Une fois survolé le camp, Foudre prit de l’altitude et s’arrêta en plein air.
– « Un problème, Goo ? » Demanda Maggie en levant la tête.
Pour toute réponse, Foudre se tourna vers Taquila. C’était peine perdue que d’espérer localiser le Tueur de Magie avec une visibilité réduite à moins de deux cents mètres par cette noirceur impénétrable mais cela n’avait pas d’importance, car elle savait que l’ennemi pouvait la voir.
En effet, comme elle tournait le dos à la lune, le Diable, en levant les yeux, la remarqua immédiatement. Mais sachant qu’il ne pourrait jamais la rattraper, il ne tenta pas de l’approcher et décida de la laisser partir.
D’une certaine manière, elle avait gagné!
La jeune sorcière prit une profonde inspiration, tendit la main droite dont les doigts tremblaient encore, rassembla son courage et lui fit un doigt d’honneur, geste de victoire qu’elle avait appris du Roi.
Cela fait, elle retourna au camp et fit à Sylvie le récit de tout ce qu’elle avait vu.
– « Un cylindre parfaitement découpé fait de Pierre du Châtiment Divin ? »
Sylvie nota la taille approximative des piliers puis remit la feuille à Ayesha qui eut tôt fait de déterminer l’emplacement exact des pierres et leur forme.
Très vite, les données furent transmises à la salle d’observation.
Certes il pouvait y avoir quelques erreurs de calculs mais au moins avaient-ils une base fiable. Sylvie fit une estimation approximative de l’emplacement des piliers et appela le bataillon d’artillerie.
Un instant plus tard, on put entendre dans tout le camp le rugissement des Canons de Forteresse tandis que, tels des lucioles, des éclats de feu jaillissant du museau traversaient le ciel et déchiraient les ténèbres.
D’autres canons se joignirent aux premiers et peu à peu, on put vaguement apercevoir le camp. De temps à autre, des obus striaient l’air tels des comètes en chute libre et laissaient derrière eux une longue traînée.
La répercussion des explosions qui fendaient l’air finit par tirer les Plaines Fertiles de leur profond sommeil.
– « Que c’est beau, Goo! » marmonna Maggie, dans un état second, en regardant le camp tandis que Foudre, les poings serrés, se dressait contre le vent.
Il ne restait plus qu’un obstacle à surmonter.
Flottant dans les airs, Ursrook regardait avec détachement les monticules de terre s’élever et retomber. C’était l’arme la plus puissante jamais inventée par l’être humain, un seul de leurs projectiles pouvant tuer instantanément une douzaine de Diables subalternes sans même les toucher physiquement. Même à des dizaines de mètres, leurs éclats de fer pouvaient traverser les armures.
Lui-même n’était pas certain de pouvoir survivre s’il était directement frappé.
Dans son rapport au Seigneur Céleste, il avait qualifié cette arme de “pluie ardente”.
Par ailleurs, les humains avaient également inventé des armes individuelles telles que des “flèches de feu”. De toute évidence, l’évolution de la race humaine reposait largement sur cet élément. Si le Seigneur était d’avis qu’il s’agissait d’une sorte d’évolution, lui-même croyait plutôt à une coïncidence. Les sorcières possédant bien plus de capacités que les gens ordinaires, il était possible que l’une d’entre elles, maîtrisant le feu, se soit éveillée au bout de plusieurs siècles et ait aidé la population humaine à maîtriser cet élément naturel.
Ceci dit, le fait que les humains puissent évoluer dans une direction qu’ils ne souhaitaient pas ne signifiait pas qu’ils ne pouvaient rien y faire. Ils avaient toujours la possibilité de créer des blocs de Pierre du Châtiment Divin pour parer à la pluie ardente.
Ursrook, en effet, s’était aperçu que lorsque leurs projectiles frappaient ces pierres, ils rebondissaient dessus sans même les endommager.
Le véritable danger résidait dans la pluie ardente qui pénétrait ces piliers et atteignait les Diables symbiotiques cachés à l’intérieur. De toute évidence, leur armure réputée impénétrable ne les protégeait pas de cette pluie de projectiles : elle se fissurait au premier coup porté.
Ironiquement, le Roi semblait avoir une grande confiance en ces piliers qui ne pouvaient pas ressentir la douleur, persuadé qu’il s’agissait de la plus grande percée que leur race ait réalisée à ce jour grâce aux fragments d’héritage. Non seulement ils leur apportaient plus de fournitures sur le front, mais ils leur offraient aussi des options plus stratégiques. À entendre le Roi, ces piliers seraient suffisants pour annihiler la race humaine c’est pourquoi le Seigneur lui en avait remis cent.
