En quittant le château, Rex retrouva Simbady qui l’attendait dans la cour.

– « Comment ça s’est passé ? » Demanda-t-il sur un ton amical. « Le chef est-il intéressé par votre combinaison de plongée ? Vous a-t-il récompensé pour votre découverte ? Avez-vous remporté le titre d’Explorateur Honoraire ? »

Rex secoua la tête, décontenancé :

– « Il n’a pas l’intention d’acheter ma combinaison… »

– « Vraiment ? » Fit Simbady, un peu découragé, mais très vite, il se reprit : « Si Graycastle n’a pas besoin de votre combinaison de plongée, les chambres de commerce des Fjords, elles, remarqueront certainement votre invention. Vous avez bien dit que la mer recelait d’immenses trésors ? »

Si le Roi l’avait convoqué, c’était parce qu’il accordait une attention particulière à cette combinaison, aussi s’attendait-il a une généreuse récompense. Au départ, il espérait devenir Explorateur Honoraire pour pouvoir faire la publicité de son invention auprès des Fjords.

Mais la réalité était toute autre.

– « Sa Majesté m’a fait don d’un livre », répondit-il avec un sourire amer.

Simbady demeura un instant figé sur place.

– « Comment ?! » Puis, baissant les yeux vers les mains de Rex : « C’est donc… »

– « Ma récompense en effet », répondit son interlocuteur, résigné.

Le livre, qui n’avait ni titre, ni couverture illustrée, contenait tout au plus une dizaine de pages. N’importe quel noble lui aurait remis un meilleur prix que ce misérable livre abîmé.

Non seulement il ne gagnerait pas la gloire avec cette récompense, mais il s’en trouverait même humilié.

– « Cela ne ressemble guère au chef », répondit Simbady, indigné, tout en marchant. « Si moi-même j’ai touché vingt Royals d’or, en votre qualité d’organisateur de cette expédition, vous auriez dû toucher bien plus! »

Si Rex était sensible à cette manifestation de sympathie, il savait qu’il ne servirait à rien de remettre en question la décision du Roi qui venait de lui proposer de l’aider à réaliser son rêve. Cependant, il hésitait encore à accepter cette offre.

C’est alors que surgit un garde :

– « Sa Majesté vous a trouvé un logement. Suivez-moi, je vous prie. »

– « Merci beaucoup », répondit Rex en s’inclinant.

Puis il fit signe à Simbady de le suivre. Quoi qu’il en soit, il lui fallait lire ce livre.

Alors qu’il quittait les Quartiers du Château, il entendit un étrange bourdonnement. On aurait dit des roulements de tonnerre dans le lointain, mais avec des craquements.

Curieux, Rex tourna la tête dans la direction d’où venait le bruit et aperçut au loin un point noir à peine visible.

« Serait-ce un oiseau ? » Se demanda-t-il. Mais presqu’aussitôt, il se ravisa. Comment un oiseau, à plusieurs kilomètres de là, pourrait-il émettre un tel bruit ?

Simbady, qui l’avait également remarqué, s’était raidi, tel un soldat en état d’alerte.

– « Ça… vient vers nous! »

– « Un ennemi ? » Fit Rex, surpris. « Un ennemi dans la capitale ? »

– « Je l’ignore mais ce n’est certainement pas un oiseau! »

– « Soyez tranquille », intervint le garde. « Ce n’est que la Princesse qui s’amuse avec son nouveau jouet. Au début, je ne pouvais pas le croire moi non plus, mais vous vous y habituerez. »

Les deux hommes étaient ahuris.

« Sa Majesté avait conseillé à la Princesse Tilly de limiter ses activités au site d’essais, mais elle a estimé que le champ n’était pas assez vaste pour effectuer des tests de vol complets. Comme elle ne peut pas survoler les quartiers résidentiels, industriels ni la Mer Tourbillonnante, elle n’a pas d’autre choix que de se cantonner aux Quartiers du Château », expliqua le garde avec nonchalance. « Ceci dit, j’ai l’impression que Son Altesse veut surtout montrer au Roi ce dont elle est capable. »

Bien que les deux visiteurs n’y comprissent rien, Rex s’aperçut que le garde semblait très fier des prouesses de la Princesse.

En quelques secondes, le point noir se rapprocha d’eux dans un rugissement assourdissant et Rex vit quelque chose d’incroyable. Une chose comme il n’en avait encore jamais vue.

Un objet ailé en métal passa près de lui en sifflant. Son ombre portée était bien plus grande que celle d’une mouette et à en juger par sa taille, Rex estima que l’objet devait être très lourd. Or il planait là, au-dessus de lui. Il distingua vaguement une femme assise aux commandes et eut le sentiment que cette machine était dirigée.

