La célébration ne dura pas longtemps car tous les soldats se remirent très vite au travail, gérant les problèmes les plus urgents tels que le traitement des blessés, l’établissement d’un rapport statistique sur les victimes, la réparation du chemin de fer et le nettoyage du champ de bataille.

Le quartier général savait pertinemment que cette victoire ne marquait pas la fin du projet Flambeau. Même s’ils étaient à peu près certains de pouvoir reprendre Taquila et qu’il était peu probable, après cet échec, que les Diables osent lancer une autre offensive, ils ne devaient pas baisser la garde. En effet, la guerre ne serait pas terminée tant que les humains n’auraient pas éliminé ce Tueur de Magie, toujours en fuite.

L’humanité méritait cette célébration, mais il faudrait attendre que le drapeau de Graycastle soit érigé au sommet des ruines et que l’armée soit rentrée saine et sauve à la Cité Sans Hiver.

Après une discussion houleuse, les responsables du front se mirent d’accord sur le fait qu’il ne restait plus qu’environ cinq cents Diables terrés dans les ruines de la Ville Sainte. Ils ne constituaient donc plus une menace pour la Première Armée.

Leur objectif, désormais, n’était plus la construction de la Station de la Tour n ° 10 mais l’opération d’embuscade visant spécifiquement le Tueur de Magie. La Première Armée, en effet, n’avait pas besoin que Sylvie surveille en permanence les raids des Diables.

Afin d’éviter toute nouvelle complication relative à cette bataille, les soldats, dès le lendemain, reprirent les bombardements de façon à ce que les Diables n’aient pas d’autre choix que de battre en retraite vers les tranchées qu’ils avaient construites au sein des ruines de Taquila.

Finalement, seul le Tueur de Magie réussit à rester proche de la ligne défensive. Mais comme il était leur principale cible, il pouvait difficilement approcher le camp et encore moins empêcher la Première Armée de progresser.

Après plusieurs tentatives infructueuses, le Diable cessa peu à peu de se manifester.

Le quatrième jour après le début de la guerre, le chemin de fer arriva enfin à portée de tir, soit à 10 kilomètres de Taquila.

Ayesha, Phyllis et les cent autres sorcières attendaient pour déclencher les canons, ainsi que l’avait ordonné Hache-De-Fer.

Le nombre de canons étant limité, Van’er décida d’attacher les détonateurs avec des cordes pour que les sorcières puissent tirer en même temps.

Les Sorcières du Châtiment Divin, qui avaient compris qu’il s’agissait d’un moment historique pour l’humanité, étaient déterminées à venger leurs compagnes et à reconstruire la Ville Sainte, même si elles ne devaient pas survivre à la Bataille de la Divine Volonté.

– « Je vous dois des excuses », dit doucement Phyllis à Ayesha, tandis qu’elle tirait les cordes. « Il y a 400 ans, J’étais d’avis que confier des missions aux mortels ne pouvait mener qu’au désastre et plus d’une fois, j’ai ri de vous dans votre dos. »

– « Vous n’étiez pas la seule à penser ainsi à l’époque », répondit en souriant la Sorcière des Glaces. « Votre opinion a-t-elle changé ? »

Phyllis se mordit les lèvres :

– « Finalement, je pense que ce n’est pas une si mauvaise idée que de combattre côte à côte. »

C’est alors que Van’er leva son fanion :

– « Prêts ? Allez-y! »

Tous ramenèrent les fusées vers eux et bientôt, des rugissements de tonnerre se répercutèrent dans le camp. Une douzaine d’obus fusèrent vers le ciel, traversèrent le champ et allèrent s’abattre sur la Ville Sainte. Les ondes de choc balayèrent cette ville, témoin de quatre cents ans d’histoire, et firent exploser les Diables qui s’y cachaient.

– « C’est parti », murmura Sylvie.

– « En effet », répondit laconiquement Andrea qui pouvait sentir le sol trembler à sept ou huit kilomètres de Taquila.

Difficile d’imaginer les souffrances endurées par les Diables qui, durant toute une nuit, avaient été continuellement bombardés par les canons.

– « Si je ne me trompe, cela fait cinq jours maintenant », grommela Marge. « Pensez-vous que le Tueur de Magie se présentera aujourd’hui ? »

Cendres haussa les épaules :

– « Qui sait ? »

– « J’ai hâte de rentrer à la Cité Sans Hiver pour manger une fondue ou des ravioli chinois. »

À ces mots, on entendit un estomac protester.

