Un sentiment d’inquiétude envahit Roland et il leva les yeux pour scruter les personnes présentes : De toute évidence, quelqu’un l’observait dans ce Monde des Rêves, mais qui ?
Un domestique ? Un entrepreneur ? Un éveillé ?
Tout le monde semblait s’amuser. Visiblement, il était le seul en proie à la paranoïa.
Roland respira profondément et tenta de retrouver son calme.
Le messager doit être la même personne que celle qui a laissé la note dans le livre.
« Café de la Rose… N ° 302. »
Nul doute : quelqu’un voulait le rencontrer.
Cela dépassait la Force de la Nature. À la différence des sorcières, qui possédaient des dons surnaturels, les Martialistes étaient physiquement plus rapides, plus puissants et plus forts que le commun des mortels. S’ils pouvaient, dans une certaine mesure, libérer leur énergie pour créer une sorte de magie, dans l’ensemble, c’étaient bien plus des combattants que des sorciers.
De plus, Roland ne ressentait aucune fluctuation de la Force de la Nature, à croire que ces mots inscrits dans son champagne étaient l’œuvre d’un pouvoir supérieur encore inconnu et qui était à l’origine des changements en cours dans le Monde des Rêves.
« Apparemment, un personnage non-joueur me surveille », pensa Roland.
Le temps, dans ce monde, étant figé lorsqu’il était éveillé, le jeune homme était persuadé qu’à l’exception des sorcières et des gens vaincus par Cléo, tous les autres étaient fictifs. Ils semblaient peut-être réels mais étaient en fait manipulés par le créateur de ce monde, un créateur qui, visiblement, avait décelé sa présence, d’où le message.
« Quand est-ce que tout cela a commencé ? » Se demanda Roland.
Était-ce dès l’instant où il avait emprunté ce fameux livre à Garcia ou depuis qu’il avait, dans l’Église du Reflet, découvert cette personne morte depuis huit cents ans et qui ressemblait trait pour trait à Lan ? À moins que tout ait commencé au moment même où il avait remporté la Bataille des Âmes contre Cléo ? Il n’en avait aucune idée et ne voulait pas s’attarder sur cette question, le plus important étant ce que le créateur s’efforçait de lui dire.
– « Tout va bien, Roland ? » Demanda soudain Donna dont la voix le tira de ses réflexions.
– « Oui », répondit-il, un peu nerveux. « J’arrive. »
Le jeune homme s’assura que tout était normal dans le verre de champagne, le reposa sur la table la plus proche et suivit les sorcières.
– « Vous devriez goûter ça. C’est très tendre, mais il faut attendre un peu… » Dit Samira en lui tendant un morceau de foie gras rôti au parfum délicieux.
À les voir s’accaparer toute la nourriture que le chef venait d’apporter, Roland se sentit gêné. Par ailleurs, certaines invitées commençaient à se plaindre, son ouïe affûtée lui permettant de les entendre :
« Qui donc les a amenées ici ? » « Elles sont mignonnes, mais on dirait qu’elles n’ont pas mangé depuis longtemps. » « Regardez un peu leur tenue! J’ose espérer que ce ne sont pas des vagabondes! » « Pauvres petites choses! On dirait qu’elles sont affamées depuis des années! »
Roland leur jeta un regard froid et s’adressant à elles, répondit :
– « Veuillez m’excuser, mais vous avez raison : elles n’ont pas mangé depuis des centaines d’années. »
– « Et puis, il faut que nous en rapportions à nos amies! »
– « Tout à fait! »
Roland mordilla dans le foie gras, tout à ses pensées.
Si le créateur avait un tel pouvoir, pourquoi ne s’adressait-il pas à lui directement ? Pourquoi tant de complications ? Craignait-il de l’effrayer ? À moins qu’il n’en ait pas trouvé l’occasion ?
De l’avis de Roland, celui-ci se moquait bien d’épargner ses pauvres nerfs, à en croire la frayeur qu’il lui avait faite avec le verre de champagne.
Il repensa à la note qu’il avait trouvée dans le livre et se la repassa plusieurs fois dans sa tête.
