monstre s’était aperçu que Roland était différent des autres Martialistes aussi y avait-il une possibilité que ce qu’il avait dit soit vrai.

Un an auparavant, à l’époque où le Monde des Rêves, devenant de plus en plus complexe, lui semblait étranger comme si, progressivement, il en perdait le contrôle, Roland aurait pris cet avertissement en considération. Mais sa décision était prise.

Le Monde des Rêves, en effet, ne lui permettait pas seulement d’acquérir des connaissances. C’était surtout un lieu de plaisirs mondains pour les Sorcières du Châtiment divin. Or il n’était pas certain que ce monde virtuel perdure éternellement c’est pourquoi il tenait à ce que les sorcières en gardent autant de souvenirs heureux que possible.

Par ailleurs, il se fiait beaucoup en son instinct.

Il était très possible que les changements, dans ce monde, aient commencé le jour où il avait libéré le premier cyclone et même s’il n’avait pas encore compris la relation exacte existant entre la libération des cyclones et le changement subtil de l’environnement, la sensation ressentie au moment où il avait vaincu le monstre magique en retirant son astrolabe, elle, était bien réelle.

Il avait le vague sentiment que s’il poursuivait sa lutte contre les Déchus, il finirait par trouver la réponse à ses questions.

De plus, l’événement n’était pas encore totalement terminé. Roland pouvait sans peine imaginer combien l’Érosion d’origine humaine allait déclencher la panique au sein de l’Association et l’indignation de la communauté Martialiste. Une fois que les autres Martialistes auraient repris conscience, l’Association mènerait une enquête approfondie et finirait par reconstituer la bataille. Les Martialistes modernes continueraient alors de le critiquer et ressentiraient même de l’animosité envers lui.

Quoi qu’il en fût, Roland décida de ne pas trop s’inquiéter à leur sujet dans l’immédiat.

Trois jours plus tard, le Groupe de Détectives rentra à la Cité Sans Hiver.

Non seulement Assia avait reconstitué la bataille finale, mais elle avait également enregistré quelques séquences capitales grâce au Sceau d’Enregistrement. Roland convoqua donc immédiatement tous les cadres du gouvernement à assister au spectacle dans la grande salle de la Troisième Ville Frontalière.

Au moment où Cendres invoquait le pouvoir divin et mourait avec Ursrook, le Roi sentit une main tremblante se resserrer sur son bras. Il la saisit et la garda jusqu’à la fin du film magique. Il se retourna alors et vit que Tilly avait les yeux rouges. Malgré son désarroi, la Princesse avait réussi à tenir jusqu’au bout de la projection.

Ils avaient désormais une parfaite reconstitution des évènements.

– « C’est la première fois que je vois un hybride composé d’un Diable Surveillant et d’un Diable normal », soupira enfin Pacha. « Comment ont-ils fait ? »

La question la plus déroutante était de savoir comment les Diables avaient pu arriver sur les lieux juste après que l’Unité Spéciale ait atteint la zone d’embuscade désignée, Roland doutant fort qu’un Diable Surveillant soit suffisamment intelligent pour avoir mis au point pareille stratégie. Mais le film venait de lui apporter la réponse : Usrook avait ouvert le visage d’un Diable fou et déposé une boîte de globes oculaires gelés dans sa blessure. En percevant l’odeur du sang, ceux-ci avaient immédiatement repris vie et s’étaient enracinés dans le corps de l’hôte, le faisant hurler de douleur. Il avait fallu près d’une semaine au Diable Surveillant pour prendre totalement possession du Diable Fou.

De plus, au lieu d’une Pierre Divine de Lancer, ce dernier transportait une Pierre de Vol très rare à laquelle un démon ordinaire, en principe, n’avait pas droit, ce qui laissait supposer qu’Ursrook préparait depuis au moins six mois tout ce qui était nécessaire à son plan.

Au moment où le Diable Fou transformé quittait Taquila, Sylvie était sous le contrôle du Tueur de Magie. Afin de faire gagner plus de temps à son armée, celui-ci avait d’abord pris son vol en direction de la Première Armée, puis, à mi-chemin, avait fait demi-tour, feignant l’abandon. L’attention de l’Unité spéciale étant entièrement concentrée sur la diversion, les Diables en avaient profité pour mettre en place leur embuscade. Aussi, à moins de renoncer à la mission et de s’enfuir en direction de l’Ouest, l’Unité Spéciale n’avait aucune chance d’échapper aux Diables qui les attendaient de pied ferme.

– « Pour autant que je sache, cela ressemble davantage à une manipulation qu’à un hybride. Le Diable Fou transformé fonctionne comme un hôte », fit remarquer Ayesha. « Le piège n’était pas cette créature en elle-même mais le minuscule Diable Surveillant grimpé sur sa tête. »

– « Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? » Demanda Roland.

– « Si les Diables étaient en mesure de créer un hybride aussi puissant, ils auraient utilisé cette technologie durant la seconde Bataille de la Divine Volonté. Ils auraient pu, par exemple, envoyer quelques hybrides pour surveiller et harceler l’armée et, sur le côté, une troupe entière de Démons Volants pour nous attaquer. Ce faisant, ils auraient eu raison de l’Union en moins de cinq ans », expliqua calmement Ayesha. « À mon avis, nous n’avons pas affaire à une capacité mais à une technologie, tout comme ces Diables Araignées qu’ils viennent de développer. »

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