Néanmoins, au cours des six derniers mois, non seulement il n’avait pas réussi à exterminer la race humaine mais leur emprise sur Taquila semblait également s’être relâchée. Ursrook n’avait plus, à sa disposition, que 40 % des piliers.
Si le Seigneur céleste n’avait pas si aveuglément fait confiance au Roi, il ne serait pas confronté à un tel dilemme car si ces piliers venaient à être détruits, il ne lui resterait plus, pour combattre l’ennemi, que ces jeunes Diables ce qui équivaudrait à un suicide.
Cependant, Ursrook n’en avait que faire, tous ces sacrifices étant destinés à remporter la victoire finale.
Les humains allaient devoir payer.
Il était 22 heures dans les quartiers généraux souterrains.
La bataille durait depuis 3 heures et toutes les cinq minutes, Hache-De-Fer entendait une magnifique explosion tandis qu’un nuage de poussière tombait du plafond.
En dehors des canons rugissants sur le camp, il n’entendait rien d’autre : on aurait dit que les Diables étaient totalement absents de la bataille, ce qui était très inhabituel.
Afin d’économiser les munitions et de préserver les canons, le Commandant en Chef avait ordonné au Bataillon d’Artillerie de ne pas tirer continuellement mais de viser exclusivement la zone située derrière l’ombre noire. Seul problème : sans l’Oeil Magique, ils ne pouvaient pas savoir si leurs tirs étaient efficaces.
La seule chose dont, pour le moment, ils étaient certains était que les Canons de Forteresse s’avéraient incapables de détruire les piliers de Pierre du Châtiment. Certes cette grêle de balle les ralentissait considérablement mais Hache-De-Fer savait qu’ils finiraient toujours par reprendre leur rythme. Il se demandait comment les Diables Araignées pouvaient mobiliser des monstres aussi gigantesques.
– « Bon sang », s’exclama-t-il en frappant la table du poing, « en plein jour, ces monstres n’auraient aucune chance! »
La Première Armée ne pouvant pas savoir où atterrissaient les obus, les soldats visaient à l’aveugle les zones sombres qui s’étalaient sur environ 150 mètres sans aucun retour fiable qui leur aurait permis de corriger leur angle de tir.
D’après Sylvie, le Tueur de Magie planait à l’extérieur du camp, apparemment en état d’alerte vis-à-vis de Foudre. Certes la jeune sorcière était rapide, mais il était dangereux de voler à une vitesse aussi élevée au-dessus du camp ennemi afin d’informer l’armée des points d’atterrissage. Par ailleurs, cela consommait beaucoup d’énergie.
Cependant, pour pouvoir poursuivre l’opération, les soldats avaient besoin d’un retour, sans quoi ils auraient bien grand mal à éliminer les Diables.
Ils pouvaient, bien entendu, tenter de tenir ces derniers à distance en dirigeant tous leurs obus vers les zones aveugles mais si l’ennemi décidait de se retirer, toutes leurs munitions seraient gaspillées.
Par ailleurs, quelques Diables Fous qui flanquaient les zones aveugles semblaient vouloir mener une attaque en tenaille. Ceci dit, Hache-De-Fer hésitait à gaspiller des munitions pour quelques ennemis seulement.
– « Je comprends pourquoi les Diables ont décidé de lancer leur offensive de nuit », dit calmement Edith. « Ceci dit, la situation est meilleure que je ne l’aurais cru car grâce à Sylvie, nous pouvons au moins voir l’ennemi dans l’obscurité. Pourquoi avez-vous l’air si soucieux ? Ce sont plutôt les Diables qui devraient s’inquiéter. »
– « Tout simplement parce que je ne voudrais pas gaspiller des munitions que nous avons mis tant de temps à fabriquer », répondit Hache-De-Fer en fronçant les sourcils.
– « Ne vous inquiétez pas », répondit la Perle de la Région du Nord avec un léger sourire. « Ils sont certainement conscients que les choses ne vont pas perdurer ainsi. Une fois atteint la portée de tir des mortiers, ils riposteront certainement, mais ils ignorent qu’une fois entrés dans la zone de tir des fusées éclairantes, nous aurons, pour ainsi dire, gagné la bataille. »