– « Ne bougez pas », recommanda Elena.

Il y eut deux autres sifflements et une aiguille de pierre se brisa en deux. L’engourdissement qu’elle ressentait dans les jambes céda place à une douleur osseuse profonde.

Andrea serra les dents, leva les yeux et vit des milliers d’aiguilles pleuvoir là où elles se tenaient l’instant d’avant. Sans le secours des Sorcières du Châtiment Divin, elles seraient sans doute déjà mortes. Néanmoins, il leur était difficile d’éviter cette douche d’aiguilles. Bien que portée par Elena, Andrea avait pris l’une d’entre elles dans la cuisse et celle-ci s’était enfoncée en oblique jusqu’à son genou. À travers ses chairs déchirées, la sorcière apercevait vaguement ses os et son pantalon était trempé de sang.

Elena n’était guère en meilleur état, une aiguille l’ayant atteinte à l’abdomen. Fort heureusement, elle ne ressentait pas la douleur, ce qui lui permettait de rester concentrée.

En quelques secondes, la sueur inonda le front d’Andrea. Elle se contraignit à avaler la pilule analgésique produite par Chloris dont le goût amer et piquant lui permit de se ressaisir.

De son côté, Cendres luttait avec acharnement contre le Tueur de Magie.

Après cette fuite de justesse, toutes étaient un peu négligées, comme balayées par le vent. Elles avaient subi de nombreuses blessures et n’étaient pas en état d’endurer une seconde salve d’aiguilles de pierre.

Soudain, l’on entendit des bruits venant des profondeurs de la forêt. Il n’y avait sans doute pas, que les Diables Araignées pour les attendre. Cependant les Sorcières du Châtiment Divin ne pouvaient abandonner les blessées pour se lancer pleinement dans le combat.

Elles étaient dans une situation périlleuse.

Andrea saisit la main d’Elena :

– « Partons vite vers l’Ouest avant qu’il ne soit trop tard! » Dit-elle d’une voix rauque.

– « Vers l’Ouest ? Mais la Première Armée se trouve au Sud… »

– « Je ne pense pas que nous puissions prendre cette direction. Les Diables doivent sans doute nous y attendre, aussi nous n’avons plus que la Forêt aux Secrets pour nous réfugier. »  

Il y avait probablement de nombreux Diables bien préparés et rechargés en Brume Rouge dans les passages souterrains. Elles risquaient de tomber droit dans leur piège, ce qui reviendrait à signer leur arrêt de mort. Certes, une fois dans la forêt, elles seraient loin des soldats mais au moins, les Diables auraient à long chemin à parcourir pour les rattraper.

Andrea comprit soudain que ce n’était pas les renforts qu’attendait le Tueur de Magie mais le rassemblement de son armée. Ils devaient avoir prévu partout des passages souterrains, de sorte que les sorcières n’aient aucune chance de leur échapper.

Leur armée avait probablement pris ses mesures au moment même où le Diable qui faisait diversion quittait Taquila.

– « Je vois », dit Elena en hochant la tête, après quoi elle en informa immédiatement ses compagnes.

De son côté, Ursrook évitait allègrement tous les tirs des fusils à grenaille et se déplaçait en périphérie du cercle de défense, conjurant des rafales de vent pour épuiser l’énergie des sorcières. Un bouclier de lumière bleue le protégeait de tout dommage et visiblement, les balles dispersées ne lui causaient aucune blessure sérieuse.

Lorsque les sorcières furent réunies, les Diables Fous firent leur entrée dans la forêt.

– « Attention aux lanceurs! » Cria Cendres en brisant en deux une lance en os.

De leur côté, les Sorcières du Châtiment lançaient des grenades pour se protéger des lances. Durant un moment, ce fut un véritable chaos.

Mais pour Andrea, le problème le plus grave n’était pas encore résolu.

Elle saisit le Sceau d’Écoute de Cendres :

– « Trouvez les deux Diables Araignée! » Cria-t-elle à Foudre. « Et tuez-les! »

– « Mais… » 

– « Maggie et vous êtes les seules à pouvoir le faire! Si vous réussissez, vous nous serez d’un grand secours! »

Toutes les sept à huit minutes, les Diables Araignées projetaient des aiguilles de pierre. Or, trois minutes s’étaient écoulées depuis leur dernière attaque. Si les deux sorcières ne réussissaient pas à les éliminer avant la seconde salve, elles seraient toutes tuées.

– « Et dites à Tilly de fuir! » Ajouta Cendres sans même se retourner.

Foudre hésita un instant puis se résigna.