« Nous nous rencontrerons lors de la révélation divine. Ferait-il allusion à… la Lune Sanglante ? Pensa-t-il, le souffle coupé.
Celle-ci marquant le début de la Bataille de la Divine Volonté, devait-il attendre ce jour pour rencontrer enfin l’auteur du message ?
Mais comment était-il possible qu’une personne issue du Monde des Rêves sache ce qui se passait dans l’autre monde, d’autant que lorsque Roland n’y venait pas, le temps s’arrêtait ?
Et si tel était le cas, où étaient-ils supposés se rencontrer le moment venu ?
Dieu seul savait où se trouvait ce fameux Café de la Rose.
« Pourquoi ne pas simplement se retrouver dans l’immeuble ou dans un lieu public ? »
Roland en était là de ses réflexions lorsque deux hommes d’affaires d’âge moyen passèrent devant lui.
– « J’ai entendu dire que vous allez construire un nouveau parcours de golf ? »
– « J’y ai mis beaucoup d’argent, mais j’ai enfin reçu l’autorisation. Jouez-vous au golf, M. Gao ? »
– « Parfois. Je ne suis pas un grand sportif, mais le maître que vous avez récemment embauché m’intéresse davantage. Quelqu’un m’a dit que vous veniez de débourser trois millions de dollars ? »
– « Il le fallait si je voulais mettre la chance de mon côté et vous savez à quel point nous en avons besoin. Je pourrai gagner davantage et j’ai entendu dire que les noms donnés par ce maître rapportaient toujours d’énormes profits. »
– « Et que vous a-t-il conseillé ? »
– « Le Pré Vert. C’est juste en face du Projet Vert du Groupe du Trèfle. »
– « Haha, quelle heureuse coïncidence! »
Roland s’immobilisa, intrigué, mais n’entendit pas le reste de leur conversation.
« Mais j’y pense! J’ai demandé aux sorcières de chercher le Café de la Rose : je peux très bien en ouvrir un et lui donner ce nom! »
Si cette personne voulait vraiment lui parler, elle n’aurait pas dû choisir un endroit dont Roland n’avait jamais entendu parler. Par ailleurs, si elle était capable de lui passer un message par le biais de son champagne, elle saurait certainement où trouver le café de Roland.
Il avait déjà loué l’étage de l’entrepôt : il ne lui restait plus qu’à y ajouter les deux salles adjacentes et il pourrait ouvrir son café. Il aurait même la possibilité d’en faire une seule et grande salle, d’y installer des tables, des chaises, un comptoir et de lui attribuer le numéro 302!
Les sorcières de Taquila pourraient y être à la fois serveuses et clientes.
Roland fit une rapide évaluation des fonds dont il disposait : sa décision était prise.
Le jeune homme parti, Fei Yuhan s’empara de la coupe qu’il avait laissée.
Elle avait vu que ce nouveau chasseur repousser cette coupe avec horreur et la reprendre ensuite comme si ce n’était plus une coupe de champagne mais un morceau de charbon ardent. Pendant une fraction de seconde, Roland avait même eu l’air paniqué.
Qu’est-ce qui, dans ce verre de vin, avait bien pu émouvoir à ce point un chasseur agréé qui ne craignait pas la mort ?
Peut-être était-ce le fruit de son imagination mais Fei Yuhan s’aperçut que la coupe était fêlée, signe que Roland avait perdu le contrôle. Or seuls les Martialistes nouvellement éveillés pouvaient commettre une telle erreur.
Ce que ce jeune homme avait vu devait être quelque chose d’extraordinaire.
Fei Yuhan renifla le bord du verre mais ne détecta aucune odeur notable. Roland n’ayant pas touché au champagne, sa réaction n’avait donc rien à voir avec le breuvage en lui-même.
Elle but le contenu de la coupe, ce qui confirma sa théorie : c’était du champagne tout à fait ordinaire.
Elle était davantage intriguée par la réaction de Roland, visiblement authentique, que par la conversation ridicule qu’elle avait surprise entre lui et les trois jeunes filles à propos d’un Roi des deux mondes ou encore de ministres.
Quelque chose avait dû se produire.
Fei Yuhan reposa le verre et porta son regard brûlant de curiosité vers l’entrée de la salle.