Un nombre important de forces alliées de la Forteresse de Longsong se dirigeaient vers Border Town.
Le front comprenait six familles de chevaliers de la Forteresse. A regarder leurs armures, il était facile de déterminer la force de chacune. Les chevaliers du Duc Ryan étaient indéniablement ceux qui attiraient le plus l’attention. Leurs chevaux étaient de race royale à queue courte, exceptionnels pour les grandes distances grâce à leur corps plus long. Pourtant, aussi étonnants que puissent être ces chevaux, les chevaliers qui les montaient semblaient encore plus puissants, leur armure avait été créée par le célèbre forgeron de Longsong « Marteau et Dent de Dragon » ce qui leur donnait un aspect uni. Sur leur épais plastron était gravée une tête de lion argentée, énorme et brillante, tandis que sur leurs épaules figuraient deux loups, dont la gueule ouverte semblait prête à rugir. Leurs capes, qui ondulaient dans le vent, étaient brodées de délicats motifs décoratifs et autour de leur taille, chacun d’entre eux avait noué un ruban rouge.
Ces chevaliers ne se contentaient pas d’attirer le regard. Chaque année, après les Mois des Démons, ils avaient la responsabilité de nettoyer les restes de bêtes démoniaques et de s’assurer que la sécurité était rétablie pour circuler à travers le pays. Chacun d’entre eux avait accumulé une riche expérience de combat un contre un. Ils n’étaient pas moins compétents que les Chevaliers du Roi, ils étaient tout simplement moins nombreux. Pour un Duc, être en mesure de soutenir cent cinquante chevaliers d’élite était déjà un exploit incroyable.
C’est pourquoi lorsque Ryan regardait ses chevaliers, il avait toujours l’air très satisfait. Pas un seul instant il ne pensait qu’il puisse y avoir dans toute la région Ouest quelqu’un d’assez fort pour l’arrêter.
Marchant au milieu du cortège se trouvaient les mercenaires : leurs équipements étaient bien inférieurs à ceux des chevaliers. Revêtus d’une simple armure ou cotte de mailles démodées, ils ne portaient ni gants ni casque. Certains mêmes n’étaient équipés que d’une armure en cuir bon marché et portaient toutes sortes d’armes différentes. Ils marchaient le long de la route sans formation, mais plutôt en petits groupes de deux ou trois, souvent même en riant. En les voyant ainsi, on aurait jamais pensé qu’ils se rendaient au combat : ces gens avaient plutôt l’air de faire une randonnée printanière.
En fin de cortège, derrière les mercenaires, marchaient les affranchis forcés au service par le Seigneur, qui tiraient un chariot à une roue chargé de nourriture et de tentes. Ces 1500 personnes se déplaçant à des vitesses différentes, cette armée défilait très lentement, aussi les chevaliers qui allaient à cheval étaient-ils contraints de s’arrêter de temps en temps pour attendre que les troupes les rattrapent.
– « Monsieur », dit le comte Elk, Holger Medde en tirant sur les rênes de son cheval afin de pouvoir marcher à côté duc, « nous sommes à une demi-journée de Border Town. Si nous continuons à ce rythme, nous y serons à 16 heures. Nous devrions plutôt laisser nos troupes se reposer cette nuit et demain matin, nous pourrons lancer les offensives. A moins que vous ne souhaitiez attaquer immédiatement le château du Prince ? »
– « On dirait que vous aussi, vous voulez dormir dans la nature. »
Le Duc se mit à rire : « Personnellement, je préférerais dormir dans un lit au château plutôt que dans la boue humide. Bien sûr, nous devons à la famille royale un minimum de respect, aussi, lorsque nous arriverons à Border Town, j’enverrai des messagers pour persuader le Prince de se rendre. »
Le comte au chèvrefeuille, qui se trouvait légèrement devant eux se retourna et dit :
– « La cavalerie a déjà passé une journée entière sur le terrain, les hommes et les chevaux sont fatigués, aussi ce n’est pas une bonne idée d’attaquer directement. Après tout, même si ses hommes ne sont que des mineurs et des chasseurs, il reste un fait que Roland Wimbledon a réussi à traverser la totalité des Mois des Démons en restant à Border Town. Je pense qu’il serait préférable de rester prudents. »
– « Haha, je peux comprendre que les autres ne le sachent pas, mais vous ? Vous ne connaissez pas la vérité sur les bêtes démoniaques ? Mes vieux amis, elles sont vraiment effrayantes lorsque vous les rencontrez dans la nature, elles se déplacent rapidement, sont agiles et ont une force étonnante, en d’autres termes, ce sont des adversaires mortels. Mais si vous vous tenez derrière un mur, ce ne sont que des bêtes stupides. »
Le comte de la famille Elk haussa les épaules : « Ce qui m’a le plus surpris est le fait qu’il soit parvenu à construire un mur aussi rapidement… Mais cela ne lui suffira pas pour résister à la puissance de nos chevaliers, n’est-ce pas ? Ils ne sont pas complètements idiots. »
– « Précisément, et j’ai aussi reçu un message du Nord », répondit le Duc Ryan : « Cette année à Hermès, ils ont dû faire face à une force, exceptionnellement de bêtes démoniaques, qui ont presque entraîné la chute de La nouvelle Cité Sainte. En toute logique, il semblerait que ces bêtes, cette année, se soient principalement dirigées vers eux, c’est pourquoi ici, à la frontière Ouest, nous n’avons été confronté qu’aux rares d’entre elles qui avaient pu passer entre les mailles du filet. »
En tant que Seigneur de l’ensemble du territoire ouest du royaume, il n’observait pas seulement cet endroit éloigné. Au fil des ans, Ryan avait placé de nombreux espions dans les grandes villes qui lui transmettaient régulièrement les dernières nouvelles. Mais pour l’instant, la guerre tragique au Nord n’est pas sa principale préoccupation. Quelques jours auparavant, il avait reçu en secret une lettre de Steep Cliff City l’informant que le nouveau Roi Timothy Wimbledon et la Reine de Clearwater avaient mené une lutte acharnée sur le territoire sud d’Eagle City. D’après les nouvelles, les troupes de Timothy allaient mettre un mois pour rentrer d’Eagle City.
