Le soleil descendait lentement derrière les montagnes, répandant ses rayons rouges orangés sur les vastes plaines. Mais cette nuance de rouge était pure et n’avait rien à voir avec la Brume Rouge.

Ursrook aimait aller se poster au sommet de la montagne et se prélasser dans les rayons du soleil tout en admirant le ciel au-dessus de lui.

Il aurait pu voler plus haut, mais il ne voulait pas que son pouvoir magique vienne briser le silence qui régnait sous le dôme du ciel sombre. Il avait l’impression que le ciel, inondé de lueurs rouges et pourpres et parsemé de nuages ​​dorés était, en cet instant, presque à sa portée.

C’était une expérience unique.

La plupart du temps, il était enveloppé par la Brume Rouge et bien qu’il l’appréciât, elle créait une barrière entre lui et le ciel.

Il était probablement l’un des rares de son espèce à ne pas aimer rester à la Tour des Naissances.

Cependant, Ursrook ne se considérait pas comme un étranger. Il aspirait simplement plus que quiconque à plus de pouvoir magique, ce pouvoir qui lui venait du ciel.

Les humains l’appelaient à tort la Lune Sanglante.

Le bruit courait que sa race, après avoir hérité du pouvoir de Dieu, accéderait au dernier stade de l’ascension et verrait s’ouvrir devant elle la voie du ciel où un monde plus vaste les attendait.

Peut-être était-ce là la demeure de Dieu.

Le moment venu, ils recevraient un immense pouvoir magique qui les conduirait plus près encore de l’immortalité.

Mais Ursrook n’était pas totalement convaincu. Il avait déjà tenté de s’élever très haut mais comme il n’y avait plus de Brume Rouge, il avait connu une série de dysfonctionnements physiques tels qu’une chute rapide de température, une armure givrée, une circulation sanguine lente et des difficultés respiratoires. S’il avait utilisé son pouvoir magique pour résoudre ces problèmes, celui-ci se serait vite épuisé.

Un jour, il avait tenté d’aller le plus loin possible et avait failli mourir pendant ce vol audacieux.

Mais son aspiration pour le ciel était de plus en plus forte car au milieu de ce ciel pourpre, il avait aperçu quelque chose d’indescriptible, quelque chose comme un scintillement, ce qui signifiait que la théorie n’était pas totalement infondée.

En outre, une voix lointaine, un murmure, comme un écho, l’appelait.

Ursrook savait que le Royaume de l’Esprit s’approchait…

Il était si proche du royaume supérieur…

Seul celui qui serait en mesure d’ouvrir la porte séparant les deux royaumes pourrait prétendre au titre de Seigneur.

Ursrook ferma les yeux et laissa le vent porter la chaleur du soleil couchant dans son dos. Soudain, il entendit des bruits de pas derrière lui.

– « Tout est prêt, Monsieur Ursrook »

Comme il s’y attendait, c’était son plus jeune garde.

– « Très bien », répondit-il. « Continuez à les surveiller. »

– « Bien monsieur », répondit le garde. Il allait partir mais se ravisa : « Ces êtres inférieurs feront-ils vraiment ce que nous attendons d’eux ? Ils devraient avoir eu un aperçu de votre véritable pouvoir… Nous avons sacrifié beaucoup pour mettre en place ce piège. Si le Seigneur Céleste apprenait… »

– « Je comprends votre inquiétude, mais je crois que cela en vaut la peine. » Ursrook ouvrit les yeux et regarda vers le Sud. Une piste noire sinueuse traversait désormais le continent. Au cours des six derniers mois, de nombreux Diables avaient été tués en territoire humain et la piste continuait de progresser avec une obstination incroyable. On aurait dit que rien ne pouvait l’arrêter.

C’était la première fois, lors d’une bataille, que des êtres humains avaient l’avantage sans avoir érigé de remparts.

Si ceux-ci avaient construit leur piste dans un secteur dominé par la Brume Rouge, Ursrook aurait facilement pu les massacrer ce qui n’était pas le cas dans les Plaines Fertiles. Tout d’abord, il n’avait qu’un nombre limité de soldats et quand bien même le Seigneur lui aurait envoyé des renforts, les hommes étant déjà bien établis dans les plaines, la victoire lui coûterait cher.

Il devait donc exterminer cette nouvelle armée humaine alors qu’elle n’en était qu’à ses balbutiements.

– « Cette guerre vous contrarie-t-elle ? »

– « Nous n’avons plus aucune chance de faire machine arrière. »

– « Ce sont nos ennemis qui nous ont entraînés dans un combat à mort », rectifia Ursrook. « Nous avons établi des avant-postes et tenté d’étendre la Brume Rouge mais cela n’a pas fonctionné aussi bien qu’il y a 400 ans, car les êtres humains possèdent désormais des armes dotées d’une grande portée de tir. Que vous les considériez comme des êtres inférieurs ou non, c’est un fait. Si nous n’avons guère progressé ces derniers temps, c’est parce que les sorcières surveillent chacun de nos mouvements. » Ursrook s’interrompit et tendit le poing en direction de la piste noire. « Il en sera ainsi tant que nous n’aurons pas érigé la Tour des Naissances. Je vais donc devoir les aveugler et leur couper les bras avant qu’ils ne puissent plus nous jouer de tours même si, pour cela, je dois sacrifier deux avant-postes! » Ajouta-t-il avec un affreux rictus tandis que l’air autour de lui s’agitait. Il comprit que quelqu’un l’observait du camp au bout de la piste, la perturbation du pouvoir magique ayant peut-être déjà alerté les humains.

– « Je suis à votre service, monsieur! » S’écria respectueusement le garde qui percevait son immense pouvoir magique.

Ursrook se garda bien de dire au garde qu’il était sur le point d’évoluer. Bientôt, son pouvoir augmenterait de façon significative et cette bataille allait peut-être y contribuer, la guerre ayant toujours été le moyen le plus rapide de s’améliorer. Du reste, même le Roi aimait y prendre part.

S’il devenait Seigneur, il échapperait au contrôle du Seigneur Céleste.

Connaissant parfaitement les habitudes des hommes et sachant qu’ils mordaient toujours à l’hameçon, Ursrook n’était pas du tout inquiet.

Le soleil était désormais couché derrière les montagnes, les derniers rayons laissant progressivement place aux ténèbres et quelques étoiles commençaient à scintiller dans le ciel.

Ursrook se rappela le jour où il s’était élevé dans les airs.

Il avait alors eu la certitude de ce qu’il voulait et œuvrait en ce sens.

Peut-être les humains pensaient-ils exactement la même chose…

Dans cette guerre qui allait sceller leur destin, seul le vainqueur accéderait au royaume inconnu et à la Source de la Magie.

Il attendait avec impatience cette bataille décisive.