Roland savait parfaitement à quoi faisait référence la Perle de la Région du Nord.

Il avait rencontré de nombreuses difficultés techniques lors du processus de fabrication de la balle de Pierre du Châtiment Divin, telles que le calibre ou encore la douille. Il fallait faire en sorte que la pierre soit aussi grosse que possible mais cela générerait un important champ anti-magie. En outre, une arme de gros calibre serait inévitablement plus lourde que la normale et beaucoup plus difficile à cacher, à transporter et à utiliser.

La semaine précédente et après de nombreux tests, Anna, Ayesha Lucia et Andrea avaient enfin pu définir les paramètres de cette nouvelle arme.

Afin qu’une force égale soit appliquée sur toute la balle d’un calibre total de 35 mm, la Pierre du Châtiment Divin avait été façonnée en un cylindre d’un diamètre de 30 mm, recouvert de cuivre et équipé d’une ogive tranchante. C’était le seul moyen pour que la Pierre du Châtiment Divin ne soit pas réduite en miettes par la poudre à canon.

Le “trou noir” créé par la pierre devant être d’environ un mètre cinquante, le canon de l’arme devrait mesurer au moins deux mètres. Il faudrait donc que ce fusil soit démontable pour que ses pièces puissent être transportées par l’Arche Magique.

En outre, étant donné l’important recul lié à son calibre, il était indispensable d’avoir recours à un support spécial.

En raison des difficultés techniques susmentionnées, la version finale était anormalement colossale. Pour tout dire, il était impossible au tireur de charger lui-même la cartouche. L’arme était presque aussi lourde que deux hommes et il fallait plusieurs personnes pour la faire fonctionner. Bien que le canon fût équipé d’un frein de bouche et d’un butoir, le tireur pourrait tout de même subir des blessures suite au recul.

Heureusement, l’un des avantages de cette nouvelle arme est qu’ils avaient prévu de ne l’utiliser qu’une seule fois. Dans cet esprit, ces inconvénients devenaient acceptables.

Son gros calibre présentait aussi quelques avantages, principalement une plus longue portée de tir ou, plus précisément, une plus longue portée efficace. Passé un certain point, une balle, en principe, dévie de sa trajectoire initiale alors que là, Andrea pourrait diriger les balles avec précision vers leurs points d’atterrissage désignés. En théorie, ce fusil avait donc une portée de tir supérieure à dix kilomètres.

Roland comprit alors pourquoi Edith avait choisi la jungle.

Cette arme étant beaucoup plus longue à assembler et à préparer que celle de Cendres, l’opérateur devrait rester à couvert s’il voulait éviter de se faire repérer par les Diables.

– « Passons enfin à la route que l’Unité Spéciale empruntera pour battre en retraite », dit Édith « Une fois la bataille officiellement commencée, la Première armée enverra une unité en renfort à cinq ou six kilomètres sur la gauche. Pour ce qui est du moment, cela dépendra de la réaction des Diables. Ce sera tout. »

Ce plan, qu’Édith avait mis une semaine à finaliser, fut très vite approuvé. Après un court débat, la Chef de l’État-major décida de qui composerait les deux équipes.

L’équipe chargée de tendre l’embuscade comprendrait Sylvie, Andrea, Camilla, Marge et Cendres, cette dernière étant chargée de les protéger. Foudre jouerait le rôle d’éclaireur et transporterait la balle de Pierre du Châtiment Divin, ce que Maggie ne pouvait pas faire, et il suffirait de la suspendre à une corde pour que celle-ci ne l’affecte pas.

Sinon, l’équipe devait se rendre sur les lieux de l’embuscade.

Quant à l’équipe du Goéland, elle comprenait, outre Maggie l’éclaireur, Till et Wendy, le reste étant composé de Sorcières du Châtiment Divin avec pour chef Zoé. Roland pensait qu’il y aurait davantage de monde mais l’arme de gros calibre, les grenades et l’armure prenaient trop de place, même si Colibri en avait réduit le poids.

Aucune stratégie ou tactique n’était requise pour cette confrontation directe, il suffisait d’avancer pas à pas.

Cette opération ayant presque épuisé leurs ressources, Roland fut contraint de repenser le transport. Pour l’heure, la Première Armée ne pouvait compter que sur le fleuve et le chemin de fer pour transporter les fournitures et les troupes. S’ils disposaient d’une cavalerie blindée, il lui aurait suffi de l’envoyer couper le ravitaillement des Diables et les encercler par l’arrière. Le Tueur de Magie se serait alors retrouvé acculé faute de Brume Rouge.

À la fin de la réunion, Edith se releva et lança un regard hésitant à Roland.

– « Autre chose ? » Demanda le Roi.

– « Une fois l’offensive finale commencée, vous et les gens de l’Hôtel de Ville feriez bien d’aller vous installer temporairement à la Troisième Ville Frontalière. » Elle marqua une brève pause et poursuivit : « Ainsi que les sorcières qui résident dans les Quartiers du Château. »

– « Que voulez-vous dire ? » Demanda Barov qui venait enfin de trouver l’occasion de l’interrompre. « Oseriez-vous donner des ordres à Sa Majesté ? »

– « Craindriez-vous que les Diables n’attaquent la Cité Sans Hiver ? » Demanda la Reine, troublée.

– « Même si c’est très peu probable, cela reste une possibilité », répondit posément Édith. « La réserve en Brume Rouge ne correspond pas nécessairement au nombre exact de Diables. Il se peut, par exemple, qu’elle soit prévue pour trois mille soldats mais ne soit utilisée que pour mille afin qu’ils tiennent plus longtemps. S’ils sont déjà venus à la Cité Sans Hiver, il se peut qu’ils reviennent sans prévenir et se rendent directement aux Quartiers du Château. Qu’adviendra-t-il s’il ne s’agit plus de Diables Fous mais de Diables Supérieurs ? »

Il y eut un court silence tendu.

– « Et ils abandonneraient Taquila ? » Demanda Ayesha, les sourcils froncés.

– « Les pertes sont inévitables. »

– « Je vois », dit Roland un léger sourire aux lèvres. « Marché conclu. Barov, vous vous chargerez de l’Hôtel de Ville. Vous savez ce que vous avez à faire. »

– « Bien sûr, Votre Majesté. »

Sans la suggestion d’Édith, Roland avait l’intention de regarder “en direct” le déroulement de la guerre dans la grande salle, et ce même s’il n’avait pas une pleine vue sur Taquila.

Sachant que tous allaient se dévouer pour cette guerre dont dépendait la survie de l’humanité, Roland, qui pensait devoir apporter une conclusion, se leva :

– « Je sais ce que vous avez en tête », dit-il. « Et vous avez raison. Nous sommes désormais très près de la victoire. Beaucoup ne savent rien de cette guerre ni de ses implications mais un jour viendra où toute la race humaine s’en souviendra. Comme nous y étions préparés, nous avons réussi à éloigner les Diables des Plaines Fertiles. Qu’ils soient ou non retenus par le Royaume Terre-Mer, nous gagnerons. Je suis seulement désolé de ne pouvoir vous accompagner au front. »

Bien que la salle demeurât silencieuse, tous avaient les yeux brillants d’enthousiasme.

– « Éliminez les Diables et reprenez Taquila! J’attends cette bataille avec impatience! » S’écria le Roi en les regardant et en appuyant chaque mot.

– « À vos ordres! » Répondit en chœur l’assistance.