La lettre ne mentionnait pas le résultat du combat, elle disait seulement qu’il manquait à Timothy des milliers d’hommes lorsqu’il était repassé par Steep Cliff City, ce qui expliquait qu’il n’ait pu maintenir le blocus contre sa sœur. Apparemment, Eagle City avait été la proie des flammes, les nuages noirs de fumée recouvrant presque la totalité du ciel. Les habitants des villes environnantes avaient été témoins de ce spectacle.
Que la Reine de Clearwater ait été tuée par Timothy ou non, nul doute qu’une perte de soldats aussi pénible avait porté un sérieux coup au nouveau Roi.
Le Duc Ryan fut si perturbé par le contenu de la lettre qu’il envoya cette nuit-là de nombreux hommes de confiance à la Cité du Roi et vers le territoire de l’Est, dans l’espoir d’en savoir plus sur les conditions de Timothy. Cette grande bataille entre les deux Monarques allait peut-être lui offrir l’opportunité de détruire le régime encore instable du nouveau Roi. Il n’aurait aucun scrupule à jeter de l’huile sur le feu.
Si le Duc voulait devenir un Roi indépendant, c’était une chance qui ne se représenterait jamais. Les soldats du Nord avaient été enterrés sous les fondations de la Nouvelle Cité sainte. Le Sud, qui sortait d’une guerre, pansait encore ses plaies et les Lords de la frontière Est, comme le nouveau Roi, n’étaient pas en meilleure posture. Mais il craignait que, dans quelques années, ceux-ci reprennent du pouvoir. Avec suffisamment d’effectifs pour attaquer le Nord, Ryan pouvait facilement couper en deux le Royaume de Graycastle. D’ici là, le territoire et la population sous son règne seraient alors comparables à ceux du Royaume de l’Eternel Hiver, au Nord. Avec les deux plus grandes villes du sud-est sous son contrôle, sa force vaudrait celle de n’importe quel Seigneur du Royaume de Graycastle.
Quant à lui, Osmond Ryan, il deviendrait le premier Roi de ce nouveau pays.
Ayant pensé à tout, le Duc sourit, satisfait. Il voulait mettre fin à cette farce avec le Prince le jour même et le lendemain, il rentrerait immédiatement chez lui.
« Heureusement, dans trois jours, mes hommes de confiance seront de retour au château, j’espère qu’ils auront de bonnes nouvelles pour moi. »
Tandis que le soleil déclinait progressivement, s’approchant du sommet des montagnes, le Duc Ryan put enfin distinguer les contours de Border Town… et aperçut à l’extérieur de la ville de nombreuses silhouettes regroupées en une foule dense.
– « Père, Monsieur le Duc », dit René, qui, en charge de la tête du front, revenait faire son rapport « Tous ces gens sont probablement les gardes du 4ème Prince, ils sont tous armés, il est évident qu’ils n’ont pas l’intention de nous souhaiter la bienvenue. »
– « Eh bien, voilà qui nous épargnera la peine de nous rendre au château pour le prier de se livrer », répondit le comte en riant, « Dites aux chevaliers de ralentir et de s’arrêter à une distance assez courte pour charger. »
– « Bien, Père. »
Après avoir reçu ses ordres, René se retourna et partit.
Le Duc Ryan leva la tête et observa ses adversaires. Les gardes qu’il avait sous les yeux semblaient curieux, ils portaient d’étranges armes et se tenaient côte à côte sur deux lignes. Si ces armes étaient des piques, celles-ci avaient une drôle d’extrémité et une poignée trop courte. En outre, ses adversaires adoptaient une disposition de troupes entrainées à l’encontre du bon sens… Avec une ligne de défense aussi mince, ne courraient-ils pas aveuglément à leur propre perte ?
Le Duc en resta légèrement confus. « Même si chacun sait que le Prince n’a aucun bon sens ni aucune expérience de bataille, il a tout de même des chevaliers et ses gardes personnels à ses côtés : ne sont-ils pas en mesure de l’empêcher de faire un tel gâchis ? »
Ryan réfléchit un moment, puis décida de laisser les mercenaires conduire la charge, tandis que la cavalerie resterait à l’écart, prête à attaquer à tout moment.
Bien sûr, il enverrait tout de même un messager, pour tenter de persuader le Prince.
– « Allez, et dites au Prince que je n’ai pas l’intention de lui faire de mal », dit le Duc Ryan, «mais je suis aux ordres du nouveau Roi : personne ne sera blessé s’ils déposent les armes sans résistance. En rentrant à la Cité du Roi, je le traiterai avec le respect dû à son rang. »
Lentement, son armée se mit en formation : l’un après l’autre, les cavaliers prirent leur position, tandis que les mercenaires se postaient à l’avant. Mais à cet instant précis, le Duc Ryan vit soudain quatre flashes brefs dans le camp de l’ennemi : d’abord un flash de lumière, puis de la fumée. Il fronça les sourcils et se dit que quelque chose n’était pas normal. Ryan s’apprêtait à saisir son binocle lorsque soudain, une série de bruit de tonnerre explosa près son oreille!