– « Compris! » Répondit-elle, les dents serrées. « Tenez bon, les amies! »

– « Comptez sur nous », dit Andrea avec un sourire amer. « Nous n’avons pas dit notre dernier mot! » Puis se tournant vers Elena : « Vite, donnez-moi une arme! »

– « Êtes-vous sûre de vous ? » S’enquit la sorcière, les sourcils froncés. « Si vous ne me tenez pas fermement, vous risquez de tomber! »

– « Ne vous inquiétez pas, une main me suffit. »

Elle prit le fusil d’Elena, tira le verrou entre ses dents et chargea, après quoi elle se prépara à tirer, la main posée sur l’épaule d’Elena. Même si elle avait perdu l’usage de ses jambes, était aveuglée par la douleur et s’il ne lui restait presque plus de pouvoir magique, elle restait un redoutable tireur d’élite.

Comment aurait-elle pu abandonner alors que Cendres luttait toujours avec acharnement ? 

– « Que faire, Foudre, goo… » Demanda Maggie, inquiète.

– « Restez calme », répondit la jeune fille en voyant des dizaines de Diables Fous courir dans les bois tandis qu’une épaisse colonne de fumée tournoyait au loin dans le ciel. Andrea avait raison. Sa seule force étant sa vitesse de vol spectaculaire, elle ne pouvait laisser le Tueur de Magie la priver à nouveau de son pouvoir.

Une grande exploratrice se devait d’apprendre à garder son sang-froid et à analyser soigneusement la situation. Comme elle ne pouvait guère aider les sorcières dans leur retraite, mieux valait se concentrer sur les Diables Araignées et les éliminer. Pour tuer ces monstres protégés par la pierre, elle allait devoir faire appel au lance-grenades récemment conçu par le Roi.

Foudre prit très vite une décision :

– « Vous, vous allez vous mettre à la recherche des Diables Araignées et de mon côté, je vais contacter le Goéland. La Princesse Tilly a les armes dont nous avons besoin! »

– « Compris! » S’écria Maggie. Elle prit l’apparence d’un autour gris et s’envola haut dans les airs.

Poussant sa vitesse au maximum, Foudre, en un clin d’œil, rejoignit le planeur loin du champ d’embuscade.

– « Où sont-elles ? Comment se déroule le plan ? » Demanda Wendy avec appréhension en ouvrant la porte de la cabine.

– « Je n’ai pas le temps de vous expliquer. J’ai besoin d’armes de rechange! »

Foudre se glissa dans la cabine. Elle attachait sur son dos le lance-grenade lorsque Tilly demanda :

– « Quelque chose ne va pas, n’est-ce pas ? »

– « En effet », répondit la jeune fille. « Cendres vous recommande de quitter cet endroit au plus vite. »

– « Je vois. Je pars tout de suite. »

Foudre et Wendy restèrent un instant figées sur place.

– « Je ne lui serai d’aucun secours en restant », expliqua la Princesse avec un léger tremblement dans la voix, comme si elle retenait ses mots. « Je ne ferais que lui ajouter de la pression. Mon instinct me dit qu’il est préférable de retourner au camp. »

– « Votre Altesse… »

– « Faites-lui bien savoir que je reviendrai bientôt avec des renforts! Qu’elles tiennent bon surtout! »

On entendit alors dans le lointain le gémissement d’un autour.

– « Je transmettrai », promit Foudre qui quitta la cabine après un dernier regard à Tilly.

Les armes qu’elle portait l’alourdissant, la jeune fille chuta d’environ dix mètres avant de parvenir à se stabiliser. Si le Tueur de Magie s’en prenait à nouveau à elle, elle n’aurait aucune chance de lui échapper cette fois-ci.

Elle Devait absolument s’armer de courage et faire confiance à ses amis.

Foudre prit une profonde bouffée d’air froid et fonça dans la direction indiquée par Maggie.

Trente secondes plus tard, elle aperçut sa cible, un Diable Araignée, qui à plat ventre, crachait lentement de l’obsidienne. Le sol sous le monstre était de quelques centimètres, formant une grande bosse au fond de laquelle elle pouvait apercevoir de petits trous qui semblaient mener ailleurs.

Deux Diables Fous veillaient près de la créature. Foudre descendit juste au-dessus de la cime des arbres, visa le monstre dont la carapace était ouverte et qui ne se doutait pas le moins du monde du danger et, sans hésiter, pressa la détente.

Il y eut un léger bruit après quoi la grenade pénétra en diagonale dans le Diable Araignée. La chaleur générée par la coque hautement explosive entra dans son abdomen et écrasa ses veines et ses muscles sous l’obsidienne.

Le monstre poussa à gémissement à vous glacer le sang et s’effondra.