– « Pour ma part, je serai ravie de déguster de la viande rôtie et du pain à la crème glacée… »

Cendres fourra une ration dans la bouche de Marge en disant :

– « Si vous avez faim, mangez. Cela n’a peut-être pas très bon goût, mais au moins, vous serez rassasiée. »

– « Je vous prierai de ne pas oublier que nous sommes en mission », intervint Camilla Dary. « Vous vous concentrerez autant que vous le souhaitez sur la nourriture lorsque nous serons rentrées à la Cité Sans Hiver mais pour le moment, l’heure est au travail. »

« Elle en a envie elle aussi mais comme d’habitude, elle ne comprend pas la plaisanterie », se dit Andrea en secouant la tête avant de reporter son regard sur Taquila.

Lorsque la Première Armée se mit à riposter, l’Unité Spéciale, comme convenu, quitta le camp, contourna les ruines et alla se poster dans la jungle à l’Ouest de la ligne d’approvisionnement de Brume Rouge. Elles ne savaient pas du tout quand le Tueur de Magie allait battre en retraite.

Habituées à vivre dans un environnement hostile, les sorcières, pour éviter de se faire repérer par les Démons Volants dissimulés dans le ciel, s’abstinrent de planter des tentes et de faire du feu. Elles s’enveloppèrent dans une épaisse couverture et passèrent la nuit dans des arbres, se contentant, pour toute nourriture, de galettes de blé.

Andrea réalisa soudain que la vie à la Cité Sans Hiver lui manquait. En toute honnêteté, lorsqu’elle y avait emménagé avec Tilly, elle était persuadée que ce fameux « foyer des sorcières » n’était qu’une vaine promesse de la part du souverain, rien de plus qu’une nouvelle ville où se réfugier pour un temps. Elle était déterminée, si Tilly souhaitait partir, à la suivre. Mais depuis quelque temps, Camilla n’en était plus aussi certaine.

À la Cité Sans Hiver, elle dormait dans un lit moelleux et était libre de goûter à de nombreuses friandises. Elle bénéficiait d’un approvisionnement constant en eau chaude et froide lorsqu’elle voulait prendre un bain ainsi que d’un excellent système de chauffage qui lui permettait de marcher pieds nus en hiver. Même au sein de la noblesse, jamais elle n’avait vécu une vie aussi agréable. Ce style de vie ne visait ni l’extravagance ni l’égocentrisme mais représentait plutôt une culture raffinée et sophistiquée. Dans son esprit, elle était quasiment conquise.

Mais comme Roland et Tilly semblaient bien s’entendre pour le moment, elle n’aurait donc pas à prendre de décision de sitôt.

Ceci dit, une fois sa mission terminée, Andrea pensait demander une énorme récompense à Roland.

L’idéal aurait été que le Tueur de Magie reste à Taquila et soit réduit en pièces par les canons. S’il tentait de fuir, la sorcière espérerait pouvoir le tuer avec un seul coup grâce aux balles de Pierre du Châtiment Divin. Dans le pire des cas, s’il venait à remarquer leur embuscade, l’ennemi pourrait zigzaguer à travers le camp pour esquiver les balles et il faudrait alors recourir au Goéland.

Andrea n’était pas convaincue que l’embuscade leur permettrait de détruire le Tueur de Magie. En effet, celui-ci, au cours, des cinq derniers jours, s’était déplacé au-dessus de Taquila, et de ce fait, était très difficile à atteindre. Était-ce pure coïncidence ou l’ennemi s’efforçait-il délibérément de l’éviter ?

Soudain, un cri perçant déchira l’air.

– « Que se passe-t-il ? » Demanda Cendres.

– « Un obus a touché le Squelette Géant! » S’écria Sylvie. « Il a un grand trou à l’arrière et… bon sang! Il hurle! Il a mal! Je ne pensais pas qu’il était vivant! Ce n’est pas du sang mais de la brume rouge qui sort de sa plaie », ajouta-t-elle en regardant vers le Sud-Est. « Voilà le Tueur de Magie qui fonce droit sur nous! »

– « J’espère juste qu’un jour, quelqu’un l’abattra », dit André en étendant les mains.

– « Attendez… Non, le Tueur de Magie fait demi-tour! » rectifia Sylvie, les sourcils froncés. « Que se passe-t-il ? Les Squelettes aussi battent en retraite! Il y a des Diables Fous qui se font piétiner en tentant de les arrêter! Ils ont perdu le contrôle… »

« Les Diables s’entre-tueraient-ils ? » Demanda-t-elle après un long silence.

Andrea et Cendres se regardèrent. L’ennemi était-il si pressurisé qu’il avait perdu toute volonté de se battre ?

Sylvie eut tôt fait de confirmer leurs doutes :

– « Le Tueur de Magie a fui Taquila! »