Soudain, le nom de Fan lui revint à l’esprit.

La Société des Métiers Extraordinaires n’ayant jamais mis l’accent sur l’organisation hiérarchique, Rex n’était pas très proche de Fan qu’il n’avait vu voler qu’au cours de ce fameux vol d’essai public. Pour tout dire, il lui gardait un peu rancune depuis que, suite à ses rêves irréalistes et à son lamentable échec, la Société avait subi de cinglantes critiques.

Et voilà que quelqu’un venait de réussir là où Fan avait échoué, de façon plus spectaculaire encore!

À la vue de la bête de fer ailée qui planait autour du château, Rex sentit l’étonnement l’assaillir.

Le garde les conduisit dans une résidence appelée “Bâtiment des Affaires Étrangères”.

– « Je m’appelle Sean », dit-il. « Lorsque vous aurez pris votre décision, vous me trouverez au château. »

Après quoi il partit.

Simbady, qui n’était toujours pas remis de sa surprise, priait à voix basse les Trois Dieux et, de temps à autre, jetait un coup d’œil par la fenêtre, partagé entre la peur et l’espoir de revoir l’objet volant.

De son côté, Rex s’enferma dans sa chambre et durant un quart d’heure, garda les yeux fixés sur le livre comme s’il voulait lire dans l’esprit du Roi.

Durant ce laps de temps, de nombreuses suppositions lui traversèrent l’esprit : il s’attendait à y trouver des textes décrivant les us et coutumes de la Cité Sans Hiver, une généreuse offre d’emploi déguisée sous forme de livret voire un ordre ordonnant à la Société des Métiers Extraordinaires de venir s’installer dans la capitale.

Mais rien de tout cela.

La première page du livre se résumait à une ligne : « Loi Physique de la Flottabilité. »

« Tout corps totalement ou partiellement immergé dans un fluide au repos est soumis à une force de flottabilité dont la magnitude est égale au poids du fluide déplacé par le corps. »**

Au départ, Rex n’y comprit rien mais à mesure qu’il la relisait, ses yeux s’écarquillèrent.

Il passa rapidement à la page suivante, totalement couverte de formules arithmétiques. Chacune était expliquée en détails pour lui permettre de mieux comprendre le concept. Très vite, il se trouva happé par le livre.

Volume, densité, flottabilité… tout cela lui était à la fois familier et étranger.

Il ne s’agissait plus de vagues descriptions mais d’unités et de chiffres concrets qui, d’un simple calcul, vous permettaient de savoir si un objet allait flotter ou au contraire couler.

Le souvenir des navires d’acier et des ballons à hydrogène que l’on vendait aux Fjords lui revint alors à l’esprit et tout commença à s’éclaircir.

Le livre faisait également état d’un projet de submersible capable de fonctionner sous l’eau de manière autonome. Ce n’était, pour l’heure, qu’hypothétique cependant, grâce à ces formules, Rex était persuadé de pouvoir en faire une réalité.

Le livre se terminait sur un étrange navire capable de flotter sur l’eau mais aussi de plonger comme le ferait un poisson. Capable d’accueillir plusieurs centaines de personnes, une fois immergé, il était en mesure de résister aux plus violentes tempêtes.

Rex était à la fois stupéfait, découragé et frustré, un peu comme le serait quelqu’un qui, au bout d’un long et périlleux voyage, entreverrait un royaume inconnu et qui, alors qu’il s’apprêtait à fêter l’évènement, verrait surgir quelqu’un qui lui indiquerait le chemin vers ce monde inexploré.

Il y avait certainement bien autre chose qu’une bête volante de fer à la Cité Sans Hiver.

Rex comprit alors toute la signification de cette récompense.

S’il refusait l’offre du Roi de Graycastle, il pourrait poursuivre sa carrière de plongeur et s’améliorer avec l’aide de ce livre. Il pourrait peut-être réaliser le petit submersible mais jamais le sous-marin décrit à la fin du livre.

Si, par contre, il acceptait, ce livre deviendrait alors un puissant outil publicitaire et la Société des Métiers Extraordinaires pourrait réaliser des merveilles.

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NDT : **Cette loi est aussi appelée “La Poussée d’Archimède”.

Lorsque j’étais étudiante, nous avions deux versions alternative de cette loi :

La version abrégée : « tout corps plongé dans un liquide en ressort mouillé. »

La version sauvetage : « Tout corps plongé dans un liquide, s’il n’en est pas ressorti au bout de dix minutes, peut être considéré comme perdu. »

Bon, c’était un clin d’œil pour vous aider à digérer ces cours universitaires 😀